Le texte de Chambre 2023 (et des poussières), la dernière chanson de l’album Alambic / sortie sud, s’ouvre sur l’évocation spectaculaire d’un univers nocturne et infernal, comme surgi des « visions perdues » de tous ceux qui « ont cru s’enivrer des chants de maldoror [1] » :
j’étais caïn junior le fils de belzébuth
chevauchant dans la nuit mes dragons écarlates
et m’arrêtant souvent chez les succubes en rut
j’y buvais le venin dans le creux de leur chatte
et les ptérodactyles me jouaient du trombone
au quatorzième sous-sol quarante-deuxième couloir
où les anges déchus sous un ciel de carbone
aux heures crépusculaires sodomisent les miroirs [2]
Outre l’évidence apparente du recours à l’arsenal satanico-gothique - que relativise dans le même temps la lecture selon le sensus etymologicus dont on aura le loisir de détailler les modalités tout au long des présentes réflexions -, l’auto-caractérisation du protagoniste comme « fils de Caïn [3] » au sens symbolique conféré à cette dénomination par Albert Camus dans l’analyse de l’« insurrection métaphysique » le désigne ipso facto comme prototype du « blasphémateur [4] », ce que confirme par ailleurs la réflexion initiée dans Infinitives voiles où l’ensemble des manifestations de l’existence du protagoniste se voit assimilé à « des troubles de mon double ivre et blasphémateur [5] ». S’il ne fait aucun doute que l’habitus blasphématoire constitue un élément dominant de la dynamique du discours poétique tant dans Infinitives voiles que dans Chambre 2023 (et des poussières) - et de façon générale dans l’ensemble des textes de Thiéfaine pour autant que leur accentuation thématique comporte la référence à la sphère du religieux ou du divin alliée à l’intention affichée de sa négation ou tout au moins de sa dévalorisation –, il est cependant tout aussi manifeste qu’un tel constat a vocation à être complété par le soulignement d’une autre caractéristique essentielle – voire encore plus décisive – de l’écriture de l’auteur : le traitement de l’accentuation blasphématoire dans le corpus des chansons implique sa mise en relation systématique - elle-même déclinée sous le double aspect antagoniste de l’assimilation implicite et de la mise en tension latente - avec le domaine de l’évocation sexuelle, reflétant une dynamique d’érotisation permanente du discours dont le titre de l’album Eros über alles[6] souligne expressément la fonction programmatique - et qui dépasse comme telle le seul cadre du règlement de compte avec les instances métaphysiques, même si elle offre un champ d’application privilégié à la thématique abordée dans ces réflexions.
Parmi les points de référence récurrents de la démarche d’écriture de Thiéfaine - s’agissant ici de l’élaboration d’une approche descriptive sous l’angle de la prééminence quasi absolue de la sphère de l’Éros -, c’est notamment l’affinité avec la position nietzschéenne qui identifie tout discours se donnant pour « objectif » ou « idéal » comme « l’inconscient déguisement des besoins physiologiques » et le démasque ainsi comme « une interprétation du corps, et un malentendu du corps [7] » qui prend valeur de présupposé poétologique central, débouchant sur la mise au point d’un discours multivoque totalement cohérent - et reconstituable comme tel - sur chacun de ses plans respectifs, dans lequel les strates superposées ont alors pour fonction (notamment bien sûr dans le cas qui nous occupe ici) de masquer le substrat corporel dont la présence reste cependant toujours détectable au moins au plan latent de la dynamique du discours, invitant indirectement l’auditeur-lecteur à entrer dans les « jeux de pistes [8] » à plusieurs niveaux que l’auteur désigne lui-même comme l’un des éléments déterminants de sa technique d’écriture. À l’issue de la série des reformulations successives occultant toujours davantage le postulat initial de transparence sémantique - « mes chansons, au départ, sont claires [9] » -, le « Lego [10] » auquel est assimilée la chanson - désignation retenue par Thiéfaine de façon remarquablement adéquate en ce qu’elle exprime d’entrée la revendication d’une lecture multiple au gré des différentes possibilités d’accentuation [11] - apparaît alors bien - maintenant la continuité de la référence à Nietzsche - comme le « texte hiéroglyphique, laborieux à déchiffrer [12] » dont l’élucidation requiert notamment l’appel à la « recherche étymologique [13] », permettant du même coup la mise au point « d’hypothèses généalogiques à rebours et perverses[14] ». En tant que facteur incontournable de la démarche exégétique, l’activation du sensus etymologicus - et à travers elle la reconnaissance de la dimension plurilingue de l’énoncé poétique - trouve un complément tout aussi essentiel dans la nécessité d’une perception appropriée du halo associatif extrêmement dense mis en place par l’entrelacement complexe des références intertextuelles [15], tandis que le recours conjoint à la technique de permutation des composantes énonciatives héritée du cut-up [16] et au principe d’oxymorisation [17] sollicité de façon particulièrement intensive - et qui fait écho tant à la conception camusienne exigeant le maintien sans faille de la « contradiction absurde [18] » qu’à l’adhésion nietzschéenne à « la contradiction logée au cœur du monde [19] » - viennent parachever les modalités d’organisation du discours énigmatique caractéristique de l’écriture de l’auteur. [20]
Même si la prise en compte exhaustive de la totalité de ces aspects s’avère concrètement difficile voire impossible à réaliser dans le cadre restreint de la présente contribution, c’est sur l’ensemble des plans énumérés ici et en premier lieu dans le respect constant de la polysémie de l’expression cryptique qu’il convient idéalement de développer l’approche herméneutique des séquences thiéfainiennes déclinant la double thématique érotique et blasphématoire et basées de ce fait sur l’interaction sous-jacente des strates discursives à la fois opposées et complémentaires. À la transposition dans le langage de l’Éros du geste symptomatique du blasphème répond ainsi, dans un jeu de miroir virtuose qui maintient les constituants du discours dans une permanente oscillation sémantique, le recours aux catégories du religieux ou plus exactement à leur antithèse blasphématoire en tant que travestissement poético-linguistique de l’évocation de la sphère érotico-sexuelle, l’identification du substrat physiologique laissant cependant subsister intacte la charge évocatrice du renvoi explicite au domaine des instances supra-naturelles.
La contamination des plans de l’évocation réunis dans la « simultanéité contradictoire »[21] propre à la sphère du divin ou du mythe est ainsi à l’origine de la réaccentuation paradoxale dont fait l’objet le terme même de « métaphysique » dans 27e heure : suite faunesque, illustrant de façon exemplaire le basculement du plan religieux au plan érotico-sexuel qui constitue la signature spécifique du blasphème thiéfainien. Le protagoniste confronté à une heure avancée de la nuit aux assauts séducteurs d’une mystérieuse « apparition » féminine qu’il finit par identifier comme « sainte bernadette soubirou » - « j’vous ai r’connue, j’avais votre photo dans mon missel »[22] -, succombe en ces termes aux avances de « la jolie démonesse » l’invitant à s’abandonner au « bonheur de la tentation » qui donne son titre à l’album (et dont les différentes modalités de mise en œuvre sont détaillées au fil des chansons qui composent celui-ci) :
et j’me suis laissé faire dans un élan métaphysique
sur une couronne d’épines qui poussait sur le bas-côté[23]
À l’évidence apparente de la lecture immédiate selon l’acception usuelle et abstraite exprimant le transcendement de la réalité sensible - et réaffirmant implicitement le primat de l’accentuation religieuse - répond en écho inversé la réinterprétation blasphématoire de l’« élan métaphysique » au bénéfice du sens littéral et concret opérée selon les modalités de l’expression cryptique, et notamment de la « généalogie à rebours [24] » familière à Thiéfaine. Par l’intermédiaire du sensus etymologicus induisant le rapprochement - ou plus exactement le jeu de mots - avec le verbe grec metajuomai exprimant l’idée de « naître ensuite », le détournement sémantique visant à la réintroduction de la dimension physico-sexuelle de la rencontre - doublée du renvoi latent aux suites éventuelles de celles-ci dans un parallèle révélateur avec le « bal des parthénogénèses [25] » évoqué dans Parano-safari en ego-trip-transit - confronte implicitement la fiction d’une expérience « désincarnée [26] » de la vision mystique telle que la propage l’orthodoxie théologique - « n’est-il pas vrai qu’un bon croyant est un être asexué [27] » - au renvoi direct à la réalité du processus physiologique, introduisant du même coup une double prise de distance à l’égard de la vision chrétienne traditionnelle. De fait, celle-ci se voit démentie d’une part au profit d’une réhabilitation appuyée de la sphère physique que la localisation de l’épisode « sur le bas-côté » semble de prime abord ancrer irrévocablement dans le domaine de l’expérience concrète, succédant logiquement au « milieu de la route [28] » mentionné de façon répétée en tant que cadre de l’« apparition » dans le récit des tribulations du protagoniste. Elle fait cependant dans le même temps l’objet d’un désaveu à la portée symbolique accrue à travers la résurgence frappante de la tradition antique d’un « hétaïrisme » qui « garde là encore son caractère sacré », les pratiques traditionnelles des « courtisanes hiérodules » se voyant effectivement renouvelées jusque dans l’allégeance aux « pratiques religieuses chtoniennes [29] » suggérée précisément par la définition du décor de l’acte sexuel. Par l’émergence d’une version « revisitée [30] » - pour respecter les modalités de l’expression thiéfainienne - du modèle cultuel archétypique supplanté par les catégories de l’orthodoxie catholique, l’opposition initiale entre l’illusion de « l’arrière-monde [31] » et sa retraduction dans le langage des phénomènes corporels s’infléchit vers la mise en perspective de deux conceptions antagonistes du sacré - suscitant respectivement le rejet et l’adhésion du protagoniste -, l’une prônant le déni de la sexualité alors que l’autre l’élève au rang d’un accès privilégié au divin. C’est précisément cet aspect du processus - qui commande alors une réévaluation de l’impact proprement blasphématoire de la séquence - que prend explicitement en compte la contamination délibérée des systèmes de référence que résume sous l’angle de la dérision cynique la question adressée à la figure séductrice :
oui par isis & déméter les matrones associées
que va penser de vous votre si bonne vierge marie[32]
Le rapport de filiation historique entre les cultes païens et leur relecture mariale est réinterprété dans les termes d’une coexistence intemporelle voire éternelle - telle qu’elle est justement propre au domaine du mythe - par le protagoniste assumant délibérément le rôle du « druide » emporté par l’indignation face à la « jolie démonesse ». L’intention - évidemment non dénuée d’une ambiguïté physico-sexuelle encore accrue par la parenté du « druide » avec la racine dr- ou tr- présente par exemple dans l’anglais tree - de « sermonner durement » celle-ci amène ici l’infléchissement du discours vers la dévalorisation radicale qui vient frapper la notion même de l’« hétaïrisme sacré » ramené à sa seule dimension vénale :
que vont penser de vous les dieux les anges les saint-esprits
s’ils apprennent que la nuit vous faites la pute loin des chapelles [33]
La déclinaison des possibilités de lecture de l’épisode « faunesque » qui se dessinent à travers la prise en compte de l’ensemble des implications sémantiques et connotatives atteint son terme supposé - dans l’attente d’un éventuel approfondissement ultérieur de l’analyse - dans le surgissement inopiné d’une option exégétique complémentaire dont la reconnaissance permet de prendre la pleine mesure de la complexité polysémique dans laquelle se déploie le discours thiéfainien : alors que ses différentes strates constitutives considérées isolément - notamment dans le mode de présentation foncièrement insatisfaisant auquel contraint pourtant inévitablement le processus herméneutique - paraissent devoir s’exclure mutuellement tant du fait de leur signification antagoniste qu’en raison du caractère diamétralement opposé de leurs sphères référentielles respectives, leur articulation dans le cadre resserré de la formulation énigmatique prend un caractère d’immédiateté suggestive qui semble du même coup rendre obsolète ou superflue toute tentative de décryptage, une telle invalidation de principe ne pouvant alors espérer se voir démentie que par la satisfaction d’une exigence d’exhaustivité aussi incontournable dans son principe que malheureusement sans doute inatteignable dans la réalité de la pratique exégétique. Dans le cas qui nous occupe ici, l’association de la « couronne d’épines » et du « bas-côté » dans le renvoi au lieu du rapprochement sexuel ouvre ainsi la voie à une redéfinition des paramètres de l’« élan métaphysique » imposant définitivement la refocalisation sur la dimension corporelle et purement anatomique du processus, créant l’occasion d’une nouvelle contamination érotico-blasphématoire au-delà de la seule incongruité du rapprochement de la notation concrète - et à première vue parfaitement univoque dans sa fonction localisatrice - et du rappel lui aussi immédiatement reconnaissable de la passion du Christ, dont une première dimension subversive réside dans l’assimilation implicite à la figure de Jésus que suggère le soulignement du statut de victime sacrificielle assumé par le protagoniste. (S’agissant pour ce qui concerne les motifs spécifiques de la « victime [34] » et du « sacrifice [35] » d’une thématique récurrente dont le traitement repose par principe sur la mobilisation simultanée et provocatrice de la double accentuation sexuelle et religieuse, on se propose d’en examiner plus avant les mécanismes de présentation dans la suite immédiate de ces développements). Le principal véhicule de la surenchère blasphématoire réside cependant dans la redéfinition suggestive de la « couronne d’épines » et du « bas-côté » en tant que désignations imagées renvoyant avec une précision anatomique au « bas corporel [36] » de la partenaire féminine : à travers cet ultime rééquilibrage s’accomplit in extremis la restitution paradoxale d’une homogénéité sémantico-symbolique absolue qui scelle spectaculairement la prééminence de la dimension corporelle, couronnant la réinterprétation de la dimension « métaphysique » [37] alors même que l’apparente univocité du constat final ne saurait pour autant annihiler l’ambivalence persistante de l’énoncé énigmatique. La dynamique énonciative reposant sur la simultanéité des implications antagonistes installe d’entrée une équivoque qui va grandissant au fil des amorces complémentaires de décryptage déclenchant le basculement permanent d’une sphère référentielle ou d’un niveau de lecture à l’autre, transposant au plan sous-jacent des « dédales vertigineux [38] » de l’organisation du discours poétique la sentence nietzschéenne dont le texte de 27e heure : suite faunesque - et avec lui l’ensemble des éléments du corpus thiéfainien reflétant des préoccupations thématiques analogues - devient la démonstration implicite :
Le christianisme a fait boire du poison à Eros. Il n’en est pas mort, mais il est devenu vicieux. [39]
L’intrication de la dimension érotique et de la revendication blasphématoire mise en place dans le discours « plein de cachettes, d’arrière-pensées, de souterrains [40] » des chansons de Thiéfaine trouve comme on l’a précédemment signalé un terrain de réalisation privilégié dans la réaccentuation sous l’angle de la sexualité du rituel du « sacrifice » tel qu’il forme le cœur de la liturgie catholique, entraînant ipso facto la création d’une « osmose [41] » à l’ambiguïté suggestive entre la fonction dévolue au protagoniste et le rôle assigné à Jésus par la tradition théologique. L’évocation radicalement dévalorisante de l’univers religieux rencontrée dans Psychopompes, métempsychose et sportswear associe la redéfinition cryptico-subversive du cérémoniel de la confession à une triple variation de la symbolique sacrificielle - au fil de désignations alternant entre reformulation imagée à visée désacralisante et références exactes au vocabulaire liturgique prises elles aussi dans le va-et-vient incessant de la réaccentuation blasphématoire -, le rappel de deux célèbres vocations avortées auxquelles s’ajoute au plan latent du discours la propre expérience biographique de l’auteur venant parachever l’impact destructeur de la séquence :
la vie défile au nom du christ
des pissotières du pain rassis
staline était séminariste
et jerry lee lewis aussi
mais le dieu manque à cet hôtel
où je dois jouer les victimes
en contractant des salmonelles
avec des hosties aux enzymes [42]
La strophe de Thiéfaine se situe à nouveau dans un rapport de proximité manifeste avec la condamnation nietzschéenne du christianisme avec laquelle elle partage l’insistance appuyée sur la dimension sordide appréhendée comme un élément essentiel de la doctrine propagée par Jésus - ou plus exactement des modalités de son appropriation par les contemporains du phénomène puis l’institution de l’Église :
il resta le Dieu des carrefours clandestins, le Dieu des recoins et des lieux obscurs, de tous les quartiers malsains du monde entier… Son royaume universel est, avant comme après, un royaume des bas-fonds, un hôpital, un royaume souterrain, un royaume de ghetto… [43]
Le renvoi implicite aux « cloaques de l’âme [44] » auxquels la critique nietzschéenne assimile la religion - formule dont Thiéfaine propose par ailleurs une traduction remarquable de littéralité dans les « égouts de nos cerveaux [45] » de Diogène série 87 - confère une suggestivité immédiate à l’évocation multivoque des « pissotières [46] » dont une dimension essentielle réside dans sa valeur de travestissement métaphorique du bénitier et surtout du confessionnal - offrant ainsi un arrière-plan approprié à la première déclinaison du motif de l’hostie ramenée à sa nature peu appétissante de « pain rassis ». Le transfert de la relecture alimentaire du « sacrifice » au terme propre des « hosties » et le basculement parallèle vers l’idée de l’intoxication induit par le double renvoi aux « enzymes » et aux « salmonelles » suffit à établir le caractère sacrilège du discours poursuivant jusque dans le détail de la formulation la déclinaison de la conception nietzschéenne : la « maladie [47] » dénoncée par le texte philosophique prend la forme concrète d’une infection dont le protagoniste devient logiquement une des « victimes », refermant ainsi sur elle-même la série des dénominations évocatrives de l’idée religieuse du « sacrifice ». Dans le cadre de cette première approche de la dimension blasphématoire - qui est cependant encore loin de rendre compte de la complexité du discours polysémique du fait même de l’univocité qui s’attache ici en apparence au résultat de la démarche d’élucidation -, le renvoi aux « enzymes » semble avant tout découler d’un processus de substitution implicite dicté par l’homophonie avec la qualification d’« azyme » : l’exactitude de la référence à la définition propre du concept des « hosties » garantit de fait la cohérence du discours en même temps qu’elle opère la transposition des catégories sémantiques au plan des phénomènes relevant de la dynamique énonciative, apportant un commentaire en forme de clin d’œil jubilatoire au concept théologique de la transsubstantiation.
La poursuite du déchiffrage de la séquence « hiéroglyphique [48] » au sens propre comme figuré du terme se voit facilitée par l’activation du sensus etymologicus du latin hostia qui - outre sa fonction de révélateur de l’équivalence sémantique entre les « victimes » et les « hosties » - met en lumière - et ce indépendamment et au-delà des connotations médicales véhiculées par l’interprétation alimentaire dont on vient d’énoncer le contenu - la dimension corporelle de l’offrande sacrificielle assumée tant par le protagoniste de la chanson que par la figure de Jésus (ou de tout équivalent divin primitif dont celui-ci ne serait que le relai tardif) dont la présence n’est décelable qu’au plan sous-jacent du discours de la strophe de Thiéfaine. La dimension sacrilège du détournement homophonique qui transforme le décor religieux de l’autel [49] en celui de l’« hôtel » où prédomine d’emblée la référence au rapprochement sexuel - la scène devenant ainsi la réplique de celle que le texte de Lorelei sebasto cha situe « dans cet hôtel paumé aux murs glacés d’ennui [50] » - est renforcée par le rappel quasi littéral du vers « le dieu manque à l’autel où je suis la victime[51] » que Nerval place dans la bouche du Christ au mont des Oliviers : la transposition blasphématoire de l’immolation sacrificielle s’effectue ici sur le double plan de la réinterprétation profane du décor religieux et du travestissement ludique de l’acte imposé au protagoniste, qui souligne de plus avec insistance l’obligation qui lui est faite de prendre part au scénario de cette forme particulièrement élaborée de parodia sacra. Ainsi se crée une relation d’équivalence spectaculaire entre l’activité sexuelle réunissant le protagoniste et ses partenaires et le sacrifice de Jésus faisant l’offrande de son propre corps, et dont la réitération rituelle a lieu sur l’autel au cours de la messe - soit en la présence supposée de ce même « dieu » qui « manque à cet hôtel », menant ainsi à son terme la logique paradoxale qui préside au détournement sacrilège. La consistance physique inattendue dont se voit investi le rapport d’identité sémantique entre les « victimes » et les « hosties » à travers la redéfinition du « sacrifice » sous les auspices de l’Éros devient alors le véhicule d’une suraccentuation blasphématoire qui porte à son point de culmination la dynamique de subversion multivoque : la réinterprétation conjointe des « salmonelles » et des « enzymes » opérée à cette occasion souligne a posteriori l’insuffisance de la lecture littérale sans pour autant l’invalider de façon définitive au profit des possibilités associatives complémentaires révélées à ce stade ultérieur de la retranscription exégétique, la réalisation simultanée de l’ensemble de l’aura sémantico-symbolique restant la caractéristique dominante du discours poético-énigmatique et spécialement de sa version thiéfainienne.
La distribution symétrique des évocations du masculin et du féminin - les « victimes » et les « hosties » pourvues des attributs respectifs des « salmonelles » et des « enzymes » - suggérant la redéfinition physico-sexuelle des supposés agents infectieux établit du même coup l’urgence de sa substitution ou mieux de sa surimposition à l’acception médicale, la réévaluation des priorités interprétatives exigeant ici le retour à la signification première de chacun des constituants énonciatifs telle que le recours au sensus etymologicus permet éventuellement de la préciser. Par le renvoi à l’aspect musculaire - et non plus épidémiologique - du processus de contraction ainsi que par la prise en compte du sens d’origine de la salmonella identifiée comme diminutif de salmo - et véhiculant comme tel les connotations anatomiques et érotico-symboliques associées au motif du poisson -, la formulation multivoque « en contractant des salmonelles » révèle sa valeur cryptique d’évocation du coït vu sous l’angle du partenaire masculin, tandis que les « enzymes » interprétés selon les mêmes modalités de la lecture éymologique deviennent l’équivalent des turbulences cellulaires déclenchées chez les partenaires féminines [52], établissant de façon indiscutable la cohérence de la vision « métaphysique » de la scène au sens rencontré dans 27e heure : suite faunesque. En renouant par le biais de la réhabilitation blasphématoire de l’Éros avec une des conceptions premières du « sacrifice » dont l’habillage liturgique sous le signe de la seule caritas vise à neutraliser radicalement l’impact originel - tel qu’il s’est conservé par contre dans les cultes païens de l’Antiquité -, l’évocation de l’offrande corporelle « revisitée » dans la strophe de Thiéfaine poursuit la mise en œuvre de la lecture « généalogique » du christianisme qui débouche sur le même verdict implicite de reductio ad absurdum que celui déjà suggéré par l’accentuation clinique : la coexistence des offres de dévoilement réunies dans la séquence poétique prend une acuité supplémentaire du fait de leur présentation sous forme de coïncidence énonciative, tandis que le détournement cynique voit son impact annihilateur renforcé par la sollicitation intensive du « rire ambivalent [53] » à la fois « destructeur » et « régénérateur » qui constitue l’incarnation privilégiée - illustrée entre autres par les « rires crépusculaires [54] » de Diogène série 87 - de la dynamique de dérision propre à l’expression thiéfainienne.
Le processus de contamination blasphématoire mis en place à travers l’assimilation implicite à la figure sacrificielle de Jésus et la revendication du statut de « victime » symbolique qui en découle se révèle de façon exemplaire à travers la formulation du protagoniste de Joli mai mois de Marie évoquant « l’hémoglobine sur mes stigmates [55] », l’univocité apparente du travestissement christique complétant sur le mode de l’exacerbation sacrilège l’énumération des désagréments occasionnés par le « joli mai ». La primeur accordée spontanément au sens dérivé des « stigmates » ainsi qu’aux implications associatives qui lui correspondent offre un nouvel exemple significatif du « malentendu » nietzschéen dont le texte de Thiéfaine poursuit la reconstitution au niveau même de la dynamique énonciative, la prise en compte intégrale du spectre sémantique des « stigmates » - qui passe notamment par la sollicitation de la lecture botanique du terme en tant que constituant du pistil [56] - permettant seule de donner accès à la « réalité calomniée et méconnue [57] » de la sphère corporelle : la revalorisation de la dimension anatomico-physiologique au détriment de la fiction du parallèle messianique est de fait assurée d’emblée par la transparence du renvoi aux organes sexuels, l’association avec la sphère de la féminité impliquée par l’évocation du pistil restant ici en retrait par rapport aux possibilités de réaccentuation physique qu’établit la référence à l’organe sexuel masculin suggérée non plus par la signification du vocable en tant qu’élément de la nomenclature botanique, mais bien par la forme propre au stigmate ainsi que par sa nature de segment terminal du pistil. La mention de l’« hémoglobine » venant relayer le terme usuel de « sang » achève de restituer à la séquence sa dimension de notation physiologique renvoyant à l’afflux sanguin dans la région génitale : l’indication supplémentaire déductible du rétablissement de la forme pleine « hémoglobuline » ou plus exactement de la perception de sa possibilité de retranscription littérale en tant que « sang sur les globules » renforce au plan sous-jacent du discours l’infléchissement vers la lecture phallique, le recours au sensus etymologicus autorisant voire imposant la réinterprétation du diminutif sous l’angle de la désignation anatomique [58]. La plausibilité conjointe d’une double interprétation « féminine » de « l’hémoglobine » venant colorer les « stigmates » - comme sang de la défloration [59] ou sang menstruel - débouche dans le même temps sur une réintroduction paradoxale de la dimension sacramentale voire sacrificielle à travers le rappel indirect des modalités de la célébration rituelle du printemps et plus spécialement du mois de mai qu’elle véhicule au niveau latent de l’évocation, la réhabilitation symbolique du culte antique de Maia [60] se substituant dans une nouvelle réécriture blasphématoire à la lecture chrétienne du « mois de Marie » dont l’ensemble du texte de Thiéfaine opère le démontage cynique, dans un détournement aussi suggestif que pertinent des présupposés interprétatifs traditionnels dont on se propose d’évoquer au moins un autre aspect dans la suite de ces développements. La réinterprétation complémentaire à travers le prisme du parallèle christique - dont la valeur de signal blasphématoire reste intacte indépendamment de l’option exégétique que l’on choisit d’activer parmi les amorces d’élucidation prises dans l’entrelacement permanent du discours multivoque - a pour conséquence une assimilation tout aussi suggestive de la figure féminine à Jésus qu’elle vient relayer dans son double rôle de victime expiatoire et d’objet d’adoration rituelle, l’acte de « verser son sang » constituant là aussi le dénominateur commun qui crée la possibilité du nouveau rapprochement sacrilège.
La redéfinition provocatrice de la constellation sacrificielle se dessine de façon analogue à travers le renvoi direct à la figure de Jésus contenu dans les vers de Garbo XW machine où le geste du cunnilingus sert de signature symbolique à l’inversion sacrilège, le travestissement du cérémonial de la messe offrant un support adéquat tant à la réaccentuation christique du rôle de la partenaire qu’au soulignement de la dimension sanglante inhérente au processus - qu’il s’agisse du déroulement liturgique proprement dit ou de sa relecture sexuelle :
tel un disciple de Jésus
je boirai le sang de ta plaie [61]
Le détournement blasphématoire créé par l’équivalence implicite entre la mention du « sang de ta plaie » et le rappel latent de l’injonction rituelle « prenez et buvez : ceci est mon sang » a pour corollaire l’éclatement des fonctions symboliques réunies dans la personne de Jésus dont la figure féminine assume de façon exclusive la dimension d’instance supérieure, le rôle de victime sacrificielle essentiel tant à l’institution du rite de la communion qu’à sa transposition dionysiaque - et dont le rappel de la « plaie » joint à l’indication sous-jacente des modalités du rapprochement physique suggère dans un premier temps l’attribution à la femme - étant alors transféré sur le protagoniste dont le rôle de « disciple » bascule entièrement vers celui d’objet sexuel. L’intention sado-masochiste de s’« annuler » expressément signalée dans la première strophe trouve son accomplissement dans les vers
je te laisserai me déchirer
m’arracher la chair et les os
me greffer d’infernales idées
dans le gouffre de mon cerveau [62]
qui constituent à la fois un nouveau sommet du renversement sacrilège et l’apothéose de la « régression virtuelle [63] » inhérente aux manifestations du sadisme, les « cercles vicieux infernaux [64] » caractéristiques du discours thiéfainien - et qu’il s’agit là aussi d’interpréter sur un mode polysémique dont on doit malheureusement renoncer à proposer ici la déclinaison - reflétant dans la densité énigmatique de leur entrelacement tant la revendication nietzschéenne d’une approche « généalogique » du phénomène religieux que la lecture de la pensée sadienne et notamment de sa dimension blasphématoire élaborée par Klossowski : la démonstration spectaculaire - et à laquelle souscrit également celui qui en est la victime - « d’une espèce de cruauté, comme dans les sacrifices qu’exigent les dieux cannibales [65] » illustre le retour aux présupposés omophagiques du cérémonial symbolique de consécration puis d’absorption de l’hostie, la reproduction du modèle des sacrifices à « Dionysos Mangeur de chair crue [66] » et plus spécialement de la retranscription poétique du processus offerte par les Bacchantes d’Euripide coïncidant dans un parallélisme révélateur - et témoignant de l’extrême précision du travail de Thiéfaine - avec le soulignement indirect de la référence antique occasionné par le renvoi au « gouffre de mon cerveau » - qui apparaît comme le recadrement moderne, fondé comme tel sur une connaissance précise du corps humain, de la formule homérique localisant par exemple les pensées des prétendants de Pénélope dans le « gouffre de leur cœur [67] » -. C’est à travers une convergence de principe analogue - basée là aussi sur la communauté de la démarche de dénégation du discours monothéiste - que la dynamique de culmination destructrice révèle dans le même temps son affinité avec la mise en scène du rituel sadique en tant que « simulacre de destruction des normes », à travers lequel « une aberration affective dénonce le Dieu unique, garant des normes, comme une aberration de la raison [68] ».
C’est sur la base d’un postulat initial à l’univocité apparente que la déclinaison du processus sacrificiel rencontrée dans Première descente aux enfers par la face nord met en place une dynamique complexe de permutation référentielle aboutissant à la superposition de deux plans discursifs aux accentuations divergentes, le caractère délibérément sacrilège du déroulement évoqué étant établi d’entrée par la déclaration d’intention du protagoniste
je réserve les cieux
pour d’autres aventures
ce soir je sais que dieu
est un fox à poil dur [69]
avant de trouver un prolongement approprié dans la dynamique d’inversion blasphématoire qui préside à la description des modalités de la « descente » :
je descends aux enfers
par l’entrée des novices
offrir à lucifer
mon âme en sacrifice
je boirai dans un crâne
le sang du déshonneur [70]
La cohérence apparemment sans faille offerte au discours explicite par la localisation de la scène aux « enfers » et le patronage luciférien sous lequel elle est placée se retrouve jusque dans le détail des actions censées sceller l’initiation satanique, le recours aux motifs obligés de l’« âme » et du « sang » s’alliant avec le rappel direct du cérémoniel franc-maçon contenu dans la mention du « crâne » tandis que celle de « l’entrée des novices » s’inscrit tout autant dans le cadre de l’initiation maçonnique qu’elle constitue un clin d’œil provocateur à l’univers des communautés religieuses. Le « sang du déshonneur » évoqué dans un tel contexte renvoie de façon tout aussi indiscutable au verdict d’infamie qui frappe le signataire du pacte avec le diable et plus spécialement le poète en raison de l’affinité fondamentale qui unit celui-ci aux « cercles infernaux [71] », la pertinence de la lecture symbolique se voyant confirmée par le parallèle évident avec le « déshonneur de poète estropié [72] » revendiqué par la figure centrale de Syndrome albatros. L’interprétation de l’allégeance à « lucifer » en tant que signe d’un « refus du salut [73] » dont la théâtralité appuyée reflète sur le mode de l’actualisation parodique l’ambivalence du dandysme romantique - « la damnation même, revendiquée à cor et à cri, n'est qu'un bon tour qu'on joue à Dieu [74] » - fait cependant l’objet d’une remise en question décisive - qui porte moins sur sa pertinence intrinsèque que sur son statut supposé d’horizon exégétique indépassable - dans la mesure où l’intégralité de la séquence se prête à une lecture inversée à la plausibilité tout aussi indéniable - ce qui est d’ailleurs le cas pour l’ensemble de la chanson pour lequel on doit renoncer à détailler ici les modalités d’intrication des plans discursifs -, la démarche de réaccentuation herméneutique et l’interdépendance paradoxale qu’elle établit entre les deux niveaux de lecture reposant entièrement sur la redéfinition de la figure diabolique suggérée par l’équivalence mythologique et astronomique entre Lucifer et Vénus : la restauration de la dimension purement sexuelle du processus qui résulte de la substitution ainsi opérée ouvre la voie à une lecture alternative de la « première descente aux enfers » issue essentiellement de la sollicitation du sensus etymologicus, la formulation thiéfainienne apparaissant en ce sens comme l’équivalent exact de l’intitulé Descente au sous-sol [75] donné par Klossowski à un tableau d’inspiration tout à fait similaire.
La notion du « sous-sol » ou de l’« étage inférieur » dans lequel cette première approche « généalogique » permet de voir le décor de l’initiation sexuelle réclame alors avec la même évidence une spécification vers la dimension du « bas corporel », l’assimilation des « enfers » à la zone génitale de la femme donnant elle-même lieu à une réinterprétation anatomique à caractère éminemment profanatoire tant de la notion de « face nord » contenue dans le titre de la chanson que de celle d’« entrée des novices » qui lui fait écho dans le cours du texte - pour ne rien dire des possibilités d’élucidation suggestives qu’elle offre rétrospectivement au « fox à poil dur » que la strophe précédente désigne précisément comme substitut de « dieu ». L’enchaînement parfaitement huilé des réorientations successives - métaphore approximative qui a pour unique fonction de rendre compte du caractère totalement organisé de l’expression thiéfainienne, la réunion des strates associatives de l’évocation dans la simultanéité d’un même acte énonciatif restant comme on l’a déjà souligné la caractéristique essentielle du discours énigmatique - arrive à son terme à travers la réécriture implicite de la cérémonie d’absorption du sang qui constitue sur l’ensemble des plans du discours polysémique le point culminant de l’hommage à Lucifer-Vénus : la priorité accordée à la connotation sexuelle par la réévaluation du contexte de l’évocation impose ici l’identification du « sang du déshonneur [76] » à celui de la défloration, la désignation traditionnelle à caractère dépréciatif étant précisément créatrice de la dimension multivoque de la formule dont on a constaté précédemment l’adéquation tout aussi évidente à la situation de paria métaphysique qui est celle du poète. La mention du « crâne » complète la relecture sacrilège par l’adjonction de la référence sous-jacente au cunnilingus, telle que l’établit de façon parfaitement transparente le transfert sémantique qui fait du propre « crâne » du protagoniste - soit de sa bouche par assimilation métonymique - le réceptacle destiné à recueillir le « sang du déshonneur » - dans une similitude rigoureuse avec l’utilisation réservée au « sang de ta plaie [77] » dans Garbo XW machine -, tandis que la restauration de la signification première de l’anima comme « souffle » permet l’intégration du renvoi à l’« âme » dans un contexte interprétatif auquel l’acception théologique usuelle apparaît irrémédiablement étrangère.
La réinterprétation corporelle des présupposés dogmatiques voit son caractère de provocation exacerbé dans les cas où son application directe aux figures divines se substitue à la mise à distance relative - et comme telle modificatrice de l’impact sacrilège - qui résulte du détour par le parallèle avec les agissements du protagoniste ou de sa partenaire, la nature scandaleuse de l’évocation restant alors attachée aux personnages humains sans impliquer nécessairement la participation active des instances supérieures essentiellement vues comme objet de la dérision blasphématoire : la proclamation « dieu est amour » exprimée d’entrée sur un mode ambivalent dans le texte de La nostalgie de dieu donne lieu à une reformulation au potentiel subversif évident - bien que reflétant incontestablement le postulat théologique - au cours de la litanie parodique qui conclut la chanson, la cohérence inattendue du détournement « god gode ! [78] » étant soulignée à plaisir par l’homophonie du jeu de mots plurilingue. La réécriture grotesque du miracle des noces de Cana proposée dans le même texte sous la forme « & jésus change le beurre en vaseline [79] » - en écho littéral au vers de 113e cigarette sans dormir « les dieux changent le beurre en vaseline [80] » - procède de la même logique de radicalisation de l’appel christique à « la vie dans l’amour, dans l’amour sans exception et sans exclusion, sans distance [81] » - dont Thiéfaine propose la retranscription comprimée à travers la formule « le crapaud qui gueulait je t’aime [82] » et son renvoi implicite à Jésus - : la métamorphose de l’eau en vin qui tire d’embarras le fiancé du récit biblique intervient ici sur un accessoire que sa proximité avec la dimension essentielle des « noces » qualifie particulièrement pour servir de véhicule à la célébration de l’accomplissement sexuel « no limit [83] », celui-ci devenant à son tour le symbole de la communion de l’homme avec « dieu » sur le nouveau mode instauré par la redéfinition blasphématoire. C’est dans le même but d’une réaccentuation physico-érotique - elle-même synonyme d’un démenti symbolique d’autant plus définitif qu’il reste au plan latent du discours - appliquée au modèle monastique et à la règle de vie qui caractérise ses diverses déclinaisons que les dénominations spécifiques renvoyant aux représentants de la vita contemplativa sont utilisées pour qualifier les phases successives et opposées du parcours du protagoniste de Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable déclarant :
j’me sens coupable d’être tombé de cénobite en anachorète et d’avoir arrêté de partouzer [84]
La redéfinition inopinée du contexte de l’évocation dictée en fin de séquence par l’infinitif « partouzer » - le changement brutal de perspective se reflétant au niveau stylistique dans la rupture de registre marquée qui intervient à cet endroit du vers - entraîne la réinterprétation rétrospective des notions de « cénobite » et d’« anachorète » marquant dans le nouveau cadre énonciatif les extrémités opposées du spectre des comportements sexuels : l’inadéquation foncière des désignations devient a contrario l’indice de l’absurdité des formes d’existence qu’elles incarnent au sens usuel, et que reflète de façon tout aussi suggestive le profil discursif calqué sur celui de l’expression « tomber de Charybde en Scylla » renvoyant à l’aggravation d’une situation foncièrement intenable, puisqu’elle ne peut être appréhendée que sous l’angle négatif quel que soit l’aspect retenu pour sa définition - la logique du renversement sacrilège conduisant alors à une inversion tout aussi radicale des présupposés d’évaluation qui restaure sa légitimité à chacun des choix de vie évoqués à travers le travestissement religieux.
La confusion de principe entre la sphère universelle de l’Éros et le prétendu domaine réservé de la caritas dont le discours thiéfainien dévoile par la même occasion le caractère d’édulcoration mensongère est à l’origine de la réinterprétation provocatrice à double entente dont font l’objet les figures des « bonnes sœurs » dans le texte de L’amour est une névrose, la dimension sacrilège établie sans contestation possible au niveau du discours explicite se doublant d’une charge blasphématoire « à rebours » - et à l’impact tout aussi dévastateur - sous l’effet de l’inversion latente des présupposés du discours que déclenche inéluctablement la redéfinition sous les auspices de la sexualité de la notion même de « bonne sœur » :
blues de chiennes en chaleur
qui retournent à la niche
à l’heure où les bonnes sœurs
font bander les caniches [85]
L’oscillation entre la lecture littérale et l’acception métaphorique des constituants du discours renvoyant à l’animalité constitue le pivot de l’organisation du discours multivoque, le renvoi au « chiennes en chaleur » - qui rappellent l’évocation riche de sous-entendus des « chiennes en manteau de fourrure [86] » rencontrée dans Psychopompes, métempsychose et sportswear - imposant le recours au sens figuré avec la même évidence que l’association des « caniches » et des « bonnes sœurs » amène au premier abord à privilégier pour chacun des termes la signification première évoquant respectivement des animaux de compagnie et les membres d’une congrégation féminine, le choix de la lectio facilior confirmant du même coup l’hypothèse d’une utilisation comme objet sexuel de substitution qui serait réservée aux premiers par les secondes : la perception du caractère indéniablement sacrilège du discours thiéfainien apparaît à ce stade initial de l’investigation étroitement liée à sa dimension de dénonciation de l’imposture à laquelle se voit assimilée la vie monacale, l’intention de dérision cynique primant par ailleurs sur celle d’une critique en règle de l’institution religieuse. La cohérence suggestive de la lecture littérale ne saurait cependant faire obstacle à la sollicitation complémentaire du sensus metaphoricus par laquelle les « caniches » revenus à leur nature humaine deviennent le pendant exact des « chiennes en chaleur », le parallélisme de l’évocation par le biais du travestissement canin reflétant ainsi leur statut de représentants du « conjugal destin » évoqué dans la strophe précédente. [87] L’exigence complémentaire d’une redéfinition des « bonnes sœurs » - préliminaire indispensable à la mise au point d’une offre herméneutique cohérente et comme telle susceptible de concurrencer l’évidence du résultat initial - concerne alors tant le rôle des figures féminines que le cadre de leur rapport aux « caniches », le caractère sexuel du rapprochement constituant le dénominateur commun entre la première option exégétique et la réaccentuation apportée par la lectio difficilior. La parenté immédiatement décelable avec les « p’tites sœurs éphémères [88] » de Fin de partie et l’assimilation à des prostituées qu’elle suggère confère toute sa profondeur ambiguë au choix du parallèle religieux dont elle souligne a contrario la portée révélatrice, dépassant du même coup la seule dimension scandaleuse de la démarche blasphématoire : en tant que réalisation effective de l’exigence d’amour ou du moins de la dimension physique qu’elle recouvre, le service dispensé aux « caniches » dans le cadre des rapports tarifés constitue l’antithèse de l’activité de bienfaisance des authentiques « bonnes sœurs » que la réduction à la seule caritas prive de toute efficacité réelle, le simulacre de soulagement de la misère existentielle à l’adresse exclusive d’un « être asexué [89] » - et la falsification réductrice du postulat d’amour universel à laquelle l’assimile le cynisme blasphématoire - apportant au plan implicite une nouvelle illustration de l’équivalence « amour névrose [90] ». Notons pour clore ce chapitre que c’est à partir de présupposés associatifs identiques que l’élargissement de l’aura connotative conduit dans 24 heures de la nuit d’un faune à une triple déclinaison de la dénomination de « bonne sœur » réunissant sur le même mode scandaleux la prostituée, l’infirmière et la religieuse, la dynamique de contamination sacrilège prenant sa source dans la possibilité de permutation dictée par l’équivalence sémantique entre les termes d’« hôtel » et d’« hôpital », telle que le recours au sensus etymologicus permet de l’établir :
à l’hosto les bonnes sœurs avaient des gueules de somnambules
et parlaient de fibromes d’hémorroïdes et de fistules [91]
L’incarnation privilégiée de l’habitus compassionnel que constitue la figure mariale apparaît d’entrée - ainsi qu’on a déjà pu le constater au début de ces réflexions lors de l’analyse de 27e heure : suite faunesque - comme une cible de prédilection pour la démarche de redéfinition blasphématoire reposant sur la réactivation appuyée de la composante érotico-sexuelle, et dont on trouve la réalisation exemplaire dans l’évocation des « cantinas » de Pulque mescal y tequila
où la musique se fait bandante
pour la pietà dolorosa [92]
La brutalité du rapprochement oxymoral qui véhicule l’essentiel de la dimension sacrilège est prise dans un entrelacement à la suggestivité tout aussi évocatrice avec l’aura multivoque qui vient contre toute attente initiale nimber le terme « bandante » , la triple lecture simultanée alliant la dimension physico-sexuelle, musicale - à travers le renvoi plurilingue à la formation de la banda ou du band - et médicale, celle-ci basculant alors vers l’idée de la consolation ou de l’apaisement apporté à la douleur qui définit la figure de la pietà : il est significatif que la formulation élaborée par Thiéfaine repose sur la contamination des termes consacrés de mater dolorosa et de pietà renvoyant à deux étapes différentes de l’accompagnement de la passion, la dynamique de détournement aboutissant à l’élimination de la composante maternelle au profit d’une caractérisation délibérément plus diffuse, et idéalement adaptée comme telle à la déclinaison des accentuations multiples parmi lesquelle la référence religieuse au sens strict ne représente qu’une possibilité d’actualisation parmi d’autres, même si elle contribue de fait de façon décisive à la réalisation de l’intention de dérision.
En tant qu’aspect connexe de la thématique mariale invitant particulièrement à une réécriture subversive, le dogme de l’Immaculée Conception se voit gratifié dans la séquence initiale de Un vendredi 13 à 5 heures d’une reformulation parodique dont l’apparente absurdité obéit à une stricte logique de remise en question sous-jacente, la dénomination concurrente substituée par le discours thiéfainien au concept théologique dévoilant dès l’abord - et donc au seul plan de la dynamique énonciative où le processus de dérivation en miroir déformant garantit la suggestivité immédiate du détournement homophonique - son caractère de réinterprétation programmatique de celui-ci :
ce sera sans doute le jour de l’immatriculée-contraception ou une connerie comme ça [93]
La redéfinition proposée par Thiéfaine se rattache à l’évidence à la critique nietzschéenne avec laquelle elle partage la démarche de remise en question radicale opposée à la formulation dogmatique, le démenti explicite exprimé par le discours philosophique empruntant également la voie du jeu de mots révélateur :
Et un dogme de « l’Immaculée Conception » par-dessus le marché ? - Mais ainsi, elle a maculé la conception. [94]
La dimension proprement polémique de la sentence de Nietzsche est relayée dans le parallèle thiéfainien par le processus multivoque d’un démontage implicite - mais à l’efficacité tout aussi redoutable - de la notion problématique d’« Immaculée Conception » dont chacun des termes se voit opposer un démenti catégorique au niveau même de la dynamique discursive, la reductio ab absurdum du postulat théologique se traduisant in fine par la suppression pure et simple de la possibilité même du phénomène dont le discours religieux est censé établir la réalité effective. La « contraception » apportant l’évidence de son écho inhibiteur à la fiction de la « conception » voit son aura associative s’enrichir significativement sous l’effet de l’oscillation sémantique décelable autour du participe « immatriculée » qui constitue ici le facteur déterminant pour l’appréhension de la polysémie énigmatique : l’acception littérale de l’immatriculation renvoyant à l’idée d’un enregistrement officiel et par là même d’une approbation du processus contraceptif s’allie à la lecture étymologique qui signe à la fois le renvoi direct à la matrice [95] - et donc à la thématique de la « conception » - à travers le diminutif matricula et l’invalidation apportée à celui-ci par l’acception privative du préfixe, la réaccentuation du « imm- » amenant à son terme aussi bien le parallélisme avec l’énoncé d’origine que la spirale de dénégation caractéristique de la séquence. Une autre caractéristique essentielle de la démarche de redéfinition provocatrice réside dans le fait que la dynamique de permutation sous-jacente mise en place par Thiéfaine conduit ipso facto à l’élimination totale de la notion de souillure, le discours multivoque tirant au seul plan implicite la conséquence radicale de la critique virulente émise par Nietzsche. La réhabilitation de l’Éros trouve une confirmation a posteriori dans l’allusion apparemment transparente à la « connerie » dont la pertinence dépasse cependant là aussi l’évidence du jugement porté sur le dogme religieux : la restitution du sensus etymologicus et le renvoi au sexe de la femme qu’il implique [96] réduit de nouveau à néant la possibilité d’une vision unilatéralement spiritualisante et « asexuée » telle que la dicte le discours théologique, la valorisation de la sphère corporelle intervenant comme de coutume au niveau latent du discours et par le biais du détournement cynique qui constitue la signature de l’expression thiéfainienne.
À la réécriture scandaleuse de l’arsenal dogmatique répond le travestissement du substrat biblique en tant que support récurrent de la dynamique érotico-blasphématoire, la sollicitation sous cet angle spécifique s’inscrivant par ailleurs dans le contexte général de l’appréciation formulée par l’auteur :
Et la Bible, aujourd’hui, j’en parle beaucoup dans mes chansons. [97]
Un exemple singulièrement éclairant de renversement sacrilège est ainsi constitué par les agissements sur fond de « cantique des cantiques » que le texte de Paranoïd game attribue à la figure de la « mère supérieure [98] » : la position dominante qui échoit à celle-ci au sein de la congrégation religieuse - ou plus exactement de l’équivalent implicite et scandaleux que lui substitue la dynamique de réaccentuation blasphématoire - reflète à un degré correspondant d’élévation les qualités révélées par la lecture métaphorique des « bonnes sœurs », le primat de la connotation sexuelle qui se révèle dans les vers de Thiéfaine ne faisant en fin de compte que restaurer au texte sa signification première oblitérée à dessein par la tradition exégétique. La même conséquence de la relecture subversive se fait jour à travers la paraphrase quasi littérale de Matthieu, 7, 6 rencontrée dans les vers de Fenêtre sur désert :
je me revois rêveur errant
riant au milieu des pourceaux
à qui tu jetais tes diamants
tes perles et tes vade retro [99]
La dynamique d’inversion autour de laquelle s’articule le discours poétique prend sa source dans le démenti apporté à l’injonction évangélique dont la figure féminine apostrophée tout au long du texte par le protagoniste incarne au contraire la transgression voulue et permanente, la redéfinition érotico-sexuelle des « perles » et des « diamants » sur le modèle des Bijoux de Baudelaire suggérant à son tour une réinterprétation correspondante des partenaires animaux dont le rapprochement avec le texte de 542 lunes et 7 jours environ permet d’établir le modèle, la forme humaine indirectement restituée aux « pourceaux » conservant néanmoins intacte leur fonction de représentants d’une animalité symbolique :
une fille dans chaque port et un porc qui sommeille
dans chaque salaud qui rêve d’une crampette au soleil [100]
L’aura associative de la scène axée sur l’évocation d’une féminité séductrice et à l’impact potentiellement destructeur crée la possibilité d’une double transformation blasphématoire du cadre référentiel – elle-même issue de l’approfondissement de la lecture multivoque des « pourceaux » et aboutissant dans les deux cas à un renforcement de la connotation sexuelle – : la suggestivité de la référence homérique à la figure de Circé - et à la métamorphose animale qu’elle réserve aux compagnons d’Ulysse - se surimpose au plan sous-jacent du discours au tableau d’inspiration biblico-médiévale [101] renvoyant pour sa part à l’univers de la Cour des Miracles de Notre-Dame de Paris et à la fascination irrésistible qu’y exerce Esméralda sur les existences marginales évoluant à la frontière de l’animalité, le « rêveur errant » sous les traits duquel se présente le protagoniste rappelant alors la figure du poète Gringoire succombant à l’attraction qui émane de la mystérieuse inconnue. Le potentiel d’évocation extra-biblique est en même temps concurrencé - y compris en tant que vecteur du détournement sacrilège - par la cohérence impressionnante de la triple référence évangélique dont la mise en œuvre totalement organisée témoigne d’une connaissance approfondie tant des séquences textuelles proprement dites que de la logique synoptique qui régit les interactions entre les différents versets : la parabole des perles jetées aux pourceaux empruntée comme on l’a déjà signalé à Matthieu 7, 6 est relayée en fin de strophe par le renvoi direct à Marc 8, 33 - ou à la formule classique d’exorcisme basée sur ces mêmes paroles de Jésus - contenu dans le « vade retro » dont le rayonnement conjuratoire est lui-même prolongé au niveau du discours implicite par le rappel sous-jacent du récit de Luc 8, 26 bannissant les démons dans les corps des pourceaux, la densité du réseau des correspondances bibliques allant ici de pair avec le renforcement du parallèle romantico-hugolien au langage particulièrement riche en réminiscences du même ordre. L’ambivalence de la formule apotropaïque placée dans la bouche de la figure féminine repose en premier lieu sur l’opposition entre le caractère scandaleux que revêt l’assimilation implicite de la séductrice à la figure charismatique de Jésus et la conclusion faussement rassurante suggérée par la lecture spontanée de l’exhortation latine, la fin de non-recevoir apparemment sans équivoque opposée aux « pourceaux » semblant effectivement satisfaire in extremis aux exigences de la mise en garde énoncée dans le texte de la parabole. L’omniprésence de l’accentuation sexuelle telle qu’elle ressort tout aussi incontestablement de l’investigation de l’aura connotative impose par contrecoup l’urgence d’un ultime détournement blasphématoire opéré par le seul retour à l’acception littérale, la polysémie du discours énigmatique invitant alors dans une exacerbation de son potentiel subversif à une lecture concurrente dans laquelle les « vade retro » lancés par le personnage féminin à ses adorateurs appellent à l’application dans toute sa littéralité érotico-corporelle du programme alternatif d’une approche « à rebours [102] », tel que l’énonce le texte d’Exil sur planète-fantôme paraphrasant le « retro vivere [103] » de Sénèque.
L’équivoque récurrente instaurée par le discours thiéfainien entre l’interprétation sexuelle et l’acception symbolique de l’attitude « à l’envers [104] » qui constitue la signature symptomatique de l’existence poétique reflète la complexité du spectre associatif commun tant aux deux formulations complémentaires de la dynamique d’inversion - le « vade retro » constituant sous cet aspect spécifique l’équivalent exact du processus d’appréhension « à rebours » - qu’à la traduction en apparence exclusivement sexuelle qu’en donne le terme de « sodomie » dont il s’avère cependant opportun de préciser les possibilités de redéfinition métaphorique, et ce d’autant plus que la fonction signalétique marquée - dépassant ainsi la seule dimension de la sexualité scandaleuse - dont il est investi dans les textes de l’auteur se situe dans un rapport direct avec les implications extra-corporelles voire purement philosophiques de la démarche de renversement blasphématoire inaugurée par celui-ci.
Le traitement en raccourci du motif à travers l’énumération « sodomie trash & fantaisie [105] » signant la réinterprétation provocatrice des festivités du Joli mai mois de Marie ou l’allusion à double entente « et je change à Sodome [106] » de Femme de Loth dictée par le contexte initial évoquant un trajet en métro est complété par l’évocation plus détaillée de Chambre 2023 (et des poussières) - citée intégralement en ouverture de ces lignes - décrivant le décor nocturne
où les anges déchus sous un ciel de carbone
aux heures crépusculaires sodomisent les miroirs [107]
La présentation jouant sur le registre blasphématoire et plus spécifiquement satanique établit la dimension multivoque tant de l’acte sodomite que de son objet supposé dont la dynamique du discours fait ressortir pour les opposer par le biais d’une lecture croisée à la fois la qualité symbolique et la réalité physique, la perception littérale d’un des constituants de la formule énigmatique induisant la réinterprétation métaphorique de son corollaire et inversement : par la possibilité voire la nécessité de la permutation des critères d’appréhension qu’il suggère, le cut-up implicite réalise au niveau des processus énonciatifs la traduction de l’idée d’inversion des catégories qui forme le dénominateur commun entre la sodomie et le miroir, illustrant de manière remarquablement adéquate le postulat d’une écriture totalement réfléchie à laquelle « on ne peut pas changer un mot [108] ». La lecture littérale de la sodomie en tant que pratique sexuelle pose ainsi la question de l’objet sur lequel elle s’exerce et dont le « miroir » apparaît alors comme la désignation cryptique, pour laquelle le rapprochement avec le miroir de Vénus et sa fonction usuelle de représentation symbolique du sexe féminin - et plus spécialement de l’utérus - offre une possibilité d’identification d’autant plus convaincante qu’elle réapparaît dans une série de textes de l’auteur, établissant le principe d’une polysémie à forte composante sexuelle régissant les diverses modalités de traitement du motif. [109] La conservation de l’acception usuelle du « miroir » en tant que surface réfléchissante déclenche à l’inverse la réévaluation symbolique de la sodomie qui bénéficie d’emblée de la caution nietzschéenne, l’approche « à rebours » initiée précisément par les figures des « anges déchus » présentant une analogie révélatrice - et qui renforce du même coup la connotation blasphématoire - avec la dénonciation des modalités d’appréhension du monde propres aux représentants du discours religieux dans lesquels la critique philosophique voit
ceux qui n’ont ni trêve ni repos qu’ils n’aient vu le monde par-derrière, - ces hallucinés de l’arrière-monde ! [110]
L’éclairage apporté par le sensus metaphoricus à l’entreprise de sodomisation trouve un écho à la symétrie parfaite dans la réflexion nietzschéenne sur la signification allégorique du miroir en tant qu’illustration exemplaire de l’aporie de la connaissance humaine, la littéralité de l’objet constituant ici comme dans le texte de la chanson le préalable à l’élaboration de son approfondissement symbolique :
Si nous essayons de contempler le miroir en soi, nous finissons par n’y trouver que les choses qui s’y reflètent. Si nous voulons saisir ces choses, nous ne rencontrons finalement rien d’autre que le miroir. - Telle est l’histoire générale de la connaissance. [111]
Il paraît de ce fait indiqué de prolonger le jeu de miroirs par le renvoi à l’impressionnante reformulation concentrée de la sentence philosophique opérée par Thiéfaine dans Nyctalopus airline :
je pars vers le chaos caché
dans les vestiges de ma mémoire
quand je ne sais plus de quel côté
se trouvent mes yeux dans les miroirs [112]
L’offre thiéfainienne d’une quadruple lecture de la « sodomie » et des « miroirs » réunissant deux à deux dans une disposition inversée les motifs emblématiques déclinés alternativement sur le mode littéral ou métaphorique ajoute à sa complexité intrinsèque la densité tout aussi frappante du halo associatif où la richesse des accentuations voit sa perception favorisée par la précision extrême apportée à la mise en place du mécanisme sous-jacent de l’entrelacement des références, le rapport de conditionnement et d’élucidation réciproques qui se crée entre les constituants de l’intertextualité installant au niveau latent de la dynamique d’énonciation une nouvelle équivalence révélatrice avec l’approche « à rebours » ou par le biais des « miroirs » thématisée dans le cadre du discours explicite. L’aspiration réelle ou symbolique à « franchir le miroir [113] » et les modalités de réalisation spécifiques que lui réserve le détour par l’habitus de la sodomie prennent ainsi tout leur relief subversif d’exposants de la démarche érotico- blasphématoire à travers l’association du parallèle nietzschéen tel qu’on vient d’en esquisser les contours et de la réflexion développée par Klossowski autour de la conception sadienne de la sodomie, l’hétérogénéité primitive des deux conceptions s’effaçant ici de façon définitive devant l’évidence conférée à leur superposition par la dynamique du discours multivoque :
[…] la sodomie se prononce par un geste spécifique de contre-généralité […] : c’est celui qui frappe précisément la loi de propagation de l’espèce et qui témoigne ainsi de la mort de l’espèce dans un individu. Non pas seulement d’une attitude de refus, mais d’une agression : tout en étant le simulacre de l’acte de génération, il en est la dérision. Dans ce sens il est également simulacre de destruction qu’un sujet rêve d’exercer sur un autre du même sexe par une sorte de transgression mutuelle de leurs limites. Exercé sur un sujet de l’autre sexe, il est un simulacre de métamorphose, et s’accompagne toujours d’une sorte de fascination magique. Et en effet, en tant qu’il transgresse la spécificité organique des individus, ce geste introduit dans l’existence le principe de la métamorphose des êtres les uns dans les autres, que tend à re-produire la monstruosité intégrale et que postule la prostitution universelle, ultime application de l’athéisme. [114]
La double grille de lecture sacrilège dont on a détaillé ici l’ancrage référentiel conserve sa pertinence et sa possibilité d’application aux diverses occurrences du motif de la sodomie indépendamment de la mise en relation de celui-ci avec le thème du miroir, les exemples de traitement allusif cités plus haut suggérant tout autant la constatation d’une réappropriation implicite du substrat nietzschéo-klossowskien que le second renvoi de plus grande ampleur au processus de sodomisation pour lequel le prisme déformant de « la nuit de la samain » invoquant « sainte citrouille halloween » se prête idéalement à la surenchère blasphématoire :
vision chorégraphique d’un trip au bord du vide
où le danseur en croix sodomise un lépreux [115]
La mention de la sodomie dont il est superflu de repréciser les implications associatives commande la réaccentuation sexuelle et comme telle délibérément scandaleuse des motifs de la « croix » et du « lépreux », l’outrance volontaire de l’évocation suggérant l’idée d’une escalade dans le grotesque macabre tout à fait conforme à l’atmosphère du « carnaval souterrain [116] » dont le texte de la chanson décline les incarnations improbables. La lecture immédiate axée sur l’impact provocateur de la « vision [117] » transgressive se voit cependant adjoindre au sein du discours multivoque la possibilité complémentaire de sa retraduction en termes physiquement acceptables, la restitution de la plausibilité voire de la « normalité [118] » du rapprochement physique conduisant du même coup à l’approfondissement du détournement sacrilège tant du point de vue de ses implications connotatives qu’en ce qui regarde plus spécifiquement l’identification de son support énonciatif, tandis que la mise en scène aux couleurs « saturnales [119] » n’apparaît plus alors que comme le travestissement spectaculaire d’une dynamique de subversion sous-jacente qui « mixe à l’envers nos envies [120] ». La redéfinition non-pathologique du motif du « lépreux » en tant que désignation cryptique de celui qui donne ou reçoit un baiser suppose ainsi l’élucidation de la confusion homophonique instaurée par Thiéfaine entre la « lèpre » et les « lèvres » dans le cadre de la logique de contamination oxymorale qui régit l’élaboration de la séquence [121], les lèvres devenant le substitut métonymique du baiser dans le rappel - ou plus exactement la recomposition comprimée au niveau sous-jacent des processus énonciatifs - du motif du baiser au lépreux issu de la légende de saint François d’Assise. La substitution du sensus metaphoricus hérité de la poésie latine au sens littéral renvoyant à la tradition chrétienne établit la dimension érotico-sexuelle du motif de la « croix » comme de son corollaire de la « crucifixion » - qui prend sa résonance caractéristique à travers le rappel de son emploi figuré dans le excrucior [122] de Catulle -, la pertinence récurrente de la double lecture érotico-religieuse des évocations de la crucifixion dans le discours des chansons ressortant cependant encore davantage de l’évidence du renvoi parallèle à la Crucifixion en rose de Henry Miller - dont l’œuvre constitue de l’aveu même de Thiéfaine une des principales constantes référentielles dans le « paysage intime [123] » de sa création. Dans le cas du vers de La nuit de la samain, le recentrage sur la sphère sexuelle concentre la dynamique de subversion non plus sur la seule sollicitation directe de la dimension blasphématoire à travers l’image scandaleuse du « danseur en croix » supposé évoquer l’image du Christ, mais bien plutôt sur l’activation simultanée des deux significations concurrentes du motif multivoque par laquelle le renvoi explicite à la crucifixion devient l’équivalent exact de l’acte sexuel dont la présence effective est décelable au niveau du halo référentiel, tout en conservant la charge symbolique inhérente à sa signification religieuse et dont l’inadéquation absolue avec le résultat de la reconstitution associative établit la qualité sacrilège de la formulation. La triple déclinaison du motif de la « croix » réalisée dans L’amour est une névrose - où les motifs en apparence indéniablement religieux du « christ » et du « calvaire » garantissent la cohérence du registre d’expression également soulignée au plan acoustique par l’effet d’allitération qui réunit les trois termes-clés de la séquence - doit la reconnaissance immédiate de sa qualité scandaleuse à l’association avec la thématique sexuelle créée par la disposition en écho des deux moitiés de la strophe, la neutralité sémantique de l’enchaînement parataxique établissant parallèlement la double possibilité d’un rapport d’équivalence autant que d’antagonisme dont l’exploration de l’aura connotative permet alors de préciser le mécanisme de fonctionnement :
juste une jupe relevée
sur une banquette arrière
et un christ embourbé
sur la croix d’un calvaire [124]
L’évidence sans fard et volontairement sans détours du premier distique - qui possède un parallèle direct dans le texte d’Amants destroy sur lequel on se penchera en fin de ces réflexions - constitue ici le point de référence irréfutable à partir duquel se dessine le profil multivoque des deux vers suivants pour lesquels la concurrence des options exégétiques oblige à une perception « schizoïde et bifide [125] » où se voit cependant maintenue jusqu’au terme du processus de décryptage l’indissociabilité des approches hétérogènes. Une première amorce d’élucidation se dégage ainsi de la constatation renouvelée de l’affinité avec la critique nietzschéenne dont le texte décline sur le mode de la dérision parodique la mise en accusation véhémente de l’appel à l’« autocrucifiement » et à l’« autoprofanation [126] » véhiculé implicitement par l’image du Christ en croix :
- Dieu sur la croix, - ne comprend-on toujours pas la terrible arrière-pensée qu’il y a derrière ce symbole ? - Tout ce qui souffre, tout ce qui est suspendu à la croix est divin… Nous tous, nous sommes suspendus à la croix, donc nous sommes divins… Nous seuls, nous sommes divins… [127]
L’inanité de l’offre de sens incarnée par la figure de « Dieu sur la croix » ressort idéalement de la présentation thiéfainienne du « christ embourbé » qui souligne aussi bien l’impasse métaphysique dans laquelle conduit le discours chrétien que le retournement paradoxal du verdict « nihiliste » de dénonciation du monde « fangeux [128] » dont l’application littérale s’effectue ici au détriment du représentant emblématique de la démarche de dénégation du réel. L’assimilation de « nous tous » au personnage « suspendu à la croix » - et par là même au supposé caractère « divin » de celui-ci - trouve parallèlement une retranscription adéquate à travers la transformation du nom même de « christ » en vocable générique susceptible comme tel de s’appliquer à tout un chacun et de devenir ainsi le véhicule de représentations variées : la réaccentuation sexuelle de la démarche de subversion blasphématoire ainsi que sa surimposition à l’intention de dévoilement philosophique s’impose alors avec d’autant plus de force qu’elle prolonge au plan implicite la référence dominante des deux vers précédents tout en possédant sa cohérence propre telle que la met en lumière la relecture étymologique de la triade religieuse : la possibilité récurrente d’une évocation métaphorique de la « crucifixion » en tant qu’évocation de la sexualité dont on a précisé plus haut le cadre référentiel prend une consistance toute corporelle - entraînant l’adjonction au « christ » d’une figure partenaire à laquelle sont alors réservées les désignations de la « croix » et du « calvaire » - sous l’effet des lectures alternatives suggérées d’une part par la signification anatomique de la « crux » telle qu’elle reste encore perceptible dans les termes « crural » ou « cruralgie », d’autre part par l’identification de la « croix » avec la sphère de la féminité considérée dans son rapport à l’Éros, la possibilité d’assimilation trouvant ici sa matérialisation dans l’attribut déjà évoqué du miroir de Vénus dont la partie inférieure présente effectivement la forme d’une croix. La redéfinition des contenus énonciatifs sous l’aspect du rapprochement physique va également de pair avec la réévaluation de l’embourbement opérée à partir de la représentation visuelle des positions adoptées par les personnages, le sensus etymologicus du « calvaire [129] » renvoyant à tout endroit dégarni du corps humain permettant une reprécision supplémentaire ad libitum en fonction des priorités d’orientation retenues. L’équivoque irréductible qui nimbe aussi bien les constituants du distique que l’ensemble du discours élaboré autour du motif de la « croix » apparaît ainsi comme le véhicule de la double charge sacrilège dont seule la dimension sous-jacente est porteuse de l’entrelacement érotico-blasphématoire, la mise au jour du substrat corporel entraînant la disparition pure et simple des supposés motifs religieux dont la logique du détournement d’inspiration philosophique réalise pour sa part l’invalidation au niveau de leur signification première.
La culmination blasphématoire mise en place autour du motif de la « croix » dans la séquence finale de 113e cigarette sans dormir trouve également son origine dans l’apparence univocité de la référence religieuse, le corollaire d’une possible réaccentuation sexuelle et la possibilité d’une lecture multivoque qu’elle recèle entraînant par contrecoup l’enrichissement sous-jacent de l’impact subversif :
manipulez-vous dans la haine
et dépecez-vous dans la joie
le crapaud qui gueulait je t’aime
a fini planté sur une croix [130]
La revendication spectaculaire de la qualité sacrilège opérée au plan du discours explicite fait se succéder l’injonction solennelle reproduisant pour mieux l’invalider au niveau du contenu l’habitus du discours biblique et la rupture de registre apportée par le travestissement animal de la figure de Jésus - dont la réitération provocatrice de l’appel à un « amour sans exception et sans exclusion, sans distance [131] » garantit d’emblée l’identification avant même que celle-ci se voie confirmée par le rappel explicite des modalités de sa fin. L’oscillation entre l’acception littérale du renvoi à la crucifixion et la possibilité de sa transposition à la sphère de la sexualité - telle que la suggère l’analogie avec le « suffixum in summa me memini esse cruce[132] » par lequel Catulle décrit ses souffrances d’amoureux - oppose à l’évidence de la lecture immédiate le cadre exégétique alternatif d’une polysémie érotico-blasphématoire dans lequel chacun des constituants de la séquence a vocation à trouver sa place, la dévalorisation cynique et empreinte d’ambivalence de l’image du Christ en croix cédant la place à sa retraduction en des termes diamétralement opposés aux catégories de l’iconographie chrétienne : la plasticité nouvelle revêtue par le verbe « planté » à travers son association à la redéfinition de l’idée de la « croix » répond aux perspectives tout aussi évocatrices qui se dessinent à l’issue de la réévaluation des impératifs « manipulez » et « dépecez » [133], l’équivalence absolue ainsi suggérée entre le comportement des figures apostrophées par le protagoniste et celui prêté au « crapaud » venant apporter une conclusion appropriée quoique toujours de nature subliminale à la dynamique de détournement subversif. La superposition du niveau explicite renvoyant à la sphère du religieux et de la strate sous-jacente axée sur l’évocation de la sexualité se répète par ailleurs à l’identique dans les séquences de la chanson où la rétrospective historique prend le pas sur le règlement de compte avec les « dieux » ou les « prophètes » [134], établissant par là même de façon indiscutable la prééminence de la polysémie énigmatique en tant que modalité essentielle de l’organisation du discours thiéfainien indépendamment de la nature des contenus à la fois réunis et opposés par la dynamique de contamination oxymorale.
L’inversion des polarités de l’évocation dictée par le déplacement de l’accentuation sacrilège en direction de la figure féminine - celle-ci étant présentée comme l’actrice principale de la crucifixion symbolique - modifie l’intrication des implications antagonistes dans les vers de Je t’en remets au vent où le protagoniste décrit sa partenaire comme
deux ans suspendue à ta croix
à veiller sur mes insomnies [135]
La double lecture érotico-scandaleuse dont le texte présente un exemple achevé à ce stade précoce de la production de l’auteur [136] embrasse dans un résumé suggestif aussi bien le renvoi symbolique au sacrifice consenti par le personnage féminin que la possibilité implicite d’une réinterprétation sexuelle de son attitude, la dynamique blasphématoire trouvant ses expressions respectives et complémentaires dans l’assimilation à la figure de Jésus qui sous-tend la lecture traditionnelle du motif de la « croix » et dans l’escamotage pur et simple de la connotation religieuse entraîné par la prise en compte de la dimension sexuelle.
La déclinaison de la variante féminine de la crucifixion rencontrée dans Villes natales et frenchitude vient s’intégrer dans un cadre d’évocation remarquablement homogène et dominé au plan de la perception immédiate par l’évocation d’un ennui insurmontable, l’adjonction de la lecture sexuelle dérivée du sensus etymologicus - et dont les constituants se superposent exactement à chacun des termes de l’énoncé explicite - présentant la particularité inattendue de déclencher moins une remise en question latente des modalités d’appréhension initiales qu’un approfondissement de leur suggestivité originale - et par là même de la cohérence intrinsèque du discours qui fait se rejoindre au plan supérieur de la résonance symbolique les deux aspects complémentaires et opposés de l’association érotico-blasphématoire :
trop longtemps zoné dans ce bled
à compter les minutes qui tombent
à crucifier de fausses barmaids
sur les murs glacés de leur tombe [137]
La strophe de Thiéfaine laisse entrevoir dès l’abord - et d’autant plus après la mise au jour de l’ensemble des connotations d’ordre sexuel qu’elle recèle - des possibilités fascinantes de rapprochement avec la lecture de Sade élaborée par Pierre Klossowski à partir de la notion théologique de la « delectatio morosa » basée sur « l’expérience de la déficience de l’être et du temps sans éternité » tels que peuvent seuls la faire les « personnages sadistes qui n’éprouvent l’éternel que sous le mode de l’ennui de leurs âmes désœuvrées [138] » :
Ces derniers trouvent alors dans le temps destructeur à la fois le complice et l’expression même de leur propre tendance à la destruction. […] À l’origine on retrouve toujours le divorce conscient avec Dieu et la perte du sentiment de l’éternel qui n’a pas pour autant atteint l’union affective de l’âme. […]
La souffrance de l’âme en proie au temps long éprouvé dans l’ennui où l’âme sent tout le poids de sa propre immortalité devenue étrangère à elle-même, la jouissance qu’elle prend à son propre délire, libérateur de l’ennui, voilà ce que désigne la Delectatio morosa […].
La délectation morose consiste dans ce mouvement de l’âme par lequel elle se porte volontairement vers les images d’actes charnels ou spirituels prohibés pour s’attarder à leur contemplation ; […] Ce n’est qu’à partir du moment où l’âme s’applique à fixer ces images lorsqu’elles se présentent au gré de la rêverie, ou bien, dans le sentiment de leur présence cachée, à les évoquer, lorsqu’elles se sont apparemment évanouies dans la zone obscure de la conscience, comme des moyens de plaisir que l’âme tiendrait en réserve dans ses souterrains que, la volonté intervenant, l’âme se livre à une occupation nécessairement coupable. [139]
Il importe de noter ici en prélude à l’examen de la strophe citée - et plus spécialement du sens sacrilège qu’elle confère au motif de la crucifixion - que le cadre référentiel défini par Klossowski est celui de nombre des textes de Thiéfaine déclinant avec une pertinence sans cesse renouvelée les divers constituants de la delectatio morosa que Les fastes de la solitude englobent dans la synesthésie énigmatique de leur incipit « les fleurs de rêve obscur secrètent de noirs parfums [140] ». La réécriture décalée du récit de la Genèse contenue dans les vers deLa nostalgie de dieu
je me souviens d’avoir lu que le démiurge au chômage
un jour d’ennui avait fabriqué l’homme à son image [141]
témoigne du « divorce conscient avec Dieu » tout en soulignant l’omniprésence de « l’ennui » en tant que paramètre existentiel indépassable, sa transmission inéluctable du « démiurge » à ses créatures ressortant pour sa part de la formulation aux accents sacrilèges de Autoroutes jeudi d’automne - dans laquelle le renvoi indirect au motif des latrines renouvelle en même temps la caractérisation nietzchéenne du « Dieu des recoins et des lieux obscurs [142] » - :
je balance mes buvards et tire sur la ficelle
pour appeler le dément qui inventa l’ennui [143]
L’assimilation répétée de « l’ennui » aux manifestations mêmes de l’activité sexuelle censées pourtant permettre de le conjurer est un autre trait distinctif de la coloration morose, qui caractérise aussi bien les rapports tarifés « dans cet hôtel paumé aux murs glacés d’ennui [144] » qui constitue le décor de Lorelei sebasto cha - la qualité à tous égards exceptionnelle de la rencontre des deux figures principales résidant alors pour une part essentielle dans sa capacité immédiate à transcender tant le cadre que le phénomène même de l’« ennui » - que le processus du rapprochement sexuel évoqué jusque dans ses conséquences biologiques de l’engendrement d’une « métamorphose [145] » à travers les vers de L’amour est une névrose :
l’ennui métamorphose
le fond des nuits sans fin
où les maris moroses
retournent au quotidien
vers ces morgues où repose
leur conjugal destin[146]
L’évocation explicite de la qualité « morose » saisie dans son rapport privilégié avec l’univers du « quotidien » s’allie à celle de la dimension mortifère de l’enfermement suggérée par la mention de la « morgue » - la superposition de l’acception complémentaire en tant que renvoi à l’attitude hautaine ou distante du vis-à-vis dans la relation marquée par l’incommunicabilité et l’incompréhension mutuelle n’étant pas à exclure - pour conférer sa densité maximale à la reconstitution de l’atmosphère dominée par « l’ennui », la réaccentuation étymologique de l’épithète « conjugal » - qui vient compléter la lecture immédiate en tant que définition du cadre institutionnel de l’existence des personnages - parachevant alors l’impression d’une pesanteur insoutenable qui fait elle-même écho à l’étirement temporel « sans fin [147] » dans lequel s’installe le déroulement répétitif de la scène.
Un autre aspect dominant de la recréation de la delectatio morosa dans le texte de Autoroutes jeudi d’automne est constitué par la « contemplation rêveuse du temps qui ruine les êtres et les choses [148] », les vers de Thiéfaine apparaissant ici comme la retranscription quasi littérale de la formulation de Klossowski :
et je calcule en moi le poids de sa défaite
et je mesure le temps qui nous apoplexise [149]
C’est à la même dimension de l’inanité « de ces longs jours d’attente » que renvoie le texte de Juste une valse noire à travers la polysémie de l’auto-apostrophe du protagoniste occupé « à te fixer les veines », les indications complémentaires évoquant successivement la « folie » ou le « voyage au bout du rêve [150] » renforçant encore l’exactitude du parallèle avec la définition du « mouvement de l’âme » par lequel celle-ci « s’applique à fixer [les] images » nées de sa « rêverie » ou de son « délire » [151].
Les processus mentaux élaborés sous la double emprise du temps destructeur et de l’ennui trouvent leur aboutissement naturel dans le « crime [152] » - de nature réelle ou imaginaire comme celui imputé à la figure féminine par le protagoniste de Femme de Loth où il est significativement associé à l’attribut symbolique des « dentelles » -, l’acte de destruction apparaissant alors - surtout lorsqu’il est perpétré sous sa forme privilégiée de l’« outrage [153] » sexuel - comme la forme suprême de la vengeance exercée à l’encontre du « mauvais Dieu, créateur de ce monde [154] » :
Tous les maux dont Dieu accable l’humanité ne seraient-ils pas la rançon contre laquelle Dieu accorderait à l’homme le droit de faire souffrir et d’être infiniment vicieux ? Au point que l’on pourrait voir en Dieu le coupable originel, et qui aurait attaqué l’homme avant que l’homme ne l’attaquât : par là, l’homme aurait acquis le droit et la force d’attaquer son semblable. […] L’existence du mal dans le monde lui donne le moyen de faire chanter Dieu, le Coupable éternel parce que l’Agresseur originel […]. La souffrance devient une lettre de change sur Dieu. [155]
La dialectique sadienne du défi à dieu est résumée avec une exactitude remarquable dans le discours de la figure féminine de Amants destroy dont l’objectif avoué est l’anéantissement de son partenaire, le rapport sexuel mis en œuvre « sur la banquette arrière » et marqué par une « jouissance » et une « violence » réciproques amenant à une issue inéluctable quel que soit le cadre référentiel à partir duquel s’en élabore la prédiction :
sur les fusibles du hasard
entre les quarks et les qasars
elle détruira son teddy boy
cunnibilingue et lousy toy [156]
Le rôle de figure dominante de la constellation au profil sado-masochiste - telle qu’on la rencontre également dans Garbo XW machine ou Sweet amanite phalloïde queen - coïncide chez le personnage féminin avec l’exposition radicale de la revendication blasphématoire par laquelle l’instance céleste se révèle comme le véritable objet de l’entreprise de destruction générale :
détruire, détruire toujours, dit-elle
saboter l’œil universel
faire payer ses grotesques erreurs
au boss cannibale supérieur [157]
Alors que le renvoi explicite au « hasard » ou à l’équivalent moderne qu’en constituent les « quarks » et les « qasars » de la physique quantique apporte de son côté une confirmation indirecte de l’élimination de la dimension du divin et plus spécifiquement de sa déclinaison masculine et patriarcale, la recréation véhémente de l’argumentation sadienne combinée à la dénonciation nietzschéenne déjà évoquée des « dieux cannibales [158] » dirige l’essentiel de son attaque vers « l’œil universel [159] » en tant désignation métaphorique de la fonction de contrôle attribuée traditionnellement à dieu ainsi qu’à sa représentation symbolique aussi récurrente qu’universelle sous les traits du soleil « qui voit tout [160] » : du fait du rôle dévolu à « l’œil » divin dont le spectre va de celui de l’instance morale ou métaphysique infaillible - tel l’œil du ciel invité par lady Macbeth à se fermer devant le meurtre projeté à l’encontre du roi [161] - à l’ambivalence de celui du voyeur - tel qu’il est attribué chez Homère à Hélios présenté comme le spectateur puis comme le dénonciateur des amours d’Aphrodite et d’Arès [162] -, la sollicitation du motif dans le programme de destruction mis en œuvre par la figure féminine affirme la présence de l’accentuation sexuelle jusque dans les modalités d’énonciation de la provocation sacrilège, l’entrelacement érotico-blasphématoire typique tant de l’écriture de Thiéfaine que de la démarche de la delectatio morosa évoquée ici à travers ses conséquences ultimes se voyant ainsi réalisé à tous les niveaux du discours du texte.
La dominance de la delectatio morosa en tant que vecteur de la dénégation sacrilège dans le texte de Villes natales et frenchitude s’exerce sous son double aspect de l’emprise du « temps destructeur » et de l’émergence du « désir de destruction [163] » tant au niveau du discours explicite - où il est aisé de relever la présence de l’ensemble des motifs relevant de l’accentuation thématique développée dans les lignes qui précèdent - qu’au plan latent de la redéfinition érotique où la lecture étymologique est sollicitée de façon particulièrement intensive, l’activation de la connotation sexuelle prenant un caractère incontournable y compris dans les cas où la logique de l’appréhension immédiate comme et surtout celle de la démarche d’approfondissement philosophique semblent d’abord conclure à son exclusion de principe : alors même que l’identification de la séquence thiéfainienne en tant que variation sur le thème du « temps long éprouvé dans l’ennui [164] » apparaît de façon indiscutable comme le critère déterminant de l’approche herméneutique, l’éclairage supplémentaire apporté par la réécriture corporelle - outre qu’il renforce opportunément la densité de l’aura scandaleuse dont il établit la double résonance érotique et blasphématoire - s’inscrit lui-même dans le réseau des indices révélateurs de l’appartenance du discours poétique à l’univers de la délectation morose et de sa prédilection ambivalente pour la « zone obscure de la conscience [165] ». Faisant suite au « trop longtemps [166] » qui installe d’entrée la tonalité spécifique des instants où « le présent dans la solitude risque toujours de se remplir par la représentation des choses absentes ou passées [167] », le verbe « zoné [168] » prend d’abord la signification d’un équivalent symbolique de « traîner » - dont l’emploi récurrent dans les textes de l’auteur [169] renvoie à une errance poursuivie au gré du hasard et de ce fait dénuée de sens -, tandis que le renvoi aux « minutes qui tombent » prolonge la cohérence de l’analogie avec l’évocation des représentants de la delectatio morosa en proie à « l’ennui de leurs âmes désœuvrées [170] ». Le traitement infligé aux partenaires féminines correspond jusque dans sa dimension de provocation sacrilège à la « débauche expérimentale » propre aux « rêveurs capables de réaliser leurs rêves », la « fonction créatrice » de la délectation morose ou plus exactement de sa recréation sadienne s’exprimant de façon privilégiée à travers l’« outrage à infliger à Dieu [171] » dont la réitération de l’acte de « crucifier » mise en scène dans le texte de la chanson constitue de toute évidence le prototype symbolique. L’allusion d’inspiration romantico-gothique aux « murs glacés de leurs tombes [172] » mène à son terme l’enchaînement destructeur dont l’essai philosophique souligne l’articulation fondamentale avec la problématique de la perception de l’écoulement du temps, les agissements du protagoniste reflétant depuis leur origine dans le sentiment de « solitude et d’attente de l’âme » jusqu’à leur aboutissement dans la « perte de l’objet aimé » la « cruauté » de ceux qui « ne se sent[ent] vivre que dans l’exaspération » :
Ces derniers trouvent alors dans le temps destructeur à la fois le complice et l’expression même de leur propre tendance à la destruction. [173]
Alors que l’indicateur temporel « trop longtemps » fait office de dénominateur commun entre les deux plans du discours, validant ainsi d’entrée la place centrale dévolue au paradigme de la delectatio morosa dans le contexte interprétatif de la strate sous-jacente, l’élaboration de la grille de lecture parallèle s’enclenche à partir de la redéfinition étymologique du participe « zoné » qui se charge - constatation que l’on peut élargir à l’ensemble des occurrences du verbe « zoner » ou des substantifs « zone » ou « zonard » [174] rencontrées dans les textes de l’auteur - des connotations anatomico-sexuelles propres tant au sens premier qu’à l’emploi métaphorique du grec et de son équivalent latin zona, le détournement homophonique sous-jacent qui permet d’identifier dans le « bled » la déformation potentielle du « bed » venant à point nommé pour compléter l’évocation du rapprochement physique par le rappel cryptique de son décor. Le noyau symbolique de la réinterprétation implicite est constitué par la lecture alternative des « minutes qui tombent [175] » dont l’analyse du discours explicite a révélé dans un premier temps tant l’univocité apparente que la fonction signalétique de renvoi à la délectation morose : en invitant à la sollicitation du sens original et concret des minutae au détriment de l’accentuation temporelle inhérente au terme français, la polysémie plurilingue maintient la continuité de la référence érotique en transformant les « minutes » en désignation transparente des partenaires féminines - pour lesquelles l’appellation de « petite [176] » est de fait récurrente dans le corpus thiéfainien -, la redéfinition sexuelle s’effectuant également par le biais de l’acception figurée du verbe « tomber [177] » qui renvoie alors directement à l’intention de séduction revendiquée par le protagoniste - interprétation qui se voit elle aussi confirmée par le parallèle avec d’autres textes de l’auteur. Le caractère d’évocation de l’acte sexuel régulièrement conféré au terme « crucifier » par le discours des chansons prend une valeur d’évidence supplémentaire dans le cadre de la reconstitution biographique entièrement axée sur la dimension de l’attraction physique, la fonction de représentantes emblématiques du sexe féminin régulièrement dévolue aux « barmaids » dans le corpus des chansons [178] trouvant son origine dans le halo associatif qui se crée autour des attributs symboliques de la poitrine puis du lait dont le personnage de la « barmaid » apparaît comme la dispensatrice. La recréation du processus de crucifixion s’accompagne enfin de la réévalution anatomico-sexuelle des « tombes » qui constitue une autre constante de la métalangue thiéfainienne [179], les « murs glacés » dont elles se voient dotées dans les vers de Villes natales et frenchitude soulignant le caractère peu satisfaisant des expériences remémorées par le protagoniste.
En tant que principal support énonciatif de l’entrelacement érotico-blasphématoire, le motif de la crucifixion relevant à un double titre de l’accentuation « morose » s’enrichit d’une nouvelle connotation symbolique du même ordre dans le texte d’Annihilation où la mention de la « crucifixion avec la vierge et dix-sept saints [180] » devient - en dépit du renvoi explicite à « Fra Angelico » contenu dans le vers suivant et dont la portée reste alors limitée au seul plan explicite de l’évocation - susceptible d’une réinterprétation scandaleuse exacerbée où la réinterprétation sur le mode de la Crucifixion en rose a lieu de surcroît sous l’angle scandaleux de la « partouze [181] », le motif de la « vierge » se dégageant alors de la référence exclusive à la figure mariale pour s’infléchir vers la dimension plus générale de la défloration sacrilège dont « l’Hommage à la Vierge [182] » caractéristique de la démarche sadienne constitue le prototype équivoque :
Ainsi, l’image paradoxale de la vierge, signe prohibitif de la possession virile, aux yeux de Sade, a la valeur d’assimiler la pureté céleste à la destruction et l’impossédable chair virginale à la malédiction de la virilité. Ne s’éprouvant jamais autrement que comme le motif de la perte de son objet, la virilité maudite trouve dans sa malédiction même la saveur compensatrice de son amertume : la vierge, source de cruauté, en est l’objet désigné. [183]
La glorification ambivalente de la « vierge » constitue le point culminant du détournement érotico-sacrilège opéré dans Angélus où l’invocation traditionnelle s’inverse de bout en bout du texte en célébration provocatrice et ambiguë d’un « joyeux néant », la spirale référentielle du discours dont on doit renoncer à détailler l’enchaînement virtuose alliant les réminiscences d’inspiration biblico-religieuse à une relecture en abrégé de la critique nietzschéenne dont il faut particulièrement saluer la précision et la pertinence. La troisième et dernière strophe en particulier prend l’apparence d’une véritable coda jubilatoire dans laquelle chaque terme de l’évocation constitue le point de départ potentiel d’une argumentation philosophique sans faille, tout en reflétant l’ambivalence nostalgique dont Thiéfaine investit ici le règlement de comptes métaphysique [184] :
je te salue seigneur
du fond de tes abîmes
de tes clochers trompeurs
de tes églises vides
je suis ton cœur blessé
le fruit de ta déprime
je suis ton assassin
je suis ton déicide [185]
La réécriture polysémique du discours nietzschéen qui fait de la « déprime » aussi bien le correspondant de « l’instinct dépressif [186] » ou de « l’ennui » divin dont on a retracé plus haut les conséquences déplorables [187] que le renvoi indirect - à travers le sensus etymologicus du latin deprimere - à l’abaissement volontaire du Dieu devenu homme « et lui-même si pâle, si faible, si décadent… [188] » se prolonge à travers la double qualification d’ « assassin » et de « déicide » qui fait pour sa part directement écho au discours de l’insensé introduisant à la fin du Gai Savoir le thème de la mort de dieu :
« Où est allé Dieu ? s’écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l’avons tué, - vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? […] Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! » […] On raconte encore que ce fou aurait pénétré le même jour dans différentes églises et y aurait entonné son Requiem æternam deo. Expulsé et interrogé il n’aurait cessé de répondre la même chose : « À quoi servent donc ces églises, si elles ne sont pas les tombes et les tombeaux de Dieu ? » [189]
La permutation des termes de l’évocation - héritée de la technique de présentation du cut-up dont la pratique est comme on l’a vu récurrente chez l’auteur - ne fait intervenir qu’en second lieu le « nous l’avons tué » initial qu’il est aisé de reconstituer à partir de la retraduction littérale en latin qu’en offre le terme « déicide », tandis que le terme d’« assassin » repris sous sa forme originale - soit plus exactement celle de son équivalent français - est placé en tête de la série thiéfainienne dans laquelle la revendication du meurtre de dieu se concentre par ailleurs sur le seul protagoniste, le tour inattendu donné par le refrain à la recréation de l’« Angélus » excluant par principe - comme on va pouvoir le constater immédiatement - la généralisation proclamée par le texte philosophique. Le détournement du De profundis englobant dieu lui-même dans les « abîmes » - du fond desquels la salutation scandaleuse résonne comme une dénonciation de son absence - trouve un écho inversé dans les « clochers trompeurs » incarnant la promesse d’élévation mensongère - à l’exact opposé de l’« appel vers le haut [190] » par lequel Thiéfaine résume la démarche nietzschéenne - sous laquelle se dissimulent en réalité « des valeurs de déclin, des valeurs nihilistes [191] » :
On ne dit pas « le néant » : on met en place « l’au-delà » ; ou bien « Dieu » ; ou « la vie véritable » ; ou bien le nirvana, le salut, la béatitude… Cette innocente rhétorique […] paraîtra beaucoup moins innocente dès que l’on comprendra quelle est la tendance qui se drape ici dans un manteau de paroles sublimes : l’hostilité à la vie. [192]
Le caractère de « puzzle nietzschéen » propre au texte d’Angélus ressort également du fait que la disposition antithétique des « abîmes » et des « clochers » reflète directement la remarque dépréciative formulée dans le même contexte argumentatif, la transposition des contenus de la réflexion philosophique au seul plan de la dynamique du discours apparaissant ici comme une modalité à part entière de la recréation poétique :
Partout où atteint l’influence théologique les évaluations sont renversées. [193]
La mention complémentaire des « églises vides » offre une possibilité d’approfondissement implicite du parallèle nietzschéen particulièrement révélatrice du haut degré de complexité de l’écriture de Thiéfaine ainsi que de l’étendue impressionnante de sa faculté de réinterprétation créatrice, la réécriture implicite opérée par le « trafiquant de réminiscences [194] » aboutissant à une redéfinition latente des paramètres de la discussion qui témoigne en même temps de l’authenticité - comme de la suggestivité - propres de sa signature poétique : du fait que les « églises vides » apparaissent telles non seulement par suite de la désertion des fidèles mais également en raison de la nature de « tombeaux de Dieu » que leur assigne le discours du fou, leur vide reproduit symboliquement le refus de l’offre de sens métaphysique tel que le résume la formule « nous nions Dieu en tant que Dieu [195] », la contamination des deux aspects du dévoilement philosophique se complétant de surcroît par un rappel ou plutôt un démenti sous-jacent du récit biblique de la résurrection débutant par la découverte du tombeau vide au matin de Pâques. La question de l’existence ou de la non-existence de dieu apparaît ici secondaire au regard de la constatation de l’absurdité de l’existence telle que la suggère le vide du décor religieux se reflétant ad infinitum au sein de sa recréation sur le plan de la dynamique du discours, le resserrement oxymoral illustré par le « calme désespoir » ou le « joyeux néant » de la première strophe devenant l’expression emblématique de la « lucidité » qui offre la seule possibilité authentique de surmontement de l’enfermement tautologique - et ce d’autant plus qu’elle constitue pour Thiéfaine l’équivalent exact de l’« absurdité [196] » avec laquelle elle partage l’adhésion à l’indépassabilité de la contradiction fondamentale de la condition humaine.
La sollicitation de la connotation érotique en tant que composante à part entière du discours blasphématoire est réservée au refrain qui conclut chacune des trois strophes par l’annonce programmatique
et je m’en vais ce soir
paisible et silencieux
au bras de la première
beauté vierge tombée des cieux [197]
La relecture érotico-sacrilège qui assigne à la « beauté vierge » la fonction d’une partenaire sexuelle potentielle dans ce qui apparaît comme un happy end profondément ambivalent trouve son origine dans la polysémie du titre Angélus qui recèle par lui-même une double possibilité d’« hommage à la vierge », le détournement de la connotation religieuse au profit de la composante sexuelle s’accompagnant d’une remise en question implicite de l’ensemble des conceptions mythologico-dogmatiques dans laquelle il est aisé d’identifier un nouvel écho à la problématique de « l’absurdité [198] » qui domine l’ensemble du texte. L’acception usuelle renvoyant à la dénomination de la prière traditionnelle - celle-ci se confondant avec son incipit - établit l’opportunité du renvoi à la « beauté vierge » par l’évidence du parallèle avec la figure mariale, le traitement thiéfainien du motif apportant un complément suggestif au commentaire fait par Nietzsche sur l’ambiguïté du recours aux deux éléments de la beauté et de la virginité en tant qu’ingrédients privilégiés du discours chrétien :
Pour la ferveur des femmes on met un beau saint au premier plan, pour celle des hommes une Sainte Vierge. [199]
L’apparition de la « beauté vierge » prend une nouvelle tonalité du fait de la réinterprétation du titre selon le sensus etymologicus qui restitue à l’angelus sa nature première d’« ange », renouant au plan sous-jacent du discours avec une dénomination réservée de façon récurrente à la figure féminine par le protagoniste des chansons : c’est la même logique de l’équivoque sacrilège - dont un aspect essentiel réside précisément dans tant l’assimilation implicite des personnages féminins à la figure de l’ange que dans la réinterprétation de celle-ci en tant qu’émanation de la sphère de l’Éros - qui prévaut dans le renvoi à un « ange-gardien [200] » à double nature ou fonction métaphysico-sexuelle, dans le vers « un ange passe équipé d’un treuil [201] » qui apporte une conclusion appropriée à l’autodérision cynique de la description du « precox ejaculator », mais aussi dans la culmination oxymorale offerte au détournement blasphématoire par les formulations évocatrices d’un « ange quantique & démon fatal [202] », d’« anges en enfer [203] » ou d’« angels [204] » invitant à l’adjonction de « hell’s », la séquence « les anges font des cauchemars au fond du paradis [205] » relevant de la même accentuation contradictoire. La séquence finale de Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville
je crois que c’est l’ombre du remords
qui fait hurler les anges à la mort [206]
reflète de même la possibilité de double lecture du motif de l’ange issue de la superposition - maintenue tout au long du texte par la dynamique du discours multivoque - de la dimension du fait divers semblant relater au niveau explicite du récit la fin de la victime d’une agression à l’arme blanche et de la strate latente de l’évocation sexuelle menée jusqu’à son terme de la (petite) mort inéluctable, le nom même de « Zone-la-Ville » apparaissant comme l’indicateur obligé du basculement sémantique à travers le sensus etymologicus de la « zone » dont on a précisé plus haut les implications [207].
L’équivoque de principe instaurée par Thiéfaine entre la relecture sexuelle et l’acception mythologico-religieuse du motif de l’« ange » révèle ainsi toute l’étendue de ses possibilités suggestives dans les cas où la dimension symbolique de l’ange de la mort semble au premier abord prévaloir de façon évidente, comme c’est le cas notamment pour les « anges nucléaires [208] » de Alligators 427 ou les « anges de la dernière scène [209] » de Un vendredi 13 à 5 heures incarnant tout autant l’indissociabilité de la sexualité et de la mort que les « anges » voués à « hurler à la mort [210] » dans Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville ou les déclinaisons alternatives du modèle incarnées par « l’ultime prédatrice » de Libido moriendi apparaissant « dans sa robe de vamp-araignée [211] » ou la « lady black-out [212] » de Une ambulance pour Elmo Lewis.
La proximité avec la sphère de la mort est soulignée implicitement dans le refrain d’Angélus par les qualificatifs « paisible et silencieux [213] » attribués au protagoniste, tandis que le « je m’en vais » à double entente résonne comme un écho inversé au « il se peut même que tu sois décédée [214] » de L’ascenseur de 22 h 43 : alors que la perception du sensus etymologicus de decedere restitue à l’évocation de la figure féminine sa signification quotidienne masquée par le travestissement macabre, l’acception figurée de la formulation « je m’en vais ce soir » lui confère un caractère définitif qui entraîne ipso facto l’assimilation de la « beauté vierge » à un ange de la mort, la fonction d’envoyée ou de messagère dévolue à l’angelus étant par ailleurs établie par la lecture étymologique de l’intitulé du texte. Il apparaît alors de façon quasi évidente que la séduction mortifère qui se dégage de l’apparition se confond au plan sous-jacent du discours du texte avec celle émanant de la figure mythologique de la walkyrie, les caractéristiques expressément mentionnées de la virginité, de l’appartenance au domaine céleste ou divin et de la fonction d’escorte qui lui échoit dans le cadre du départ symbolique du protagoniste se recoupant exactement avec la définition traditionnelle des walkyries ainsi que de leur mission consistant à apparaître aux guerriers voués à la mort puis à les conduire au Walhalla. On peut d’ailleurs rappeler ici que l’association de l’ « ange » et des « walkyries » connaît un précédent significatif dans le corpus des chansons, même si la mise en parallèle des deux figures réalisée de façon explicite dans Les dingues et les paumés évoque moins la perspective d’une contamination de leurs attributs symboliques qu’un antagonisme en apparence irréconciliable :
reprends tes walkyries pour tes valseurs maso
mon cheval écorché m’appelle au fond d’un bar
et cet ange qui me gueule : viens chez moi mon salaud
m’invite à faire danser l’aiguille de mon radar [215]
Le refus sans appel opposé aux avances des « walkyries » s’oppose à l’attraction irrésistible émanant de l’« ange » et dont la formulation métaphorique du vers souligne délibérément la dimension sexuelle, la correspondance sous-jacente entre le langage sans détours attribué à l’« ange » et la nature dominatrice présentée comme l’apanage des « walkyries » suggérant cependant dans le même temps la possibilité latente d’une assimilation réciproque. C’est précisément à cette éventualité d’abord improbable que le texte de Angélus fait prendre corps à travers la présentation de la mystérieuse figure féminine, la possibilité complémentaire d’un détournement érotico-blasphématoire selon les modalités propres au discours thiéfainien faisant là aussi partie intégrante de l’aura associative de la séquence. On peut signaler à ce propos qu’un regard sur le clip officiel de la chanson [216] apporte une confirmation opportune à l’hypothèse d’une identification de la « beauté vierge tombée des cieux » avec une walkyrie, tandis que la vision de la figure féminine étendue immobile et les bras en croix dans la dernière strophe renforce en même temps le lien symbolique avec l’évocation sacrilège de la « crucifixion avec la vierge [217] » offerte par Annihilation : tant l’atmosphère nocturne que les fulgurations lumineuses à caractère orageux et la présence récurrente du corbeau qui - entre autres connotations symboliques - est directement associé aux walkyries en tant qu’oiseau favori d’Odin-Wotan révèlent la dominance de la coloration gothico-wagnérienne dont l’emprise suggestive ne fait que croître aux instants de la rencontre entre les deux personnages déclinée sur le modèle de « l’annonce de la mort » au deuxième acte de La Walkyrie, la représentation du flash visuel entre le protagoniste incarné par l’auteur et l’apparition « si jeune et si belle [218] » et de façon générale la mise en scène des séquences où figure celle-ci faisant essentiellement ressortir l’immobilité statuaire de la « beauté vierge » ainsi que la qualité « paralysante » ou « destructrice [219] » de son regard. Le discours visuel du clip - dont il faut noter qu’il est axé dans sa quasi totalité sur la seule dimension du refrain - apparaît ainsi comme une manière de paraphrase imagée de l’échange entre les personnages de l’opéra dont on reproduit ici la quasi intégralité, l’évocation du départ
au bras de la première
beauté vierge tombée des cieux [220]
étant par ailleurs susceptible de révéler son potentiel de résonance d’inspiration wagnérienne par la seule mise en parallèle des séquences textuelles qui suffit à établir leur affinité poético-discursive indépendamment de la prise en compte de la réalisation filmée :
Siegmund : Qui es-tu, toi qui m'apparais
si belle et si majestueuse?
Brünnhilde : Je ne suis visible que pour ceux
qui sont voués à la mort.
Celui qui m'aperçoit
prend congé de la vie et de la lumière.
Sur le champ de bataille
j'apparais à des hommes au cœur noble -
celui qui me voit,
je me le suis choisi pour le combat !
Siegmund : Le héros qui te suis,
où le conduis-tu ?
Brünnhilde : chez le père des combats, qui t’a choisi,
je te conduis :
tu me suivras au Walhalla ! [221]
En dépit de la pertinence du rapprochement wagnérien et de la plausibilité incontestable qu’il confère à la représentation de l’angelus sous les traits d’une walkyrie - telle qu’elle est de surcroît suggérée voire quasiment imposée par le clip -, il importe tout autant de remarquer que l’ambivalence propre au discours thiéfainien invalide d’entrée toute possibilité de réaccentuation univoque du motif religieux en substituant à la conception de la « beauté vierge » au profil nettement défini celle de « la première beauté vierge » au halo connotatif complexe - et révélateur en tant que tel d’une nouvelle polysémie référentielle induisant aussi bien le renforcement de la composante archétypale que sa dilution dans la multiplicité des correspondances envisageables : l’épithète « première » exprime ainsi tout autant le renvoi au temps primitif des différentes cosmogonies mythologiques - nombre de celles-ci mettant effectivement en scène une figure virginale associée à la sphère céleste - qu’elle indique la possibilité de sa réitération dans le parcours individuel du protagoniste, rejoignant les réminiscences de Villes natales et frenchitude et leur évocation du décor
où l’on croqua la première pomme
d’une quelconque vipère en acné [222]
De même que la reproduction du schéma originel de la « première pomme » s’effectue ici par l’intermédiaire d’une « quelconque vipère » dénuée de toute individualité propre, de même l’adjectif « première » associé dans le texte d’Angélus à la « beauté vierge » peut tout autant faire l’objet d’une réaccentuation au sens de « première venue » qui souligne la permutabilité de principe des diverses incarnations potentielles du modèle de l’angelus, excluant dès l’abord l’assimilation à une seule de celles-ci quel que soit le degré d’adéquation qu’elle semble présenter avec la constellation du texte : malgré la priorité d’identification qui lui reviendrait selon toutes probabilités dans le cas où une correspondance unique serait à retenir, la walkyrie dont on a tenté d’esquisser le portrait peut alors se voir remplacée sans inconvénient - comme d’ailleurs sans exclusion de références théologico-mythologiques autres que celles énumérées ici - par toute figure divine féminine satisfaisant aux critères de la virginité et liée de près ou loin à la sphère de la mort, qu’il s’agisse des houris, d’Athéna, d’Artémis, de Perséphone, de Marie ou également d’une autre figure du panthéon nordique, la déesse de la mort et de l’enfer Hel dont la saga consacrée au poète Egil évoque la venue en des termes qui présentent une analogie frappante avec les vers de Thiéfaine :
Mais je retrouverai la joie,
serein
et sans tristesse
j'attendrai Hel [223]
L’indifférenciation radicale des options référentielles - « première » exprimant de surcroît tout autant le caractère aléatoire de la rencontre que l’adéquation de n’importe laquelle des possibilités évoquées aux attentes du protagoniste - devient en même temps l’indice de la remise en question latente de la valeur symbolique attribuée à la virginité dans les discours religieux auxquels sont associées respectivement les diverses représentantes du modèle de la « beauté vierge », la relativisation du tabou de la virginité entraînant par contrecoup celle des repères dogmatiques qui lui accordent - comme à son corollaire des « parthénogénèses [224] » - une valeur déterminante. La dimension subversive propre à la réévaluation du motif de la « vierge » est également décelable dans le continuum poétique à travers la rupture rythmique induite précisément par l’introduction du terme problématique, l’équivalent visuel du processus de débordement proposé par la typographie du livret témoignant à cette occasion de l’exigence d’exactitude - ainsi que de concordance absolue entre les différents niveaux de réalisation de l’intention poétique - propre au caractère profondément élaboré de la démarche de l’auteur : alors que la régularité du schéma hexasyllabique est conservée dans l’hypothèse d’un rétablissement de la formulation simplifiée
au bras de la première
beauté tombée des cieux *
où la lecture non-virginale complétée de l’acception figurée du renvoi à la provenance céleste établit la dimension purement terrestre et non-eschatologique d’un happy end traditionnel et privé de toute connotation sacrilège, le déroulement du vers est bouleversé par l’introduction de la référence à la « vierge » qui apparaît comme un corps étranger au niveau de la prosodie comme de la métrique, la perception de son caractère superflu au plan de l’organisation du rythme pouvant alors être transposée sans peine au contenu sémantico-symbolique. Le processus de mise à distance se répète dans le discours musical sur un mode décalé qui accroît encore l’ambiguïté du discours de la chanson, une valorisation appuyée étant ici réservée au terme « première » qui est d’entrée mis en exergue dans la ligne de chant et dont la répétition est l’occasion d’une spectaculaire montée dans l’aigu : l’impression qui en résulte est celle d’un soulignement antagoniste et complémentaire tantôt de la qualité de « première », tantôt de celle de « vierge », la rupture du schéma initial intervenant à un endroit différent de la séquence selon qu’on prend en compte le texte ou la musique. La perception simultanée des deux discours telle qu’elle caractérise la réalité du processus d’audition prend alors la valeur d’une possibilité de révélation supplémentaire de l’inanité comme de l’interchangeabilité des exigences théologiques - et au-delà d’elles des références métaphysiques correspondantes -, : le verdict de perte ou plus exactement d’absence totale de possibilités d’orientation ainsi décelable à tous les niveaux de la dynamique énonciative fait à nouveau écho à l’appréciation portée par l’auteur sur le sens ultime de sa chanson en tant qu’expression de « l’absurdité [225] » d’une existence humaine vouée à une fin inéluctable, les circonstances et les modalités de sa survenue apparaissant tout au plus comme l’ultime manifestation de l’action des « fusibles du hasard [226] ».
Dans le texte de Stratégie de l’inespoir que les vers de Pétrarque [227] cités en exergue de la chanson - ainsi bien sûr que le reflet direct qu’ils trouvent dans le refrain « je veux brûler pour toi petite [228] » - placent d’entrée sous le signe des « ardeurs érotiques [229] », le principal vecteur de la dynamique blasphématoire est constitué par la confrontation oxymorale entre « mon enfer » et « ton paradis » à travers laquelle s’opère la contamination latente du discours amoureux et des catégories théologiques, la réinterprétation scandaleuse de l’alternative eschatologique ouvrant en même temps la voie à une redéfinition générale tant du contexte de l’évocation - et spécialement de son lien avec la notion d’« inespoir » contenue dans le titre - que des conséquences découlant d’une telle réévaluation pour la « stratégie » correspondante mise en œuvre par le protagoniste :
je veux brûler pour toi petite
mais gâche pas mon enfer
avec ton paradis
je veux brûler pour toi petite
mais lâche pas tes prières
sur mes cris hypocrites [230]
Avant d’entrer dans le détail des modalités d’élaboration de l’entrelacement érotico-sacrilège réalisé dans Stratégie de l’inespoir - la retranscription adéquate de la dynamique énonciative supposant ici l’identification des constituants du halo associatif à la richesse impressionnante qui en commande l’articulation -, il importe de rappeler que l’accentuation infernale - au sens propre et figuré du terme - qui se surimpose à la dimension érotique pour donner sa coloration spécifique au discours amoureux du protagoniste apparaît comme une constante du blasphème thiéfainien où la réinterprétation sexuelle de l’enfer - y compris sous l’aspect anatomique et corporel évoqué plus haut - s’allie naturellement à la mise en exergue de l’allégeance diabolique : l’attraction ambivalente des « cercles où se perdent les âmes [231] » de Syndrome albatros, des « cercles vicieux infernaux [232] » de Fenêtre sur désert ou de leur corollaire abrégé des « cercles infernaux [233] » de Orphée nonante huit est amenée à sa conséquence ultime dans Les jardins sauvages où elle s’exerce autant sur « les vieux fauves » que sur « les anges » entraînés dans la dynamique d’inversion des polarités symboliques - la possibilité complémentaire de relecture au sens du « bas corporel » venant là aussi parfaire la polysémie de l’évocation - :
la rosée de leurs yeux trop mauves
reflète une lumière
qui conduit parfois les vieux fauves
et les anges en enfer [234]
C’est précisément l’association traditionnelle - et récurrente dans le corpus des chansons - du « paradis » à la féminité telle qu’elle est suggérée par le sensus etymologicus renvoyant à un jardin qui sous-tend la réinterprétation érotico-sexuelle de l’antagonisme entre « enfer » et « paradis » associés respectivement au protagoniste et à sa ou ses partenaires : le nouveau renversement oxymoral rencontré dans le vers de Solexine et ganja « les anges font des cauchemars au fond du paradis [235] » illustre à tous les niveaux du discours la perméabilité de la frontière entre les deux domaines ainsi que l’atteinte symbolique portée à l’intégrité du « paradis » par l’expansion irrésistible de la composante infernale, celle-ci étant représentée au plan explicite de l’évocation par la localisation de la scène « dans l’atelier de Hieronymus Bosch [236] ». La même dynamique de réaccentuation infernale - dans laquelle l’accentuation sexuelle de la thématique du « paradis » prend le pas sur les implications eschatologiques - commande la formulation de l’appel à valeur de dernier avertissement qui émane de la figure féminine de Last exit to paradise, le rapport d’équivalence directe instauré entre les concepts antagonistes illustrant la confusion des repères caractéristique de la contamination érotico-sacrilège :
last exit to paradise
come into my dream
come into my vice [237]
À la différence de l’assimilation du personnage féminin à un « ange » qui prévaut dans la plupart des textes de l’auteur - entraînant le soulignement de son appartenance à la sphère du « paradis » en opposition avec l’« enfer » dont relève par principe la nature du protagoniste caractérisé par sa proximité avec le « diable [238] » -, le double oxymore contenu dans la définition déjà citée « ange quantique & démon fatal [239] » illustre l’ambivalence fondamentale de la figure féminine dont les deux incarnations contradictoires voient de surcroît leur comportement régi par les modalités antagonistes du hasard - ou plus exactement de son corollaire scientifique moderne représenté par le principe d’incertitude - et du fatum, la substitution de l’action de ces deux principes à celle d’éventuelles instances divines - dont la réalité effective est théoriquement suggérée par le recours aux catégories de l’« ange » et du « démon » - établissant au plan implicite la qualité blasphématoire de la célébration érotique. La permutabilité des orientations métaphysiques trouve son expression programmatique dans l’incipit de Tita dong-dong song où la structure oxymorale du distique opposant « paradis » et « enfer » est pratiquement invalidée par le diagnostic de dévalorisation qui frappe chacun des deux pôles opposés de l’eschatologie, l’affirmation sacrilège de leur égale insuffisance étant également susceptible d’une réinterprétation sous l’aspect de l’Éros même si cette composante thématique reste ici - de façon compréhensible eu égard au sujet de la chanson - en retrait dans l’ensemble du discours du texte :
le paradis est trouble
et l’enfer est malade [240]
Le champ des possibilités de réinterprétation de l’alternative métaphysique et plus spécialement de sa transposition sacrilège à la sphère de l’Éros s’enrichit avec Stratégie de l’inespoir d’une polarisation accrue de l’opposition traditionnelle dans laquelle l’option délibérée en faveur de « mon enfer » entraînant ipso facto le rejet de « ton paradis » crée la possibilité d’une lecture multivoque reflétant aussi bien l’acception métaphorico-sexuelle des termes de l’évocation que la signification qui leur est impartie dans le discours théologique : chacune des deux offres exégétiques renvoie ici à un arrière-plan référentiel nettement défini dont la prise en compte révèle la cohérence intrinsèque de la strate discursive correspondante, la coexistence des options herméneutiques antagonistes au sein de la dynamique globale de la séquence énigmatique conservant à chacune d’entre elle sa pertinence et maintenant par là même le rapport d’oscillation sémantique caractéristique des modalités de leur interaction. L’accentuation pétrarquienne invitant à une lecture figurée de la déclaration « je veux brûler pour toi » - qui fait alors écho aux « ardeurs érotiques » du premier vers - trouve ainsi un prolongement naturel dans la redéfinition symbolique de l’« enfer » et du « paradis » en tant qu’indicateurs atmosphériques de la qualité du vécu affectif, l’oxymore contenu dans les vers de Thiéfaine faisant également écho à la formulation shakespearienne d’inspiration analogue avec laquelle il partage la mise en garde à l’égard de la sphère céleste - tout en en divergeant par l’insistance avec laquelle le protagoniste de la chanson se réclame de l’univers infernal :
All this the world well knows ; yet none knows well
To shun the heaven that leads men to this hell [241]
Au-delà de l’acception métaphorique associant respectivement l’« enfer » aux souffrances du sentiment amoureux et le « paradis » à la félicité de l’Éros, le rapport entre les deux sphères opposées tel qu’il s’articule dans la strophe de Thiéfaine apparaît cependant tout autant voire davantage comme l’expression exacerbée à dessein de l’alternative eschatologique évoquée jusque dans les conséquences physiques de la damnation revendiquées explicitement par le protagoniste : en conférant a posteriori une évidence immédiate et corporelle à l’image de la première strophe « j’ai trop longtemps cherché mes visions dans les flammes [242] », la mention de l’« enfer » infléchit également vers l’évocation des supplices infernaux la formulation « je veux brûler pour toi » tandis que l’évocation des « prières » attribuées à la figure féminine renforce la coloration religieuse du discours explicite, les « ardeurs » déjà évoquées étant par ailleurs à entendre selon le sensus etymologicus qui les rattache au champ lexical de « brûler » et des « flammes » quel que soit le cadre herméneutique retenu pour la lecture de la séquence. C’est à partir de l’acception métaphysico-théologique de l’antagonisme entre « enfer » et « paradis » que se révèle ici la qualité blasphématoire de la déclaration d’intention « je veux brûler pour toi » - dont participent au même titre l’abandon volontaire aux flammes de l’enfer et la légitimation du choix sacrilège en référence à la seule sphère de l’Éros -, la cohérence discursive étant à la fois soulignée et indirectement remise en question par le renvoi aux « cris hypocrites » : alors que l’épithète venant s’opposer en écho négatif aux « prières » de la figure féminine maintient au plan du discours explicite la continuité de la référence à la religion, le le caractère de mise en scène théâtrale révélé par le sensus etymologicus se voit implicitement transféré à la déclaration d’allégeance à l’« enfer » dont la portée significative réside moins dans la littéralité supposée de la damnation que dans la perception du rôle qui lui est dévolu en tant qu’élément déterminant de la Stratégie de l’inespoir évoquée dans le titre même de la chanson puis déclinée tout au long de l’album. C’est par l’identification du rappel sous-jacent de l’inscription « lasciate ogni speranza voi ch’intrate [243] » qui figure sur la porte de l’enfer de Dante que la revendication de « mon enfer » révèle sa signification symbolique de refus pleinement assumé de l’espoir fallacieux incarné par « ton paradis » - et dont le basculement inéluctable vers l’opposé du désespoir est signalé par la mention tout aussi blasphématoire et multivoque de « l’œil désespéré dans son triangle en kit [244] », la représentation de l’instance divine apparaissant elle-même victime de la déréliction métaphysique dont elle prétend être seule à pouvoir délivrer.
Outre la consistance supplémentaire qu’elle donne aux « visions dans les flammes », la reconnaissance de la référence implicite qui vient s’ajouter au parallèle pétrarquien permet d’apprécier pleinement la cohérence et la suggestivité de la recréation thiéfainienne dont le vers d’Annihilation « je revisite l’enfer de Dante et de Virgile [245] » apparaît comme l’intitulé programmatique : du fait qu’elle invite non au désespoir mais à l’abandon de l’espoir, la formulation de Dante présente une affinité de principe avec l’idée de l’« inespoir » que l’auteur définit comme
une façon de prendre du recul, de lâcher prise, de ne pas avoir les illusions de l’espoir, mais en même temps de ne pas avoir les souffrances du désespoir [246]
Le parti pris de « l’inespoir » révèle alors sa valeur proprement stratégique par la possibilité d’application à l’accentuation pétrarquienne que lui confère d’entrée le caractère multivoque de l’expression thiéfainienne : comme son acception infernale établissant la corrélation avec la renonciation définitive à l’espoir - et par contrecoup à l’extrême opposé du désespoir - le « je veux brûler pour toi [247] » pris au sens des « ardeurs érotiques » apparaît lui aussi comme une fin en soi où l’intensité du sentiment importe plus que les attentes éventuelles envers celle à laquelle il s’adresse. La cohérence de la démarche permet ici son extension à l’ensemble des domaines de l’existence, comme elle autorise au plan de l’organisation du discours poétique - puis de son appréhension par l’auditeur-lecteur - la lecture de l’ensemble des chansons de l’album en tant que déclinaisons d’une même approche visant à l’exploration du « no man’s land intéressant [248] » que représente « l’inespoir ».
Contrastant avec la valorisation aussi spectaculaire qu’ambiguë dont la « beauté vierge [249] » fait l’objet dans Angélus, la redéfinition érotico-sacrilège de la dimension virginale également décelable dans Stratégie de l’inespoir s’effectue entièrement sur le mode cryptique, le terme même de « vierge » ne figurant à aucun endroit du texte de Thiéfaine : dans le cadre d’une évocation à l’impact affectif aussi exacerbé que son halo associatif est complexe, le vers de la dernière strophe « je caresse mon corbeau en chantant Duruflé [250] » installe au centre des « divagations » du protagoniste l’équivoque supplémentaire d’un authentique oyxmore référentiel découlant des possibilités contradictoires d’association avec le catalogue du compositeur, l’égale plausibilité des élucidations concurrentes se traduisant par l’émergence d’une lecture polysémique basée sur la confrontation de deux options exégétiques radicalement divergentes, mais parfaitement cohérentes au niveau de l’organisation de leurs constituants respectifs et dotées d’un égal potentiel blasphématoire. Le renvoi au Requiem qui s’impose en premier lieu et la correspondance qu’il suggère avec la fonction symbolique d’oiseau de la mort dévolue au corbeau - créant ainsi un lien sous-jacent avec la lecture gothico-wagnérienne d’Angélus et notamment avec la version particulièrement achevée qu’en présente le clip de la chanson - relativise par le rappel latent de « l’ultime question [251] » la dominance atmosphérique des « fiévreux baisers [252] » présentés comme le défi suprême lancé à « l’œil désespéré dans son triangle en kit », le basculement de la dynamique de l’Éros en direction de la sphère de Thanatos prolongeant au seul niveau des associations implicites l’antagonisme entre « enfer » et « paradis » autour duquel s’articule le discours sacrilège du protagoniste. À l’inverse, la conservation de l’accentuation (auto-)érotique en tant que repère herméneutique applicable à l’ensemble de la séquence et notamment au motif du corbeau oriente la référence à Duruflé vers le motet Tota pulchra es que son caractère d’« hommage à la vierge [253] » rend particulièrement propre à un détournement selon les critères régissant la suggestivité ambivalente du texte de Thiéfaine, l’invocation mariale à la « beauté vierge [254] » se voyant transformée en support latent de la célébration de l’Éros sous le seul effet de la dynamique de réinterprétation induite par le contexte dominant de la chanson.
Au terme de ce parcours à travers les diverses déclinaisons de la démarche érotico-sacrilège qui apparaît à l’évidence comme un élément privilégié du discours poétique de Thiéfaine, l’image de « l’œil désespéré » présenté comme « jaloux de nos fiévreux baisers [255] » rencontrée dans Stratégie de l’inespoir est l’occasion d’évoquer une dernière possibilité de redéfinition du rapport blasphématoire de l’homme au divin à laquelle Nietzsche fournit à nouveau la principale caution philosophique, la fin du discours de l’insensé annonçant la mort de dieu aboutissant au retournement paradoxal apporté par la nécessité d’une divinisation compensatoire de l’humain :
Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-même des dieux pour du moins paraître dignes des dieux ? Il n’y eut jamais action plus grandiose, et ceux qui pourront naître après nous appartiendront, à cause de cette action, à une histoire plus haute que ne fut jamais toute histoire. [256]
Les modalités de la revanche sur les dieux établies dans le corpus thiéfainien à partir de la revendication nietzschéenne énonçant le premier appel à la transition vers l’Übermensch [257] ont ainsi pour point de départ privilégié la proclamation du renversement de l’ordre de préséance métaphysique au profit de la « race humaine [258] », le dénominateur commun aux différentes versions du constat sacrilège étant constitué par la possibilité récurrente d’activation au moins implicite de la possibilité de relecture sexuelle : le motif symbolique de la contemplation « à rebours [259] » exposé dans l’incipit programmatique d’Annihilation
qu’en est-il de ces heures troubles et désabusées
où les dieux impuissants fixent l’humanité [260]
s’accompagne à la marge de l’évocation d’un renvoi latent à la sphère de la sexualité, celle-ci occupant par contre le premier plan du discours - explicite comme implicite - dans le texte de Misty dog in love où l’évocation de l’abaissement des dieux fait l’objet d’un entrelacement suggestif avec la formule anaphorique - possible écho renforcé au I want you de Bob Dylan - par laquelle s’affirme la dominance sans partage de l’Éros au début de chacune des strophes de la déclaration adressée à la figure féminine :
je te veux dans la prière
des dieux suppliant l’humain
C’est significativement sur fond d’éternel retour nietzschéen - marqué par l’anaphore du « je r’viendrai » qui scande la succession des strophes - que prend place dans Ad orgasmum æternum la recréation du mythe de Prométhée à travers la réaccentuation sexuelle du défi aux dieux :
je reviendrai narguer tes dieux
déguisé en voleur de feu [261]
La lecture thiéfainienne de l’entrelacement érotico-sacrilège appréhendé sous l’angle de ses possibilités de culmination jubilatoire se révèle ainsi comme la recréation synthétique et de ce fait radicalement personnelle - tant au plan de la redéfinition implicite des concepts initiaux qu’au niveau des paramètres de l’expression poétique - de deux des principaux paramètres de la démarche nietzschéenne. La possibilité de « devenir nous-mêmes des dieux [262] » révélée par les « façons plus nobles d’utiliser la fiction des dieux » que fait apparaître le regard jeté
sur les dieux de la Grèce, sur ces reflets d’hommes plus nobles et plus orgueilleux chez qui l’animal dans l’homme se sentait divinisé et ne se déchirait pas lui-même, ne se déchaînait pas contre lui-même ! [263]
se superpose dans le discours des chansons à la mise en exergue de la dimension de l’éternité saisie spécifiquement dans son rapport à l’expérience de l’accomplissement sexuel : le renvoi sous-jacent au « car je t’aime, ô éternité » et à sa déclinaison révélatrice de la dominance de l’Éros au sein même du discours nietzschéen :
Ô, comment ne serais-je pas ardent de l’éternité, ardent du nuptial anneau des anneaux, - l’anneau du retour ? [264]
s’allie ici au rappel de l’invalidation programmatique des catégories morales traditionnelles
Car toutes les choses sont baptisées à la source de l’éternité, par-delà le bien et le mal [265]
pour aboutir à la lecture polysémique du motif de l’éternité conçu tant comme une l’aspiration à la réitération infinie d’un orgasmum æternum que comme l’expression suprême d’un affrontement avec les dieux dont l’issue reste par principe incertaine.
L’accentuation provocatrice et triomphante des derniers vers de Exit to chatagoune-goune
les dieux sont jaloux de nos corps
nous balayons l’éternité [266]
offre ainsi un contraste révélateur avec le rappel du « rire inextinguible des dieux [267] » - ou des « fous-rires en voix-off [268] » qui en constituent la traduction thiéfainienne - contenu dans les vers de En remontant le fleuve
en remontant le fleuve vers cette éternité
où les dieux s’encanaillent en nous voyant pleurer [269]
où toute la complexité de la vision de l’auteur s’exprime à travers un condensé symbolique réunissant l’ambivalence des pleurs humains - et plus spécifiquement de leur évocation dans le contexte de l’Éros -, de l’attitude prêtée aux dieux et de la notion même d’éternité dans le continuum d’un « fleuve » poético-musical à l’intensité saisissante - et dont l’orientation vers l’amont devient en même temps l’expression de la dynamique « à rebours [270] » qui détermine l’ensemble des modalités d’organisation du discours poétique.
Notes de bas de page
[1] H.F. Thiéfaine, Les dingues et les paumés, in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.
[2] H.F. Thiéfaine, Chambre 2023 (et des poussières), in Alambic / sortie sud, Paris, Sterne, 1984.
[3] Albert Camus, L'Homme révolté [1951], Œuvres complètes, III, 1949-1956, publiée sous la direction de Raymond Gay-Crosier, Paris, Gallimard, 2008, « Bibliothèque de La Pléiade », p. 76. Une première tentative de description du rapport de Thiéfaine à Camus (dans l’attente d’une investigation plus approfondie actuellement en cours d’élaboration) a été réalisée dans Françoise Salvan-Renucci, « j’imaginerai sisyphe gonflé aux anabos » : la référence à Albert Camus dans l’œuvre de H.F. Thiéfaine, à paraître dans LOXIAS / Conférences, http://www.revel.unice.fr/loxias.
[4] Albert Camus, L’Homme révolté, p. 23, 43.
[5] H.F. Thiéfaine, Infinitives voiles, in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011. La révocation de l’habitus blasphématoire au bénéfice d’une attitude « d’enfant sage » telle qu’elle s’exprime dans la strophe finale reste pour sa part caractéristique de l’atmosphère spécifique d’un texte articulant exceptionnellement « l’espoir d’un futur désiré » ; la possibilité effective de la mise en œuvre d’un tel programme se voit d’ailleurs - conformément à l’équivocité de principe de l’expression thiéfainienne - moins renforcée qu’indirectement mise en doute par la valeur quasi conjuratoire que prend le discours au futur réservé à la dernière strophe, succédant au présent de la description clinique propre à la séquence initiale ainsi qu’au mode invocatoire à l’adresse des « infinitives voiles » qui est celui de la deuxième strophe.
[6] H.F. Thiéfaine, Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.
[7] Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, traduit de l’allemand par Henri Albert, Œuvres, Édition dirigée par Jean Lacoste et Jacques Le Rider, Paris, Robert Laffont, 1993, coll. « Bouquins », II, p. 29. Une description provisoire du rapport de Thiéfaine à Nietzsche (là aussi dans l’attente d’une élucidation complémentaire sous une forme élargieà un volume entier) a été réalisée dans Françoise Salvan-Renucci, « übermensch ou underdog ? » : la référence à Friedrich Nietzsche dans l’œuvre de H.F. Thiéfaine, à paraître dans LOXIAS / Conférences, http://www.revel.unice.fr/loxias.
[8]« H.F. Thiéfaine : suppléments d’âme » (entrevue), par Jean-François Cyr, Le Huffington Post Québec, http://quebec.huffingtonpost.ca/2013/05/29/hubert-felix-thiefaine-supplements-dame-entrevue_n_3353960.html.
[9] Galaxie Thiéfaine : supplément d'âme. Un film de Michel Buzon et Dominique Debaralle. Une coproduction France 3 Franche-Comté / Séquence SDP / Couleurs du Monde Production ( 2012 ).
[10] « H.F. Thiéfaine : "Je suis plus en forme qu’avant" », propos recueillis par Emmanuel Marolle, Le Parisien, 06/10/2014.
[11] Dans la description de sa démarche poétique, l’auteur fait également appel à l’idée du « puzzle » qui véhicule des associations analogues à celles suggérées par le « Lego » : « C'est un puzzle, chaque pièce est posée, il ne faut pas forcer pour la mettre là. » [« H.F. Thiéfaine. Le renouveau d'un survivant », interview par Basile Vellut, dh.be., 11/03/2011]. Signalons également que la formule d’une « écriture kaléidoscopique et plurielle » par laquelle Kristeva désigne l’écriture de Dostoievski [Julia Kristeva, Une poétique ruinée, Préface à : Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, Paris, Éditions du Seuil, 1970, coll. « Points. Essais », p. 27 (note 18)] et qui trouve une possibilité d’application idéale au discours poétique de Thiéfaine.
[12] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, traduit de l’allemand par Henri Albert, Œuvres II, p. 774.
[13] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, Œuvres II, p. 801.
[14] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, Œuvres II, p. 771.
[15] Une description encore fragmentaire du mécanisme d’entrelacement des références et de sa fonction spécifique au sein de la dynamique du discours thiéfainien a été réalisée dans Françoise Salvan-Renucci, « "adieu gary cooper adieu che guevara" : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l'œuvre de H.F. Thiéfaine », LOXIAS 44, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7743, Romain Gary – La littérature au pluriel.
[16] concernant l’importance de William Burroughs et Bryon Gysin pour la technique d’écriture de Thiéfaine, cf. :
http://www.radioenconstruction.com/index.php?post/2012/08/17/Interview-du-musicien-Hubert-F%C3%A9lix-Thi%C3%A9faine
[17] cf. les déclarations de l’auteur témoignant de sa prédilection pour l’oxymore : « L’oxymore provoque, il permet de frotter les mots et les sens. » [« H.F. Thiéfaine, quarante ans de scène et de rencontres avec un public de plus en plus large », propos recueillis par Laurent Borderie, Le populaire, 11/01/2013] ; « Je suis un grand amateur d’oxymores et de contradictions. » [« H.F. Thiéfaine. Le renouveau d'un survivant », interview par Basile Vellut, dh.be., 11/03/2011].
[18] Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe [1942], Œuvres complètes, I, 1931-1944, Édition publiée sous la direction de Jacqueline Lévi-Valensi, Paris, Gallimard, 2006, « Bibliothèque de La Pléiade », p. 304.
[19] Friedrich Nietzsche, La Naissance de la tragédie, traduit de l’allemand par Jean Marnold et Jacques Morland, Œuvres, I, p. 12.
[20] On lira ici avec profit l’intégralité des réflexions développées par Thiéfaine dans l’interview citée en note 14, notamment en ce qui concerne les implications découlant du recours au principe des « jeux de piste » :
« J’ai beaucoup de plaisir dans les jeux de piste, à faire travailler un peu l’auditeur », poursuit Thiéfaine. « Tout dévoiler, tout montrer comme le fait souvent la musique pop commerciale d’aujourd’hui, je n’ai aucun intérêt. Dans mes chansons, c’est l’émotion d’abord. Je veux faire rêver, laisser les gens imaginer, partir dans leurs propres histoires. C’est pourquoi je colle des mots, en invente d’autres, utilise le latin ou le grec… Il faut bien s’amuser un peu. »
http://quebec.huffingtonpost.ca/2013/05/29/hubert-felix-thiefaine-supplements-dame-entrevue_n_3353960.html
[21] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, Paris [1947/1967], Éditions du Seuil, 2002, coll. « Essais », p. 41 ; Le Bain de Diane, Paris [1956, 1972], Gallimard, 1980, p. 55. On reviendra dans la suite de ces lignes sur l’importance de la référence à la réflexion de Klossowski pour la conception thiéfainienne de l’érotisme blasphématoire, l’hommage rendu de façon répétée au « bonhomme assez génial » [http://www.mytaratata.com/emission/taratata-n387/video/881/interview-hf-thiefaine-2011] s’adressant de fait tout autant au traducteur du Gai Savoir (auquel Thiéfaine emprunte le titre de son seizième album Suppléments de mensonge [Paris, Sony, 2011] - correspondant à l’original Die Hinzulügner cité comme tel par l’auteur, cf. http://www.radioenconstruction.com/index.php?post/2012/08/17/Interview-du-musicien-Hubert-F%C3%A9lix-Thi%C3%A9faine - justement parce que « c’est la traduction de Klossowski qui est belle » [« H.F. Thiéfaine : "l’artiste met de l’ordre dans le chaos du monde" », propos recueillis par Victor Hache, L’Humanité, 16/09/2012]) qu’à l’essayiste dont les conceptions trouvent un reflet suggestif dans le corpus des chansons.
[22] H.F. Thiéfaine, 27e heure : suite faunesque, in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.
[23] H.F. Thiéfaine, 27e heure : suite faunesque, in Le bonheur de la tentation.
[24] Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, Œuvres, II., p. 56.
[25] H.F. Thiéfaine, Parano-safari en ego-trip-transit, in Défloration 13.
[26] H.F. Thiéfaine, Juste une valse noire, in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.
[27] H.F. Thiéfaine, 27e heure : suite faunesque, in Le bonheur de la tentation.
[28] H.F. Thiéfaine, 27e heure : suite faunesque, in Le bonheur de la tentation.
[29] Pierre Klossowski, Origines cultuelles et mythiques d’un certain comportement des dames romaines, Paris [1986], Fata Morgana, 2010, p. 17.
[30] H.F. Thiéfaine, Errer humanum est, in Meteo für nada, Paris, Sterne, 1986 ; Sentiments numériques revisités, in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996 ; Annihilation, in Séquelles [Édition collector], Paris, Sony, 2009.
[31] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Un livre pour tous et pour personne, traduit de l’allemand par Henri Albert, Œuvres, II, p. 445.
[32] H.F. Thiéfaine, 27e heure : suite faunesque, in Le bonheur de la tentation.
[33] H.F. Thiéfaine, 27e heure : suite faunesque, in Le bonheur de la tentation.
[34] H.F. Thiéfaine, Demain les kids, in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990 ; Psychopompes, métempsychose et sportswear, in La tentation du bonheur
[35] H.F. Thiéfaine, Première descente aux enfers par la face nord, in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir ; Demain les kids, in Chroniques bluesymentales ; Retour vers la lune noire, in Le bonheur de la tentation
[36] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Paris, Éditions Gallimard, 1970, coll « Tel », p. 34.
[37] Le parallèle exact offert par les Confessions d’un never been [in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005] axe la relecture sexualisante du concept sur la dimension auto-érotique :
je rêve d’être flambé au-dessus du Vésuve
et me défonce aux gaz échappés d’un diesel
à la manufacture métaphysique d’effluves
où mes synapses explosent en millions d’étincelles
Comme les « diesels encrassés » de Errer humanum est [in Meteo für nada], le « diesel » évoqué ici doit la suggestivité de son détournement métaphorique au rapprochement avec le principe de fonctionnement par autocombustion, tel que Thiéfaine l’évoque avec les mêmes implications sémantiques dans le vers de Solexine et ganja [in Soleil cherche futur] « j’fais de l’autocombustion tout seul dans mon half-track ».
Le contraste révélateur avec l’accentuation sexuelle du « Vésuve » - le « mont de Vésuve » substitué à celui de Vénus sur le modèle du détournement opéré par William Burroughs dans Le Festin nu [William Burroughs, Le festin nu, traduit de l'américain par Eric Kahane, préface de Gérard-Georges Lemaire, Paris [1964], Gallimard, 2002, collection « Folio SF », p. 317] -, la lecture littérale et physiologique de la « manufacture » rencontrée également dans Alligators 427 [in Autorisation de délirer] et Sweet amanite phalloïde queen [in Meteo für nada] ainsi que le rappel de la conception lucrétienne des « effluves » et le flou sémantique créé par l’adjonction de la lecture étymologique des « synapses » complètent le cadre de la réaccentuation corporelle de la séquence « métaphysique » qui ne saurait cependant à elle seule en épuiser l’incroyable richesse sémantico-associative, celle-ci étant d’ailleurs caractéristique de l’ensemble du texte. Dans l’impossibilité compréhensible où l’on se trouve d’en rendre compte ici, on se contentera de signaler le double parallèle empédocléen et nietzschéen véhiculé par la mention du Vésuve, « l’algèbre des mélancolies » qui constitue le thème central de la chanson y trouvant une possibilité de traduction particulièrement adéquate dans sa dimension suicidaire et destructrice.
[38] H.F. Thiéfaine, Crépuscule-transfert, in Fragments d’hébétude.
[39] Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, traduit de l’allemand par Henri Albert, Œuvres, II, p. 67.
[40] Friedrich Nietzsche, Le crépuscule des idoles, traduit de l’allemand par Henri Albert, Œuvres, II, p. 957-958. L’appréciation portée ici sur la démarche intellectuelle de Socrate possède dans le même texte du philosophe un parallèle consacré à Thucydide [p. 1025-1026] dont on ne saurait trop recommander la méditation dans le cadre de l’exégèse thiéfainienne :
Il faut le suivre ligne par ligne et lire ses arrière-pensées avec autant d’attention que ses phrases : il y a peu de penseurs si riches en arrière-pensées.
[41] H.F. Thiéfaine, Joli mai mois de Marie, in Défloration 13. L’énoncé intégral du vers « dans la tulle des brumes en osmose » rend tangible la charge atmosphérique érotico-sexuelle qui s’attache notamment à l’évocation des « brumes » , la réinterprétation joyeusement blasphématoire du « mois de Marie » devant faire l’objet d’un examen détaillé à un stade ultérieur des présentes réflexions.
[42] H.F. Thiéfaine, Psychopompes, métempsychose et sportswear, in La tentation du bonheur.
[43] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Imprécation contre le christianisme, traduit de l’allemand par Henri Albert, Œuvres, II, p. 1053.
[44] Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, Œuvres, I, p. 854.
[45] H.F. Thiéfaine, Diogène série 87, in Meteo für nada. Le terme « égouts » retenu par Thiéfaine présente une correspondance sémantique et symbolique idéale avec les « Kloaken » de l’allemand qui désignent aussi bien les « égouts » - et ce à l’exclusion de tout autre terme concurrent - que les « cloaques », la priorité donnée à la proximité visuelle et acoustique - au détriment de l’impact suggestif du concept qui découle de son ancrage dans la réalité familière et quotidienne - ayant été à l’origine de l’option retenue pour le texte français. Les dimensions comme le thème de la présente contribution excluent la discussion des mérites respectifs des diverses traductions ou de leurs éventuelles insuffisances, pour lesquelles on peut renvoyer au jugement sans appel porté par Thiéfaine : « Nietzsche a toujours été très mal traduit. » [« H.F. Thiéfaine : "Fidèle à mes rêves de gosse" », recueilli par Benjamin Seyer, L’Indépendant, 28/07/2012] Comme la mise en parallèle avec les formulations originales du philosophe et leur réécriture par l’auteur, le traitement de cet aspect sera réservé à l’analyse exhaustive de la référence nietzschéenne évoquée en note 13.
[46] La réunion de la connotation sexuelle et de l’intention blasphématoire à travers la distorsion parodique des processus sacramentaux s’effectue de façon similaire dans L’homme politique, le roll-mops et la cuve à mazout [in Autorisation de délirer] où la dynamique de subversion s’élabore pour une part essentielle à partir du détournement de l’image des « pissotières » présente dans les vers
tu redescends chez ton opium
y retrouver tes sœurs perdues
tes chimpanzés qui nous déloquent
dans tes pissotières du salut
Faisant écho à la mention multivoque de l’« opium » dont le spectre d’évocation permet d’assigner aux retrouvailles avec les partenaires potentiels - « sœurs perdues » ou « chimpanzés » - le triple cadre de la réunion politique, de l’église ou du lieu de plaisir, les « pissotières » apportant la possibilité d’une spécification ad hoc du décor - respectivement comme isoloir, confessionnal ou toilettes - prennent une suggestivité accrue par l’adjonction de la notion du « salut » déclinée elle aussi sur le mode polysémique : au primat de la lecture théologique - incluant la possibilité de sa transposition à la sphère de l’idéologie politique ou militaire - s’oppose la plausibilité tout aussi évidente de la lecture parallèle du « salut » en tant que désignation imagée du phénomène d’érection - qu’on retrouve dans les « chœurs de l’armée du salut » de Last exit to paradise [in Scandale mélancolique] illustrant sur le même mode provocateur la contamination de la sphère du religieux et de celle de l’Éros - , l’alliance du soulignement eschatologique et de l’obscénité de l’évocation sexuelle couronnant la réécriture blasphématoire du « salut » initiée par le rapprochement sacrilège avec les « pissotières ». La spirale du détournement se prolonge par l’ambiguïté typiquement thiéfainienne propre à la triple lecture du verbe « déloquent » dont l’acception concrète renvoyant au langage familier est investie du sens symbolique d’une mise à nu spirituelle dans les « pissotières du salut » - ou d’une exploitation de l’électeur par les politiques - tout en restant parfaitement susceptible d’une interprétation littérale que corrobore la réinterprétation physiologico-sexuelle du « salut », tandis que le sensus etymologicus issu du latin deloquor comme synonyme de loquor exprime la réalité tangible de l’action de « parler » à laquelle se résume effectivement le contenu du rituel de la confession - ainsi que de l’équivalent qu’en offre sur le plan politique le cérémonial électoral précédé des discours du candidat.
Il est significatif ici que le traitement de ce même thème dans le texte de Psychopompes, métempsychose et sportswear privilégiant la relecture paradoxale du « sacrifice » lui attribue avant tout la valeur d’une notation à valeur atmosphérique, laissant au second plan ses possibilités suggestives propres que le rapprochement avec la déclinaison parallèle du motif axée sur le soulignement de l’analogie blasphématoire permet cependant de rétablir. La possibilité de leur identification par l’intermédiaire du renvoi aux vers de L’homme politique, le roll-mops et la cuve à mazout reflète la complémentarité et la permutabilité de principe qui régissent les rapports entre les constituants du corpus des chansons au sein du réseau de correspondances extrêmement structuré mis en place par Thiéfaine, autorisant ainsi l’élucidation réciproque d’un texte par un autre dans laquelle réside un postulat essentiel de la démarche herméneutique - pour autant que celle-ci vise à une appréhension globale du projet artistique de l’auteur.
Complétons le survol du motif par l’évocation des « pissotières » dans La queue [in Autorisation de délirer]
j’ai fait la queue devant les pissotières
j’ai fait la queue dans les petits coins pervers
où domine la possibilité du détournement sexuel y compris à travers la signification physiologico-métaphorique de « fait la queue » sollicitée de façon quasi explicite dans la suite du texte, alors que le sensus etymologicus autorise dans le même temps une lecture plus neutre des « petits coins pervers » réinterprétés en « petits coins sombres », conformément à l’ambivalence permanente qui caractérise le discours poétique de l’auteur.
[47] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1053.
[48] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, Œuvres, II, p. 774.
[49] La place manque ici pour un examen exhaustif des séquences révélant la permanence de l’accentuation érotico-blasphématoire dans le traitement thiéfainien du motif de l’« autel » que l’argot classique assimile régulièrement au sexe de la femme. On trouve un exemple d’une telle relecture dans les vers de Exit to chatagoune-goune [in Soleil cherche futur]
l’ange a léché le chimpanzé
sur l’autel des agonisants
La référence pseudo-religieuse prend sa signification scandaleuse à travers le renvoi au sensus etymologicus des « agonisants » identifiés comme les partenaires du corps à corps sexuel, l’association sacrilège de l’« ange » et du « chimpanzé » pouvant aussi bien renvoyer à la nature fondamentalement hybride de l’être humain que relever de la conception idéalisante de « l’éternel féminin » goethéen aussi décriée par Nietzsche qu’elle est au centre de la conception de Thiéfaine (qui se sépare sur ce seul point de sa principale référence philosophique), la logique du rapprochement oxymoral la faisant cependant cohabiter dans un nouveau détournement provocateur avec la suggestivité du renvoi aux processus corporels. La possibilité d’une lecture sexuelle de l’« agonie » [Alligators 427, in Autorisation de délirer ; Cabaret sainte-Lilith, in Autorisation de délirer ; Lorelei sebasto cha, in Soleil cherche futur] est par ailleurs la règle dans les textes de l’auteur, sans oublier le « dernier combat » de Autoroutes jeudi d’automne [in Soleil cherche futur] qui apparaît comme la retranscription littérale du terme. La connotation sexuelle et avec elle la dimension blasphématoire de l’évocation prend par comparaison un caractère plus diffus dans Les dingues et les paumés [in Soleil cherche futur] où le processus sacrificiel frappe essentiellement par sa dimension d’immolation symbolique, même si la suggestivité de l’évocation autorise voire dicte d’emblée sa transposition au domaine de l’Éros :
les dingues et les paumés sacrifient don quichotte
sur l’autel enfumé de leurs fibres nerveuses
La double profanation de l’« autel » et de la « victime » sert de support à l’évocation de la pédophilie sur au moins un plan du discours de Demain les kids [in Chroniques bluesymentales], la perversion sexuelle trouvant un équivalent métaphorique suggestif dans l’inversion symbolique dont fait l’objet le processus liturgique :
tu n’es plus que l’otage la prochaine victime
sur l’autel écœurant de l’horreur anonyme
La série des motifs religieux est complétée par l’évocation du « sacrifice » rencontrée dans la strophe suivante, lors de laquelle le rappel biblique devient le véhicule même de l’accentuation blasphématoire ramenée à sa signification première de mise en accusation du divin :
pendant qu’un abraham ivre de sacrifice
offre à son dieu vengeur les sanglots de son fils
[50] H.F. Thiéfaine, Lorelei sebasto cha, in Soleil cherche futur.
[51] Gérard de Nerval, Le Christ aux Oliviers, in Œuvres III, Paris, Gallimard, 1983, « La Pléiade », p. 45.
[52] Le même détournement cryptique du terme « enzyme » utilisé comme désignation des « effervescences » ou « fermentations » sexuelles se retrouve dans Exil sur planète-fantôme [in Dernières balises (avant mutation)] :
nous vivions nos vertiges dans des vibrations folles
et gerbions nos enzymes en nous gueulant « moteur »
[53] Mikhaïl Bakhtine, L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 20. La dimension de dérision carnavalesque inhérente à la démarche de Thiéfaine a été analysée dans Françoise Salvan-Renucci, « "la peste a rendez-vous avec le carnaval" : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l'œuvre de H.F. Thiéfaine », à paraître dans Babel aimée ou la choralité d’une performance à l’autre : du théâtre au carnaval, (ouvrage collectif), Paris, L’Harmattan, 2015, coll. « Thyrse », p. 122-168.
[54] H.F. Thiéfaine, Diogène série 87, in Meteo für nada.
[55] H.F. Thiéfaine, Joli mai mois de Marie, in Défloration 13.
[56] Les « stigmates » de Joli mai mois de Marie trouvent un corollaire dans l’autre composant du pistil qu’est le « style », l’identification de l’acception botanique apportant un enrichissement manifeste à l’aura connotative du terme et donc des séquences dans lesquelles il figure tant dans Empreintes sur négatif [in Le bonheur de la tentation] que dans Amant sous contrôle [in H.F. Thiéfaine & Paul Personne, Amicalement blues, Paris, Sony/RCA, 2007]. Il est à noter que parmi les trois éléments du pistil - ovaires, style et stigmate -, Thiéfaine s’abstient jusqu’ici de recourir dans ses textes à celui des ovaires dont l’univocité se prête mal à la technique du détournement polysémique, tandis que « style » et « stigmates » offrent des possibilités d’utilisation fructueuses dans le cadre du discours multivoque et de sa dynamique énonciative en perpétuelle oscillation.
[57] Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, Œuvres, II, p. 834.
[58] La même oscillation entre la signification purement hématologique des « globules » et la relecture sous l’angle sexuel suggérée implicitement par le sensus etymologicus se rencontre dans le distique final de Mathématiques souterraines [in Dernières balises (avant mutation)] :
il est minuit sur ma fréquence
et j’ai mal aux globules
[59] L’appartenance de la chanson à l’album Défloration 13 confirme indirectement la pertinence de la réflexion engagée autour de « l’hémoglobine », l’imbrication étroite et systématique qui réunit les pièces du « puzzle » de chacune des chansons se répétant au niveau supérieur de l’organisation de l’album.
[60] cf. Pierre Klossowski, Origines cultuelles et mythiques d’un certain comportement des dames romaines, p. 33.
[61] H.F. Thiéfaine, Garbo XW machine, in Suppléments de mensonge.
[62] H.F. Thiéfaine, Garbo XW machine, in Suppléments de mensonge.
[63] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 33.
[64] H.F. Thiéfaine, Fenêtre sur désert, in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.
[65] Friedrich Nietzsche, Aurore, traduit de l’allemand par Henri Albert, Œuvres, I. p. 1104.
[66] Plutarque, Vies parallèles (Thémistocle, XIII, 3), Traduction d’Anne-Marie Ozanam, Édition publiée sous la direction de François Hartog, Paris, Gallimard, 2001, coll. « Quarto », p. 268.
Le sacrifice omophagico-dionysiaque comme métaphore de l’accomplissement sexuel est évoqué sur le mode de la célébration mystique et jubilatoire dans le distique de Sentiments numériques revisités [in La tentation du bonheur] :
quand l’ange anthropophage nous guide sur la colline
pour un nouveau festin de nos chairs androgynes
La conception dionysiaque d’une annihilation réciproque des partenaires sexuels se retrouve également dans le vers « le blues a dégrafé nos cœurs de cannibales » de Lorelei sebasto cha [in Soleil cherche futur].
[67] Homère, L’Odyssée, Traduction par Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1924, VI, 456. La fréquentation intensive d’Homère et notamment de L’Odyssée est un élément essentiel du projet artistique de Thiéfaine, dont l’importance est attestée tant par la formulation programmatique « comme on traduit Homère » rencontrée dans Fièvre résurrectionnelle [in Suppléments de mensonge] que par la remarque : « Des livres qui ont traversé pareillement les siècles, j’en vois deux : la Bible et l’Odyssée. » [« H.F. Thiéfaine : Le syndrome John Wayne », Propos recueillis par Jean Théfaine, Chorus, octobre 1998]
[68] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 12.
[69] H.F. Thiéfaine, Première descente aux enfers par la face nord, in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir.
[70] H.F. Thiéfaine, Première descente aux enfers par la face nord, in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir.
[71] H.F. Thiéfaine, Orphée nonante huit, in Le bonheur de la tentation.
Le thème du « fameux contrat » avec le diable « sur lequel j’aimerais bien moi aussi apposer ma griffe » [Comment j’ai usiné ma treizième défloration, in Défloration 13 [CD/ROM], Paris, Sony / Éditions Lilith Erotica, 2001] se retrouve dans Roots & déroutes plus croisement [in Défloration 13] et dans Your terraplane is ready Mister Bob ! [in Amicalement blues] où le renvoi à la légende de Robert Johnson devient le symbole de la dimension luciférienne inhérente à l’existence poétique (et plus spécialement au projet artistique de l’auteur).
[72] H.F. Thiéfaine, Syndrome albatros, in Eros über alles. L’écho direct au Déshonneur des poètes de Benjamin Péret témoigne de la proximité de Thiéfaine avec le poète surréaliste, à laquelle renvoie la remarque : « Quand j’avais dix-huit ou vingt ans, j’ai adoré Benjamin Péret, tous ses poèmes. » [« H.F. Thiéfaine : "l’artiste met de l’ordre dans le chaos du monde" »]. Une importance particulière revient à la déclaration :
La poésie à l’état brut, seuls deux ou trois génies peuvent se la permettre : Baudelaire, Rimbaud, Péret. Si tu as l’âme d’un poète et que tu n’es pas génial, tu es obligé de prendre des supports pour y arriver. [« H.F. Thiéfaine, la tentation du malheur », Jean-Claude Demari, 27/03/2001, http://www.rfimusique.com/musiquefr/articles/060/article_13394.asp]
Mise à part l’accentuation auto-dévalorisatrice qui appelle un démenti énergique - que l’analyse entreprise ici se propose d’apporter dans la mesure de ses moyens -, l’appréciation de l’auteur est singulièrement éclairante sur le plan poétologique, dans la mesure où la définition de la nature comme des modalités de réalisation de son projet artistique y est suggérée de façon remarquablement évocatrice.
[73] Albert Camus, L’Homme révolté, p. 45.
[74] Albert Camus, L’Homme révolté, p. 45.
[75] Pierre Klossowski, Descente au sous-sol (1978), MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris.
[76] H.F. Thiéfaine, Première descente aux enfers par la face nord, in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir.
[77] H.F. Thiéfaine, Garbo XW machine, in Suppléments de mensonge.
[78] H.F. Thiéfaine, La nostalgie de dieu, in La tentation du bonheur. Le concept antique du deus ex machina se voit de même amené à sa dernière conséquence dans la série
deus ex machina
deus ex maserati
deus ex aston martin
où l’équivoque entre la lecture latine de la machina et la signification italienne contemporaine du terme offre une possibilité de concrétisation inattendue aux modalités de l’apparition théâtrale. Signalons le nouvel avatar à connotation érotico-sacrilège représenté par le « DJ God » de Médiocratie… [in Stratégie de l’inespoir].
[79] H.F. Thiéfaine, La nostalgie de dieu, in La tentation du bonheur.
[80] H.F. Thiéfaine, 113e cigarette sans dormir, in Dernières balises (avant mutation).
Outre le parallèle frappant avec la scène correspondante du Dernier tango à Paris, la formulation thiéfainienne contient une référence indirecte au Festin nu évoquant la même substitution à usage sexuel sous le nom de « scandale de la vaseline » [William Burroughs, Le festin nu, traduit de l'américain par Eric Kahane, préface de Gérard-Georges Lemaire, Paris [1964], Gallimard, 2002, coll. « Folio SF », p. 214], cf. Françoise Salvan-Renucci, « "la peste a rendez-vous avec le carnaval" : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l'œuvre de H.F. Thiéfaine ».
Notons enfin - le discours de la chanson réunissant dans sa spirale blasphématoire le renvoi au « coran » et l’évocation de Jésus présenté comme « le crapaud qui gueulait je t’aime » - que l’ensemble du corpus thiéfainien s’attaque avec une égale virulence à l’ensemble des « chimères qui rendent le monde heureux » [Zoos zumains zébus, in Chroniques bluesymentales], les vers de La philosophie du chaos [in La tentation du bonheur]
c’est pas parce qu’on n’aime pas l’coran
qu’on doit finir chrétien
offrant un résumé significatif du traitement réservé au phénomène religieux dans l’œuvre de l’auteur.
[81] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II. p. 1064.
[82] H.F. Thiéfaine, 113e cigarette sans dormir, in Dernières balises (avant mutation).
[83] H.F. Thiéfaine, Ad orgasmum æternum, in Soleil cherche futur.
[84] H.F. Thiéfaine, Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable, in Le bonheur de la tentation. L’« anachorète » réapparaît sous une forme cryptique dans Éloge de la tristesse [in Défloration 13] où la formulation « celui qui veut plus danser » évoquant la mise en retrait volontaire du protagoniste traduit le jeu de mots entre les verbes grecs [se tenir à l’écart, d’où le terme « anachorète »] et [conduire des chœurs], confirmant la nécessité incontournable d’une lecture multilingue des textes de l’auteur.
[85] H.F. Thiéfaine, L’amour est une névrose, in Suppléments de mensonge.
[86] H.F. Thiéfaine, Psychompompes, métempsychose et sportswear, in La tentation du bonheur.
[87] Le « gentil petit caniche » de Je suis partout [in Eros über alles] appelle également une double lecture dont l’opportunité est significativement renforcée par la précision « qui ratonne la nuit dans sa niche », tandis que les « caniches » de Loin des temples en marbre de lune [in Scandale mélancolique] doivent à leur proximité avec les « troubadours » de pouvoir être assimilés également à des humains dans le cadre spécifique de l’évocation d’un « immense amour » (concernant le rappel indirect de la formule célinienne « l’amour, c’est l’infini à la portée des caniches » et sa fonction au sein de la dynamique du discours, cf. Françoise Salvan-Renucci, « "la peste a rendez-vous avec le carnaval" : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l'œuvre de H.F. Thiéfaine »). L’analyse du motif du « caniche » dans le corpus des chansons réclamerait un examen du parallèle avec le traitement de la même thématique dans les chapitres des Frères Karamazov consacrés au procès de Mitia, l’exploration de la référence à Dostoïevski dans le discours thiéfainien constituant un objectif essentiel de la démarche d’investigation menée par la rédactrice de ces lignes.
[88] H.F. Thiéfaine, Fin de partie, in Fragments d’hébétude. Le terme de « sœur » est utilisé de façon récurrente dans les textes de Thiéfaine comme désignation de la partenaire féminine, le motif romantico-baudelairien permettant la résurgence de constellations mythologiques et archétypales qu’on doit renoncer à présenter ici.
[89] H.F. Thiéfaine, 27e heure : suite faunesque, in Le bonheur de la tentation.
[90] H.F. Thiéfaine, L’amour est une névrose, in Suppléments de mensonge.
[91] H.F. Thiéfaine, 24 heures dans la nuit d’un faune, in La tentation du bonheur. Signalons que les termes médicaux du second vers se prêtent tous à une lecture sexuelle que l’on doit renoncer à développer ici.
Les « infirmières des premiers secours » de Parano-safari en ego-trip-transit [in Défloration 13] abandonnent à l’inverse la connotation religieuse, la formulation « qui viennent te border aux urgences » établissant à travers l’équivoque créée autour du sensus etymologicus des « urgences » – renvoyant au latin urgere – la double fonction d’auxiliaire médicale et sexuelle que leur attribue le protagoniste. La « sœur hospitalière » que 542 lunes et 7 jours environ [in Chroniques bluesymentales] situe dans une proximité locale et symbolique avec la « geisha funéraire » illustre l’infléchissement de la thématique médico-sexuelle vers l’évocation récurrente du « dernier baiser » [Libido moriendi, in Scandale mélancolique].
[92] H.F. Thiéfaine, Pulque mescal y tequila, in Eros über alles. La polysémie de l’évocation sacrilège a fait l’objet d’une première discussion dans Françoise Salvan-Renucci, « "la peste a rendez-vous avec le carnaval" : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l'œuvre de H.F. Thiéfaine ».
[93] H.F. Thiéfaine, Un vendredi13 à 5 heures, in Alambic / sortie sud.
[94] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1069. La même idée est reprise dans la suite du texte :
Et a-t-on le droit d’être chrétien tant que la naissance de l’homme est christianisée, c’est-à-dire souillée par l’idée de l’Immaculée Conception… [p. 1094.]
[95] Le renvoi à la matrice se retrouve dans le vers de When maurice meets alice [in Scandale mélancolique]
ils étaient sortis de l’enfance
comme les fantômes d’un vestibule
avec un fichier sur leur chance
et des fleurs sur leur matricule
où l’idée de la conception domine le discours des deux premières strophes, en adéquation avec le sujet de la chanson évoquant les parents de l’auteur. Le parallèle avec le vers de la première strophe évoquant « les amants d’une autre guerre » permet la perception de l’aura multivoque qui s’élabore autour du terme « matricule », l’accentuation blasphématoire étant ici exclue de par la thématique du texte.
[96] L’évocation multivoque de la « connerie » se retrouve dans Redescente climatisée [in Dernières balises (avant mutation)] ou dans Precox éjaculator [in Meteo für nada]. La « ciguë en fleurs » de Eurydice nonante sept [in Le bonheur de la tentation], les « ciguës » de Les jardins sauvages [in Scandale mélancolique] ou « l’alcaloïde » de Casino / sexe et tendritude [in Suppléments de mensonge] prennent la même signification à travers le renvoi implicite au principe actif de la « conéine » ou de la « conine », pour ne rien dire des « petits lapins » de La fille du coupeur de joints [in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir] auxquels la dénomination latine de cunniculi restitue leur dimension essentiellement féminine et sexuelle.
[97] « H.F. Thiéfaine : Le syndrome John Wayne ».
[98] H.F. Thiéfaine, Paranoïd game, in Fragments d’hébétude. La « mère supérieure » trouve un parallèle dans le « pilote aux yeux de gélatine » de Sweet amanite phalloïde queen [in Meteo für nada], soit la « maîtresse au regard glacé » obtenue par le renvoi conjoint au double sens du grec - notamment dans sa spécification sous la forme où il renvoie à la double qualité d’Artémis à la fois « conductrice » et « maîtresse » - et au sens originel de la « gélatine » renvoyant à la « consistance de ce qui est gelé », la complexité vertigineuse du discours de la chanson ne pouvant être retracée ici avec la précision qu’elle exigerait pour une saisie adéquate de la totalité des implications qu’elle véhicule. Signalons dans le cadre de la thématique abordée dans ces pages que le couple formé par le protagoniste et « la reine aux désirs écarlates » - l’association au « satellite-usine » puis aux « galaxies d’amour pirate » précisant le cadre dans lequel s’exerce son rôle d’instance supérieure en matière de jeux sexuels - décline le modèle biblique de Jézabel et de son rapport à Achab - le « capt’ain Macchab’ » du texte de Thiéfaine combinant le travestissement de la référence aux Macchabées et celui du nom du héros de Moby Dick avec le renvoi à la mort -, la localisation de la scène dans « Moloch city » entrelaçant pour sa part le renvoi biblique et le rappel de Au-dessous du volcan [Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan, Traduit de l'anglais par Stephen Spriel avec la collaboration de Clarisse Francillon et de l'auteur, Paris, Gallimard, 1959, coll. « Folio », p. 65].
[99] H.F. Thiéfaine, Fenêtre sur désert, in Stratégie de l’inespoir.
[100] H.F. Thiéfaine, 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales. La lecture négative du porc comme représentant symbolique de la médiocrité humaine apparaît au début de Was ist das rock’n’roll ? :
200. 000 ans déjà que je zone sur la terre
dans le grognement lourd des groins qui s’entrechoquent
[101] La proximité avec l’univers de la Cour des Miracles est encore plus marquée dans la strophe suivante réunissant « faunes », « baltringues » et « souffreteux » dont on renonce à pousser plus avant la caractérisation symbolique, celle-ci découlant comme à l’habitude essentiellement de la perception du sensus etymologicus.
[102] H.F. Thiéfaine, Narcisse 81, in Dernières balises (avant mutation) ; Exil sur planète-fantôme, in Dernières balises (avant mutation). Les vers de Narcisse 81
le futur te sniffe à rebours
te plantant sur un look rétro
offrent la même possibilité de réinterprétation sexuelle de l’approche « à rebours », le « look retro » combinant l’accentuation érotique, le sens littéral du « regard en arrière » et l’allusion à la mode « rétro » du début des années 80 reproduisant celle des années 40, acception que vient renforcer le « dernier mélo » qui détourne le titre Le dernier métro du film de Truffaut sorti en 1981 et évoquant le monde du théâtre parisien pendant les années de l’Occupation - le travestissement de l’acteur étant pour sa part reflété directement par le « tu te grimes ».
[103] Lucius Annaeus Seneca, Ad Lucilium Epistulae Morales, 122, 18.
[104] H.F. Thiéfaine, Série de 7 rêves en crash position, in Fragments d’hébétude ; L’amour est une névrose, in Suppléments de mensonge
[105] H.F. Thiéfaine, Joli mai mois de Marie, in Défloration 13.
[106] H.F. Thiéfaine, Femme de Loth, in Alambic / sortie sud. L’intégralité du catalogue entremêlant stations de métro réelles ou fictives et lieux de félicité ou de perdition bibliques souligne à nouveau l’importance de la référence à la Bible dans le cadre de l’évocation de la sexualité :
météo sex-appeal en matant la dérive
du Sèvres-Babylone correspondance Ninive
et je change à Sodome à Gomorrhe j’ouvre un pack
avant de me tirer de c’putain d’Eden Park
Le « crime » imputé à la partenaire féminine dans la deuxième strophe rejoint la dimension sadienne de la provocation sacrilège dont les présentes lignes se proposent d’établir la fonction dans le corpus thiéfainien, l’explicitation du titre étant pour sa part apportée par l’injonction finale « ne vous retournez pas la facture est salée » dont on aimerait pouvoir approfondir à loisir l’aura suggestive.
[107] H.F. Thiéfaine, Chambre 2023 (et des poussières), in Alambic / sortie sud.
[108] http://www.dailymotion.com/video/k7ARygrugnp7HM9k54L?start=6, « H.F. Thiéfaine, invité de Ouest-France », 12/11/2014. La remarque faite par l’auteur à propos du texte de Les dingues et les paumés [in Soleil cherche futur] peut être généralisée à l’ensemble de sa création dont elle résume le principal postulat esthétique ; sa réitération appliquée cette fois-ci aux Confessions d’un never been [in Scandale mélancolique] vient à l’appui de l’hypothèse concluant à la prééminence récurrente – dans le cadre du processus d’écriture des chansons – d’une intention de disposition calculée jusque dans ses implications de détail :
http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/on-connait-la-musique/sons/on-connait-la-musique-avec-hubert-felix-thiefaine-et-mina-tindle-2317139
[109] Le caractère multivoque du « miroir » et la possibilité récurrente de son identification à la figure féminine est un trait constitutif du discours thiéfainien à propos duquel il importe de souligner l’importance de la référence pétrarquienne. Citons ici le « je te vois dans les miroirs » de Modèle dégriffé [in Suppléments de mensonge] ou la séquence aux implications sexuelles plus marquées de Un automne à Tanger [in Chroniques bluesymentales] :
mais j’devrais me cacher
et parler à personne
et ne plus fréquenter
les miroirs autochtones
Les vers de Juste une valse noire [in Fragments d’hébétude] :
et tu scelles tes lèvres
aux secrets d’un miroir
véhiculent la même double dimension initiatique et sexuelle, cette dernière prenant le caractère d’un cunnilingus à travers le sensus etymologicus des « secreta ». Signalons aussi que la mention du « vert-de-gris de nos villes » dans Gynécées [in Scandale mélancolique] se rattache à la sphère érotico-vénusienne par l’intermédiaire du renvoi sous-jacent au cuivre traditionnellement associé à Vénus dans la mythologie et l’alchimie.
[110] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Œuvres, II, p. 445.
[111] Friedrich Nietzsche, Aurore, Œuvres, I, p. 1110.
[112] H.F. Thiéfaine, Nyctalopus airline, in Alambic / sortie sud.
[113] H.F. Thiéfaine, Narcisse 81, in Dernières balises (avant mutation). La polysémie du vers « et nous avions des gueules à briser les miroirs » [Exil sur planète-fantôme, in Dernières balises (avant mutation)] relève de la même approche subversive de la symbolique du miroir, à laquelle il conviendrait d’adjoindre la théorie lucrétienne des miroirs et des simulacres dont le discours thiéfainien révèle l’empreinte de façon récurrente.
[114] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 31-32. cf. aussi p. 37 la description complémentaire de la sodomie en tant que « mode par excellence de la transgression des normes - (ce qui suppose leur maintien paradoxal) » :
En effet, supprimant les frontières entre les sexes en tant qu’épreuve callipygienne, il forme selon Sade le signe clé de toutes les perversions.
[115] H.F. Thiéfaine, La nuit de la samain, in Scandale mélancolique.
[116] H.F. Thiéfaine, La nuit de la samain, in Scandale mélancolique.
[117] H.F. Thiéfaine, La nuit de la samain, in Scandale mélancolique.
[118] H.F. Thiéfaine, Crépuscule-transfert, in Fragments d’hébétude.
[119] H.F. Thiéfaine, La nuit de la samain, in Scandale mélancolique.
[120] H.F. Thiéfaine, Médiocratie…, in Stratégie de l’inespoir.
[121] La relecture sexuelle du motif du « lépreux » en tant qu’évocation cryptée des lèvres et du baiser se retrouve dans le distique de Fièvre résurrectionnelle [in Suppléments de mensonge] évoquant les
6 milliards de lépreux qui cherchent leur pitance
dans les rues de l’amour en suivant la cadence
Elle inspire également le renvoi aux
odeurs gélatineuses
de chairs moites et lépreuses
dont l’ambiguïté suggestive reflète idéalement l’ambiance d’apparence post- ou pseudo-apocalyptique de Caméra terminus [in Chroniques bluesymentales].
[122] Odi et amo. Quare id faciam, fortasse requiris.
Nescio, sed fieri sentio et excrucior. [Catulli Veronensis Liber, 85, 1-2 ]
La citation de Catulle « iucundum cum ætas florida uer ageret » [68, 16] placée en exergue de La ruelle des morts atteste de façon explicite de l’intérêt témoigné par Thiéfaine au poète latin, tandis que le rappel implicite de la figure récurrente de « Mentula » qui transforme la mention de la « bouiffe de Royale Menthol » en évocation cryptée d’une fellation (cf. la séquence consacrée aux « king size » de Sweet amanite phalloïde queen [in Meteo für nada]) permet de renforcer les connotations sexuelles de la strophe consacrée à l’évocation des « printemps » et des « filles ». Un autre exemple éloquent de renvoi indirect est offert par le « maintenant je te connais » de Lorelei sebasto cha [in Soleil cherche futur] qui apporte par son caractère d’écho littéral au « nunc te cognoui » [67, 5] de Catulle une dimension supplémentaire à l’impressionnante aura associative du texte, dont il est à nouveau exclu de détailler ici les divers constituants.
[123] Henry Miller, Le temps des assassins. Essai sur Rimbaud, Traduit par F.-J. Temple, Paris, Pierre Jean Oswald, 1970. p. 40. Concernant le rapport privilégié de Thiéfaine au « bon pédagogue » qu’a été pour lui Henry Miller, cf. les déclarations recueillies dans Galaxie Thiéfaine : supplément d’âme.
[124] H.F. Thiéfaine, L’amour est une névrose, in Suppléments de mensonge.
[125] H.F. Thiéfaine, Droïde song, in Eros über alles.
[126] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, Œuvres, II, p. 833.
[127] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1088.
[128] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Œuvres, II, p. 444-445.
[129] La lecture anatomico-sexuelle des « calvaires » apparaît également dans Alligators 427 [in Autorisation de délirer] dont le texte peut être lu comme le récit crypté mais entièrement cohérent d’un rapprochement sexuel se terminant par un « cale-en-bourre », le « calembour » du texte original dévoilant son potentiel de dérision sexuelle à travers le jeu de mot lacanien qui établit la valeur de référence dévolue à la démarche situationniste.
[130] H.F. Thiéfaine, 113e cigarette sans dormir, in Dernières balises (avant mutation).
[131] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1064.
[132] Catulle, 99, 4
[133] Le vers de 542 lunes et 7 jours environ [in Chroniques bluesymentales] « chaque fois que j’raye un jour d’une croix sur mon pieu » partage avec la strophe citée la possibilité d’une reprécision alternative de chacun des termes de la séquence - le verbe « raye », la « croix » et le « pieu » devenant les dénominations cryptiques de l’acte sexuel et de son décor -, la dimension blasphématoire restant par contre en retrait de l’évocation du fait de la non-sollicitation de l’acception religieuse de la « croix ».
[134] L’équivoque sémantique s’organise ainsi selon des modalités analogues dans le distique
les voppos gravent leurs initiales
dans le brouillard des no man’s lands
à ceci près que la référence historico-politique se substitue à l’accentuation religieuse pour devenir le pôle antagoniste de la dimension sexuelle latente dont on ne peut malheureusement préciser de façon exhaustive les modalités d’organisation discursive, la lecture étymologico-littérale des « no man’s lands » en tant que désignation métaphorique de la virginité ou de la disponibilité de la partenaire féminine apparaissant également dans Ad orgasmum æternum [in Soleil cherche futur] ou Bipède à station verticale [in Meteo für nada].
[135] H.F. Thiéfaine, Je t’en remets au vent, in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir.
[136] cf. l’indication « quand j’ai écrit cette chanson, j’avais 18 ans », Journal L’Alsace / Le pays, 21/05/2011.
[137] H.F. Thiéfaine, Villes natales et frenchitude, in Fragments d’hébétude.
[138] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 159-160.
[139] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 161.
[140] H.F. Thiéfaine, Les fastes de la solitude, in Défloration 13.
[141] H.F. Thiéfaine, La nostalgie de dieu, in La tentation du bonheur. La substitution du « démiurge » à « dieu » apparaît significativement comme une réminiscence directe de la conception gnostique dont Klossowski souligne l’affinité avec la dénonciation du « dieu mauvais » opérée par Sade et sur laquelle on reviendra dans les lignes qui suivent.
[142] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1053.
[143] H.F. Thiéfaine, Autoroutes jeudi d’automne, in Soleil cherche futur. La place manque ici pour détailler le rôle sous-jacent de la référence nietzschéenne dans les deux séquences citées où le motif de l’ennui en tant qu’attribut originel de Dieu et transmis comme tel à l’homme renvoie à l’enchaînement ironique décrit dans L’Antéchrist [p. 1061-1062] :
cependant il [Dieu] s’ennuie. Contre l’ennui, les dieux mêmes luttent en vain. Que fait-il ? Il invente l’homme, - l’homme est divertissant. Mais voici, l’homme aussi s’ennuie. […] Donc Dieu créa la femme. Et en effet l’ennui cessa, - et bien d’autres choses encore !
La formulation finale associant la création de la femme et la fin de l’ennui trouve pour sa part un écho suggestif dans le vers « sur un port au bout de l’ennui » de Camélia : huile sur toile [in Défloration 13] où la perception du parallèle nietzschéen permet le basculement vers la dimension sexuelle de l’évocation de l’errance nocturne.
[144] H.F. Thiéfaine, Lorelei sebasto cha, in Soleil cherche futur. La qualité proprement matérielle voire sordide de l’« ennui » assimilé aux traces visibles de « l’extra-balle » - dont la transparence sémantique est assurée ici par le rapprochement avec les parallèles respectifs du grec ou du latin ejaculare - est un élément essentiel du discours implicite du texte, la dimension symbolique de l’évocation restant évidemment conservée lors de sa surimposition au substrat physiologique.
[145] H.F. Thiéfaine, Alligators 427 [in Autorisation de délirer]. L’intégralité du distique
je cherche un nouveau nom pour ma métamorphose
je sais que mes enfants s’appelleront vers de terre
établit de façon manifeste la fonction dévolue à la « métamorphose » en tant que métaphore de la procréation, les vers de Septembre rose [in Eros über alles]
dans la métamorphose
des embruns souterrains
se chargeant du même impact révélateur accru par le renvoi explicite à la naissance du « sweet baby boy ».
[146] H.F. Thiéfaine, L’amour est une névrose, in Suppléments de mensonge.
[147] La formule « sans fin » est dotée chez Thiéfaine d’un impact symbolique ambivalent renvoyant tout autant à la permanence d’un état qu’au désir du surmontement de celui-ci, cf. Was ist das rock’n’roll, in Eros über alles (où le jeu de mots sur « fin » prévaut sur la dimension évoquée ici) ; Confessions d’un never been, in Scandale mélancolique ; Le jeu de la folie, in Scandale mélancolique ; La nuit de la samain, in Scandale mélancolique ; Les ombres du soir, in Suppléments de mensonge ; L’amour est une névrose, in Suppléments de mensonge.
[148] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 162.
[149] H.F. Thiéfaine, Autoroutes jeudi d’automne, in Soleil cherche futur. La prise en compte du parallèle implicite - et rythmant la totalité du déroulement du discours de la chanson - tant avec le poème de César Vallejo Piedra negra sobre una piedra blanca qu’avec plusieurs des Fragments d’Archiloque est indispensable à une exégèse adéquate du texte, la réalisation de cette exigence herméneutique devant cependant être réservée à une occasion plus appropriée.
[150] H.F. Thiéfaine, Juste une valse noire, in Fragments d’hébétude.
[151] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 161.
[152] H.F. Thiéfaine, Femme de Loth, in Alambic / sortie sud (cf. note 109).
[153] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 170.
[154] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 188.
[155] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 104-106.
[156] H.F. Thiéfaine, Amants destroy, in Eros über alles. On peut signaler ici que derrière la combinaison du « teddy boy » et du « lousy toy » se profile le rappel en forme de cut-up de la collection 1983 du couturier Jean-Paul Gaultier dont le nom de « toy boy » - ainsi que l’atmosphère des clips publicitaires ayant accompagné sa sortie - est évocateur de la même constellation où la femme décline - sur le mode parodique en ce qui concerne l’univers du couturier - le rôle traditionnel de la dominatrice. La qualité de « cunnibilingue » - qui possède un symétrique féminin dans les « s’crétaires cunnibilingues » de Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville [in Le bonheur de la tentation] - vient compléter idéalement le catalogue des accentuations « destroy » par la diversité des modes de réalisation de l’acte sexuel qu’elle implique, et qui reflètent ainsi au plan de la réalité corporelle l’action du « hasard » telle que l’évoque la suite du texte.
[157] H.F. Thiéfaine, Amants destroy, in Eros über alles. La « libre improvisation sur un thème de Marguerite Duras » prend pour point de départ le titre du roman Détruire, dit-elle pour en faire le prétexte à l’exposition de la thématique sacrilège, l’auteur indiquant à ce propos :
J’ai brodé autour de ces mots sans liens particuliers avec le contenu du livre » [Guitares et claviers¸ n° 85, mai 1988]
La figure féminine d’inspiration mélusinienne apparaissant dans Les ombres du soir [in Suppléments de mensonge] - qui reflète de l’aveu même de Thiéfaine [cf. La Libre Belgique, 25/03/2011] le modèle de la Vouivre de Marcel Aymé - expose un programme analogue de « séduire pour mieux détruire » dans lequel le défi à dieu reste par contre en retrait au profit des connotations mythico-archétypiques.
[158] Friedrich Nietzsche, Aurore, Œuvres, I, p. 1104.
[159] H.F. Thiéfaine, Amants destroy, in Eros über alles. Le parallèle avec les déclinaisons sacrilèges de l’Éros rencontrée dans le roman de Georges Bataille Histoire de l’œil ne peut faire l’objet ici d’un examen adéquat. Il en va de même en ce qui concerne l’accentuation sadienne pour laquelle la sollicitation des réflexions de Bataille se révélerait tout aussi pertinente, mais reste exclue du fait des dimensions imparties à la présente contribution.
Le motif du « contrôle » - ou plutôt de la mise hors service de celui-ci sur le double plan de la sexualité et du contexte d’évocation historico-métaphysique, la « soute à cartouches » illustrant la convergence des deux offres de lecture - domine dans Mathématiques souterraines [in Dernières balises (avant mutation)]
oh mais laisse allumé bébé y’a personne au contrôle
et les dieux du radar sont tous out et toussent
et se poussent et se touchent et se foutent et se broutent
oh mais laisse allumé bébé y’a personne au contrôle
et les dieux du radar sont tous out et toussent
et se poussent et se touchent et se foutent et se mouchent
dans la soute à cartouches
ainsi que dans Une fille au rhésus négatif [in Dernières balises (avant mutation)] :
nous ne sommes que les fantasmes fous d’un computer
avec son œil grinçant fouillant dans nos cerveaux
dans la fluorescence bleutée de son scanner
je regarde l’aiguille s’enfoncer dans ta peau
La représentation traditionnelle de l’œil divin se retrouve dans Stratégie de l’inespoir [in Stratégie de l’inespoir] où elle s’enrichit d’accentuations sexuelles sous-jacentes renvoyant à l’anatomie féminine :
et l’œil désespéré dans son triangle en kit
semble soudain jaloux de nos fiévreux baisers
tandis que Roots & déroutes plus croisement valorise l’évocation symbolique du soleil à travers le rappel de la
mauvaise mémoire
chauffée à blanc
dans l’œil sanglant
d’un ciel trop noir
[160] Homère, L’Odyssée, traduction de Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1953, XI, 109.
[161] cf. William Shakespeare, Macbeth, in Œuvres complètes, traduction de M. Guizot, Paris, Didier, 1864, acte I, scène 6 :
Viens, épaisse nuit; enveloppe-toi des plus noires fumées de l'enfer, afin que mon poignard acéré ne voie pas la blessure qu'il va faire, et que le ciel ne puisse, perçant d'un regard ta ténébreuse couverture, me crier: Arrête! Arrête!—
Bien que l’examen exhaustif de la référence shakespearienne « dans ce drame un peu triste où meurent tous les Shakespeare » [Lorelei sebasto cha, in Soleil cherche futur] doive être réservé au volume en préparation consacré à l’exploration de cette thématique, on peut signaler que le « travail de nuit » évoqué dans Amants destroy apparaît comme le reflet direct du « grand ouvrage de cette nuit » évoqué par lady Macbeth dans la même scène. Ajoutons que le « crime » imputé à la figure féminine de Femme de Loth [in Alambic / sortie sud] fait de celle-ci un autre équivalent supposé de l’héroïne shakespearienne, le renvoi aux « cerveaux malades » contenu dans la dernière strophe faisant par ailleurs directement écho aux « rêveries d’un cerveau malade » [acte II, scène 2] auxquelles lady Macbeth compare les pensées de son époux.
Notons de façon générale que la possibilité récurrente de double lecture et plus spécialement de détournement sexuel dans laquelle on a reconnu une constante du discours thiéfainien révèle une convergence essentielle avec le modèle shakespearien sans que la reconnaissance d’une telle équivalence de principe entraîne la nécessité d’en faire la démonstration par des parallèles précis établissant la plausibilité de telle ou telle réminiscence, le rapport de correspondance avec l’écriture shakespearienne étant justement décelable à tous les niveaux du discours poétique des chansons en tant que principe fondamental d’élaboration de l’énoncé énigmatique avant même d’entrer dans les détails des constituants verbaux de celui-ci.
[162] cf. Homère, L’Odyssée, VIII, 266 et suivants.
[163] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 161.
[164] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 162.
[165] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 161.
[166] H.F. Thiéfaine, Villes natales et frenchitude, in Chroniques bluesymentales.
[167] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 164-165.
[168] H.F. Thiéfaine, Villes natales et frenchitude, in Chroniques bluesymentales.
[169] H.F. Thiéfaine, Rock autopsie, in Autorisation de délirer ; Vendôme gardenal snack, in De l’amour, de l’art ou du cochon ? ; 113e cigarette sans dormir, in Dernières balises (avant mutation) ; Une fille au rhésus négatif, in Dernières balises (avant mutation) ; Exil sur planète-fantôme, in Dernières paroles (avant mutation) ; 713705 cherche futur, in Soleil cherche futur ; Les dingues et les paumés, in Soleil cherche futur ; Solexine et ganja, in Soleil cherche futur ; Whiskeuses images again, in Alambic / sortie sud ; Un vendredi 13 à 5 heures, in Alambic / sortie sud ; Was ist das rock’n’roll ?, in Eros über alles ; Droïde song, in Eros über alles ; 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales ; Crépuscule-transfert, in Fragments d’hébétude ; Retour vers la lune noire, in Le bonheur de la tentation ; Eurydice nonante sept, in Le bonheur de la tentation ; Joli mai mois de Marie, in Défloration 13 ; Gynécées, in Scandale mélancolique ; Confessions d’un never been, in Scandale mélancolique ; Le jeu de la folie, in Scandale mélancolique ; L’étranger dans la glace, in Scandale mélancolique ; Villon télégramme 2003, in Scandale mélancolique ; Fenêtre sur désert, in Stratégie de l’inespoir.
[170] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 160.
[171] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 168-169.
[172] H.F. Thiéfaine, Villes natales et frenchitude, in Chroniques bluesymentales.
[173] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 160.
[174] H.F. Thiéfaine, Rock autopsie, in Autorisation de délirer ; Mathématiques souterraines, in Dernières balises (avant mutation) ; Cabaret sainte-Lilith, in Autorisation de délirer ; Ad orgasmum æternum, in Soleil cherche futur ; Rock joyeux, in Soleil cherche futur ; Zone chaude môme, in Meteo für nada ; Was ist das rock’n’roll ?, in Eros über alles ; Je ne sais plus quoi faire pour te décevoir, in Eros über alles ; Villes natales et frenchitude, in Chroniques bluesymentales ; Juste une valse noire, in Fragments d’hébétude ; La ballade d’Abdallah Geronimo Cohen, in Le bonheur de la tentation ; Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville, in Le bonheur de la tentation ; Avenue de l’amour, in Amicalement blues ; Casino / sexe et tendritude, in Suppléments de mensonge.
[175] H.F. Thiéfaine, Villes natales et frenchitude, in Chroniques bluesymentales.
[176] cf. Exit to chatagoune-goune, in Soleil cherche futur ; Stalag-tilt, in Alambic / sortie sud ; Buenas noches, Jo, in Alambic / sortie sud ; Le vieux bluesman et la bimbo, in Amicalement blues ; Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir. Ajoutons que « petite » est l’épithète qui accompagne le plus souvent les désignations de la partenaire féminine : « petite cover-girl » [Autorisation de délirer, in Autorisation de délirer], « petite fille » [Mathématiques souterraines, in Dernières balises (avant mutation) ; Exit to chatagoune-goune, in Soleil cherche futur ; Rendez-vous au dernier carrefour, in Amicalement blues], « petite sœur-soleil », « petite gosse fugitive » [Redescente climatisée, in Dernières balises (avant mutation)], « petites sirènes » [Rock joyeux, in Soleil cherche futur], « petite sœur jumelle » [Syndrome albatros, in Eros über alles], « petites sœurs éphémères » [Fin de partie, in Fragments d’hébétude].
[177] H.F. Thiéfaine, Psychanalyse du singe, in De l’amour, de l’art ou du cochon ? ; Psychanalyse du singe (version live), in Scandale mélancolique tour, Paris, Sony, 2007 ; Les ombres du soir, in Suppléments de mensonge.
[178] cf. 713705 cherche futur, in Soleil cherche futur ; Ad orgasmum æternum, in Soleil cherche futur ; Buenas noches, Jo, in Alambic / sortie sud ; Villes natales et frenchitude, in Chroniques bluesymentales ; Copyright apéro mundi, in La tentation du bonheur ; Photographie d’un rêveur, in Amicalement blues.
[179] concernant la double lecture de la « tombe » ou du « tombeau », cf. Le chant du fou, in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir ; La queue, in Autorisation de délirer ; Une fille au rhésus négatif, in Dernières balises (avant mutation) ; Série de 7 rêves en crash position, in Fragments d’hébétude ; Retour vers la lune noire, in Le bonheur de la tentation ; Camélia : huile sur toile, in Défloration 13.
[180] H.F. Thiéfaine, Annihilation, in Séquelles Édition collector.
[181] H.F. Thiéfaine, Je suis partout, in Eros über alles ; Série de 7 rêves en crash position, in Fragments d’hébétude.
[182] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 13, 146-148.
[183] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 147.
[184] cf. l’interview du 29/ 11/ 2014, http://www.ouifm.fr/hubert-felix-thiefaine-interview-thomas-causse
[185] H.F. Thiéfaine, Angélus, in Stratégie de l’inespoir.
[186] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1044.
[187] cf. note 141.
[188] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1053.
[189] Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, Œuvres, II, p. 131-132.
[190] cité dans Jean Théfaine, H.F. Thiéfaine. Jours d'orage, Paris, Fayard, 2005/2011, p. 380.
[191] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1044.
[192] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1044.
[193] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1046.
[194] H.F. Thiéfaine, Toboggan, in Stratégie de l’inespoir. Signalons le développement remarquablement pertinent de cette thématique opéré par l’auteur à travers l’appréciation à double entente renvoyant aux modalités d’élaboration du discours énigmatique :
« Fabricant [sic] de réminiscences volées à des foules amnésiques »… Voilà… au départ je suis un voleur et là je suis… non seulement je suis un voleur, mais je suis un receleur aussi.
Alcaline l’instant avec H.F. Thiéfaine, https://www.youtube.com/watch?v=0cONL5c0vKo
[195] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1082.
[196] cf. l’assimilation opérée par l’auteur à travers la formule :
la lucidité et l’absurdité, pour moi, c’est la même chose.
[cité dans Jean Théfaine, Jours d’orage, p. 365]
[197] H.F. Thiéfaine, Angélus, in Stratégie de l’inespoir.
[198] cf. http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/europe-1-social-club-frederic-taddei/videos/thiefaine-les-reseaux-sociaux-pourraient-transporter-la-culture-2306791
[199] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Œuvres, II, p. 1057.
[200] H.F. Thiéfaine, Parano-safari en ego-trip-transit, in Défloration 13.
[201] H.F. Thiéfaine, Précox ejaculator, in Meteo für nada.
[202] H.F. Thiéfaine, Lubies sentimentales, in Stratégie de l’inespoir. L’appellation Cabaret sainte-lilith réalise l’alternative « ange » ou « démon » dans la « simultanéité contradictoire » de l’oxymore.
[203] H.F. Thiéfaine, Les jardins sauvages, in Scandale mélancolique.
[204] H.F. Thiéfaine, Special ado sms blues, in Amicalement blues.
[205] H.F. Thiéfaine, Solexine et ganja, in Soleil cherche futur.
[206] H.F. Thiéfaine, Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville, in Le bonheur de la tentation.
[207] cf. note 158.
[208] H.F. Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer. La densité de l’aura multivoque autorise aussi bien la lecture « missiles nucléaires » selon le sensus etymologicus - renvoyant au latin mittere - qui voit d’abord dans l’angelus l’envoyé ou le messager que le renforcement de l’accentuation sexuelle dont on a déjà signalé l’omniprésence implicite, l’adjectif « nucléaire » devenant alors une désignation cryptée des cellules reproductrices analogue à celle rencontrée dans la strophe de Terrien, t’es rien [in Fragments d’hébétude] :
gisement néolithique
d’émotions nucléaires
dans l’art cytoplasmique
de ta queue linéaire
Notons que cette dernière acception et plus généralement la possibilité de lecture sexuelle « intégrale » du texte de Alligators 427 évoquée en note 128 - et qui viendrait concurrencer la référence augustienne aux alligatores de la Cité de Dieu - n’a pas fait l’objet d’une discussion adéquate dans l’approche herméneutique présentée dans Françoise Salvan-Renucci, « "la peste a rendez-vous avec le carnaval" : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l'œuvre de H.F. Thiéfaine », la remarque faite ici ayant vocation à combler cette lacune en attendant la publication d’une investigation exhaustive du texte.
[209] H.F. Thiéfaine, Un vendredi 13 à 5 heures, in Alambic / sortie sud.
[210] H.F. Thiéfaine, Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville, in Le bonheur de la tentation.
[211] H.F. Thiéfaine, Libido moriendi, in Scandale mélancolique.
[212] H.F. Thiéfaine, Une ambulance pour Elmo Lewis, in Défloration 13.
[213] H.F. Thiéfaine, Angélus, in Stratégie de l’inespoir.
[214] H.F. Thiéfaine, L’ascenseur de 22 h 43 (1), in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir.
[215] H.F. Thiéfaine, Les dingues et les paumés, in Soleil cherche futur.
[216] H.F. Thiéfaine, Angélus, clip réalisé par Yann Orhan, Paris, Sony Music, 2014.
https://www.youtube.com/watch?v=sBo7OaFpHIg
[217] H.F. Thiéfaine, Annihilation, in Séquelles Édition collector.
[218] Richard Wagner, Die Walküre [La Walkyrie], Dichtungen und Schriften, Jubiläumsausgabe in 10 Bänden, Francfort sur le Main, Insel Verlag, 1983, vol. III, p. 236 (traduction Françoise Salvan-Renucci).
[219] Richard Wagner, Die Walküre [La Walkyrie], Dichtungen und Schriften, vol. III, p. 237 (traduction Françoise Salvan-Renucci).
[220] H.F. Thiéfaine, Angélus, in Stratégie de l’inespoir.
[221] Richard Wagner, Die Walküre [La Walkyrie], Dichtungen und Schriften, vol. III, p. 234 (traduction Françoise Salvan-Renucci).
[222] H.F. Thiéfaine, Villes natales et frenchitude, in Chroniques bluesymentales.
[223] Egils Saga, Herausgegeben und aus dem Altisländischen übersetzt von Kurt Schier, Munich, Diederichs, 1996, p. 232 (traduction Françoise Salvan-Renucci).
[224] H.F. Thiéfaine, Parano-safari en ego-trip transit, in Défloration 13.
[225] cf. note 190.
[226] H.F. Thiéfaine, Amants destroy, in Eros über alles.
[227] L’accentuation pétrarquienne dont on a déjà signalé l’importance dans le corpus des chansons (cf. note 114 à propos du motif des miroirs) sera examinée de façon exhaustive dans l’étude en cours d’élaboration « je veux brûler pour toi » : la référence à Pétrarque dans l’œuvre de H.F. Thiéfaine. L’opportunité d’un tel examen se voit d’ailleurs renforcée par le rôle récurrent dévolu au parallèle pétrarquien dans l’album Stratégie de l’inespoir, l’exemple cité plus haut pouvant être complété par les « furieux miroirs » de En remontant le fleuve tandis qu’une composante essentielle du mécanisme d’entrelacement des références au niveau de la structure interne de l’album réside dans l’association des rappels pétrarquiens et des réminiscences villoniennes.
[228] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir.
[229] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir.
[230] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir.
[231] H.F. Thiéfaine, Syndrome albatros, in Eros über alles.
[232] H.F. Thiéfaine, Fenêtre sur désert, in Stratégie de l’inespoir.
[233] H.F. Thiéfaine, Orphée nonante huit, in La tentation du bonheur.
[234] H.F. Thiéfaine, Les jardins sauvages, in Scandale mélancolique.
[235] H.F. Thiéfaine, Solexine et ganja, in Soleil cherche futur. Les possibilités de réaccentuation déductibles du sensus etymologicus des « cauchemars » ne peuvent être abordées dans le cadre de ces réflexions où l’on se borne à signaler la pertinence de leur activation dans l’ensemble des chansons où apparaît le motif du « cauchemar », cf. Solexine et ganja, in Soleil cherche futur ; Syndrome albatros, in Eros über alles ; Série de 7 rêves en crash position, in Fragments d’hébétude ; Ta vamp orchidoclaste, in Suppléments de mensonge ; Angélus, in Stratégie de l’inespoir.
[236] H.F. Thiéfaine, Solexine et ganja, in Soleil cherche futur.
[237] H.F. Thiéfaine, Last exit to paradise, in Scandale mélancolique.
[238] H.F. Thiéfaine, Roots & déroutes plus croisement, in Défloration 13 ; Les fastes de la solitude, in Défloration 13 ; Your terraplane is ready Mister Bob !, in Amicalement blues ; Annihilation, in Séquelles Édition collector.
[239] H.F. Thiéfaine, Lubies sentimentales, in Stratégie de l’inespoir.
[240] H.F. Thiéfaine, Tita dong-dong song, in La tentation du bonheur. La dimension « trouble » de l’Éros est une constante du discours thiéfainien dont il serait opportun de détailler les constituants référentiels. Concernant les occurrences de « trouble »/« troublant »/« troubler », cf. Syndrome albatros, in Eros über alles ; Droïde song, in Eros über alles ; Misty dog in love, in Chroniques bluesymentales ; Les mouches bleues, in Fragments d’hébétude ; Est-ce ta première fin de millénaire ?, in Fragments d’hébétude ; Tita dong-dong song, in La tentation du bonheur ; Dans quel état Terre, in Le bonheur de la tentation ; Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable, in Le bonheur de la tentation ; Last exit to paradise, in Scandale mélancolique ; Loin des temples en marbre de lune, in Scandale mélancolique ; La nuit de la samain, in Scandale mélancolique ; Photographie d’un rêveur, in Amicalement blues ; Annihilation, in Séquelles Édition collector ; Infinitives voiles, in Suppléments de mensonge ; Ta vamp orchidoclaste, in Suppléments de mensonge ; Les filles du sud, in Suppléments de mensonge ; Modèle dégriffé, in Suppléments de mensonge ; Mytilène Island, in Stratégie de l’inespoir ; Lubies sentimentales, in Stratégie de l’inespoir ; Tobboggan, in Stratégie de l’inespoir.
[241] The Works of Shakespeare, published under the direction of Henri Evans and Pierre Leiris, Paris, Formes et Reflets, 1961, vol. 12, p. 823, Sonnet CXXIX, v. 13-14. Un autre écho au distique shakespearien est contenu dans Les jardins sauvages [in Scandale mélancolique] dont les vers déjà cités évoquent la « lumière »
qui conduit parfois les vieux fauves
et les anges en enfer
[242] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir.
[243] Dante Alighieri, La Divina Commedia, Inferno, Milano, Arnoldo Mondadori Editore, 1985, « Oscar classici », III, 9.
[244] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir.
[245] H.F. Thiéfaine, Annihilation, in Séquelles Édition collector.
[246] C à vous, 17/12/2014, https://www.youtube.com/watch?v=tGnbt9Pcf9Y, « l’interview d’H.F. Thiéfaine ». La discussion autour de l’« inespoir » est menée dans la quasi-totalité des interviews donnée par l’auteur lors de la sortie de l’album : « l’absence d’espoir, mais aussi l’absence de désespoir » [« Thiéfaine, stratège de l’inespoir », lavenir.net, 11/12/2014 ; « l’inespoir, c’est l’absence d’espoir comme l’absence de désespoir. On est en terrain neutre. » [« H.F. Thiéfaine : "Ma musique préférée, c’est le silence" », L’Express, 06/12/2014] ; « une absence d’espoir mais en même temps une absence de désespoir, c’est-à-dire une espèce de lucidité » [« H.F. Thiéfaine et sa "Stratégie de l’inespoir" : un album de famille », France Info, 21/11/2014 ; « l’inespoir, c’est l’absence d’espoir, et par extension l’absence de désespoir. Ça nous donne un no man’s land où on n’a pas à chercher cette illusion, et où l’on est parfaitement lucide. » [La Voix du Nord, 21/11/2014] ; « parce qu’on n’est pas dans l’espoir et les illusions, ni dans le désespoir total, cette souffrance de l’existence. On est plutôt dans un no man’s land, un entre-deux. » [La Provence, 11/12/2014]
Une définition plus développée est donnée dans l’interview « La médiocrité, c’est une peste », propos recueillis par Emmanuelle De Rosa, Le Républicain Lorrain, 28/11/2014 :
La lucidité oui, c’est vraiment le sens que laisse le mot « inespoir ». C’est l’absence d’espoir, mais aussi de désespoir. Un no man’s land émotionnel qui permet d’avoir ce recul nécessaire pour voir les choses. C’est presque une perception philosophique de la vie. La religion, la politique, le sport : je suis fatigué de toutes ces choses derrière lesquelles on nous fait courir.
L’interview « Thiéfaine, chanteur enragé », Sud-Ouest Dimanche, 30/11/2014, est particulièrement explicite :
Être dans l’inespoir rend lucide, mais vous place au centre d’un no man’s land : vous ne vivez ni avec un espoir quelconque ni avec la souffrance du désespoir ou l’affliction. « Il faut imaginer Sisyphe heureux », écrivait Camus. J’aime cette image, proche de la philosophie hindoue, d’un Sisyphe heureux : « Oui, il faut remonter le rocher. Et quand il sera redescendu, on le remontera. Paisiblement. » « Inespoir » : je traîne ce titre depuis longtemps. Quand j’ai pensé ce mot, j’ai constaté qu’il n’existait pas dans mes dictionnaires. J’ai alors cru avoir inventé un néologisme, comme cela a pu m’arriver par le passé : quand je n’ai pas le mot, je l’invente. J’ai découvert alors que Verlaine et Drieu la Rochelle l’avaient déjà employé. Ayant lu ces auteurs, j’avais dû l’emmagasiner dans mon inconscient et il a resurgi. Donc, je pense qu’il faut arrêter d’enlever des mots des dictionnaires.
[247] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir.
[248] C à vous, 17/12/2014, https://www.youtube.com/watch?v=tGnbt9Pcf9Y, « l’interview d’H.F. Thiéfaine ».
[249] H.F. Thiéfaine, Angélus, in Stratégie de l’inespoir.
[250] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir.
[251] H.F. Thiéfaine, Also sprach Winnie l’ourson, in Défloration 13.
[252] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir.
[253] Pierre Klossowski, Sade mon prochain précédé de Le philosophe scélérat, p. 13, 146-148.
[254] H.F. Thiéfaine, Angélus, in Stratégie de l’inespoir.
[255] H.F. Thiéfaine, Stratégie de l’inespoir, in Stratégie de l’inespoir. La lecture anatomique de « l’œil » et du « triangle en kit » en tant qu’évocation des parties sexuelles de la femme se superpose éventuellement à la dimension métaphysico-blasphématoire (cf. note 161) dans un nouveau soulignement de l’accentuation érotique.
[255] H.F. Thiéfaine, Angélus, in Stratégie de l’inespoir.
[256] Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, Œuvres, II, p. 162.
[257] cf. la référence de l’auteur à l’idéal de l’Übermensch nietzschéen opposé à la médiocrité des médias : http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/europe-1-social-club-frederic-taddei/videos/thiefaine-les-reseaux-sociaux-pourraient-transporter-la-culture-2306791
[258] H.F. Thiéfaine, La ballade d’Abdallah Geronimo Cohen, in Le bonheur de la tentation.
[259] H.F. Thiéfaine, Exil sur planète-fantôme, in Dernières balises (avant mutation) ; Narcisse 81, in Dernières balises (avant mutation).
[260] H.F. Thiéfaine, Annihilation, in Séquelles Édition collector. La formulation alternative « où les dieux impuissants fixent la voie lactée » met davantage en exergue la dimension sexuelle, la « voie lactée » qu’on retrouve dans Nyctalopus airline [in Alambic / sortie sud] étant comme les « galaxies » de Sweet amanite phalloïde queen [in Meteo für nada], de Villes natales et frenchitude [in Chroniques bluesymentales] et de Toboggan [in Stratégie de l’inespoir] ou les « monstres galactiques » de 713705 cherche futur [in Soleil cherche futur] susceptible d’une double lecture dans laquelle l’acception métaphorique renvoie au lait, donc par métonymies successives à la poitrine de la femme et enfin à la femme elle-même dont l’identification récurrente à une étoile suggère également le recours à la métaphore de la « galaxie » ; l’appellation de « barmaid » [713705 cherche futur, in Soleil cherche futur ; Ad orgasmum æternum, in Soleil cherche futur ; Buenas noches, Jo, in Alambic / sortie sud ; Villes natales et frenchitude, in Chroniques bluesymentales ; Copyright apéro mundi, in La tentation du bonheur ; Photographie d’un rêveur, in Amicalement blues] renvoie à un rapprochement analogue.
[261] H.F. Thiéfaine, Ad orgasmum æternum, in Soleil cherche futur. Signalons ici le clin d’œil à la conception de Nietzsche contenu dans la formulation multivoque « j’entends des cons qui causent d’un éternel retour » de Zone chaude môme [in Meteo für nada] où le sensus etymologicus met en lumière sur le mode du travestissement cynique l’indissociabilité de l’expérience de l’éternité et de celle de la plénitude de l’Éros.
[262] Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, Œuvres, II, p. 132.
[263] Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, Œuvres, II, p. 833.
[264] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Œuvres, II, p. 467.
[265] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Œuvres, II, p. 412.
[266] H.F. Thiéfaine, Exit to chatagoune-goune, in Soleil cherche futur.
[267] Homère, L’Iliade, Traduction de Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1949, I, 17.
[268] H.F. Thiéfaine, Parano-safari en ego-trip-transit, in Défloration 13.
[269] H.F. Thiéfaine, En remontant le fleuve, in Stratégie de l’inespoir. Signalons également la lecture sexuelle de l’« éternité » - et sa mise en relation significative avec la dynamique d’inversion - contenue dans les vers de L’Amour est une névrose [in Suppléments de mensonge] :
amour bleu du passé
qui revient de la guerre
pour une éternité
qui s’amuse à l’envers
[270] H.F. Thiéfaine, Narcisse 81, in Dernières balises (avant mutation) ; Exil sur planète-fantôme, in Dernières balises (avant mutation). L’orientation « à rebours » de En remontant le fleuve - à laquelle le renvoi au « flussaufwärts » de Paul Celan placé en exergue de la chanson offre un écho suggestif dont il serait indiqué d’approfondir les implications associatives - révèle ainsi sa portée symbolique à travers le parallèle latent avec le Bateau ivre de Rimbaud pour lequel le parcours s’effectue dans le sens inverse et « normal » de la descente, la réappropriation inversée créatrice d’un discours à la suggestivité comme à l’authenticité évidentes apparaissant plus que jamais au terme de ces réflexions comme la définition la plus adéquate de la démarche artistique de l’auteur.