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Nouvel article en ligne ! Contribution au colloque Arrigo Boito, Nice, 30.11.2018

Dernière mise à jour : 4 févr. 2020


À paraître dans un prochain numéro de LOXIAS


« & je vois devant moi / le diable en personne » :

la recréation de la constellation du Mefistofele d’Arrigo Boito

dans le discours poétique et musical des chansons de H.F. Thiéfaine


Françoise Salvan-Renucci

Aix-Marseille Université / CTEL, Université Côte d’Azur


S’il est au premier abord légitime de se demander à quel titre une contribution consacrée à l’œuvre poétique et musical de H.F. Thiéfaine peut avoir vocation à figurer au programme de cette journée consacrée au centenaire d’Arrigo Boito, on peut cependant affirmer que les points de convergence entre les projets artistiques des deux auteurs suffisent à légitimer la tentative du parallèle qui va être tenté ici et dont le but principal est de souligner la communauté de leur inspiration « diabolique », l’importance centrale du Mefistofele dans la création de Boito – qui se voit (trop) fréquemment résumée à ce seul opéra au regard d’une grande partie du public – correspondant à la récurrence – pour ne pas dire à la quasi-permanence – des constellations faisant intervenir le diable – ou l’un des divers avatars de ce dernier – dans le corpus thiéfainien.

Avant de retracer l’itinéraire d’inspiration méphistophélique qui se dessine en filigrane au sein des quelque 180 chansons de l’auteur, il convient toutefois de préciser qu’une première correspondance susceptible de valider le rapprochement Thiéfaine-Boito peut être trouvée dans la double appartenance de leurs créations respectives, qui se rattachent pour chacun des deux artistes aussi bien au domaine de l’expression verbale qu’à celui de la composition musicale, Thiéfaine se faisant logiquement l’interprète de sa production tant lors des enregistrements en studio que lors de leur reprise en concert, cette dernière apparaissant comme le reflet des deux formules « une chanson se finit sur scène[1] » et « je conçois un concert comme une pièce de théâtre[2] » telles qu’elles sont érigées en principe fondateur de son activité scénique. Quant au discours musical remarquablement complexe des chansons de Thiéfaine, ses résonances wagnériennes marquées sont également révélatrices d'une convergence essentielle avec Boito.

S’agissant des affinités spécifiques qui l’unissent à la sphère infernale – hors bien évidemment la priorité qui échoit régulièrement dans sa propre production à l’accentuation diabolique –, on notera également avec intérêt que son parcours l’a conduit en 2004 sur la scène de l’Opéra de Dijon en tant qu’interprète du Diable dans L’Histoire du Soldatde Stravinsky, le directeur de la Camerata de Bourgogne Thierry Caens ayant tenu à inclure dans la distribution celui dont un entretien réalisé à cette occasion souligne le caractère de « diable idéal que, chanteur ou simple mortel, il a fréquenté si souvent[3] ». Un autre dénominateur commun d’importance entre les démarches de Boito et Thiéfaine réside dans leur fascination partagée pour le Faust de Goethe que tous deux abordent dans l’original, et dont le schéma directeur tel que le résume Thiéfaine est « l’éternel marché avec le diable[4] ». Si Mefistofele retient l’attention en tant que recréation des deux Faust de Goethe, le dialogue intensif et régulier mené par Thiéfaine avec Goethe trouve sa culmination symbolique dans le titre Eros über alles donné à l’album de 1988 particulièrement riche en réminiscences goethéennes, et dont la formulation se révèle comme un écho littéral au chœur « So herrsche denn Eros, der alles begonnen ![5] » (que règne donc Éros, par qui tout a commencé !) qui clôture la Nuit de Walpurgis classique.

Dans la mesure où le diable en tant que figure récurrente d'un discours poétique sous-tendu par les archétypes jungiens apparaît fréquemment comme un protagoniste essentiel dans les textes de Thiéfaine, il n’est nullement surprenant que les vers placés par Boito en manière de présentation dans la bouche de la figure éponyme de son opéra « Son lo spirito che nega / sempre tutto : l’astro, il fior. / Il moi ghigno e la mia bega / Turban gli ozi al Creator[6] » (je suis l’esprit qui nie / toujours tout : l’astre, la fleur. / mon ricanement et mes intrigues / troublent le repos du créateur) – et qui paraphrasent les paroles prononcées dans les mêmes circonstances par Méphisto chez Goethe – possèdent une correspondance frappante dans le corpus thiéfainien. Bien que la référence diabolique à proprement parler ne soit pas directement sollicitée dans le texte de « droïde song » – que son appartenance à l’album Eros über alles suffit toutefois à inscrire dans un réseau connotatif où prédomine comme on l’a vu l’inspiration goethéenne –, le renversement radical des valeurs statué par le credo du personnage central « quand j’ai besoin d’amour ou de fraternité / j’vais voir caïn cherchant abel pour le plomber[7] » définit celui-ci d’entrée de jeu comme représentant assumé de « l’esprit qui toujours nie » à travers l’allégeance qu’il manifeste à Caïn dont il fait resurgir la généalogie diabolique, telle qu’elle est établie au moins sur le plan symbolique par l’appellation de « fils du Malin » (1 Jean 3,12) que lui attribue la première épître de Jean au sens d’une dénonciation de sa nature diabolique. On peut noter à ce propos que l’appréciation émise dans le texte biblique est renouvelée de façon explicite par Thiéfaine dans le vers « j’étais caïn junior le fils de belzébuth / chevauchant dans la nuit mes dragons écarlates / et m’arrêtant souvent chez les succubes en rut / j’y buvais le venin dans le creux de leur chatte[8] », qui constitue la « carte de visite » du protagoniste de « chambre 2023 (et des poussières) » réitérant tant les déplacements du Faust de Marlowe juché sur son dragon que les déchaînements orgiastiques caractéristiques de la nuit de Walpurgis dans laquelle les succubes jouent un rôle de premier plan. L’ascendance diabolique revendiquée d’emblée par le personnage – telle qu’elle caractérise également chez Camus les « fils de Caïn[9] » en tant qu’exposants de la démarche de révolte dont on explorera les implications plus loin dans ces lignes – est ensuite confirmée lors de l’évocation de son séjour de prédilection que le discours explicite ne peut manquer d’identifier avec l’enfer « où les anges déchus, sous un ciel de carbone / aux heures crépusculaires sodomisent les miroirs[10] », la nature d’« anges déchus » attribuée aux habitants du lieu en question apparaissant partagée de toute évidence par le « je » au vu des activités dont il a précédemment fait état.

En ce qui concerne la constellation de « droïde song », l’évidence de son ancrage dans la sphère diabolique – et par là même du parallèle avec la déclaration de Mefistofele chez Boito – trouve enfin une confirmation éclatante dans la tonalité authentiquement méphistophélique de la déclaration finale « et je viendrai troubler de mon cri distordu / les chants d’espoir qui bavent aux lèvres des statues[11] », qui s’inscrit elle-même dans le prolongement de l’évocation tout aussi suggestive des « rires » assimilés à « des ratures qui s’attirent et saturent[12] ». Le risus diabolicus – tel qu’il résonne spectaculairement à la fin de « alligators 427 » dont l’invocation finale « je vous attends[13] » s’infléchit de surcroît par déformations successives jusqu’à résonner comme « je vous Satan » – joint au désir irrépressible de « troubler » manifesté par le protagoniste de « droïde song » en fait donc bien l’alter ego du personnage de Boito avec lequel il partage les mêmes caractéristiques comportementales, dont l’inscription dans le cadre de l’antagonisme entre le diabolique et le divin est en outre suggérée par le fait que la volonté de « troubler » s’applique plus spécifiquement aux « chants d’espoir » que le lecteur est d’autant plus enclin à percevoir en tant que manifestations s’apparentant à une expression d’ordre religieux qu’ils apparaissent placés dans la bouche des « statues » – anticipant les « quelques statues brisées sur fond de ruines gothiques[14] » qui forment le substrat « romantique » dépeint dans « le temps des tachyons ». Tout en installant une possibilité alternative de lecture basée sur la permutation carnavalesque du haut et du bas corporel familière au discours thiéfainien et substituant aux lèvres prises dans leur acception usuelle celles de la zone génitale – entraînant alors ipso facto une réévaluation parallèle du processus de sécrétion de la bave devenant celui de l’émission du sperme –, le renversement de perspective typique de la polysémie thiéfainienne – qui fait alors basculer l’« espoir » vers la dimension de la reproduction biologique telle qu’elle résulte du rapport sexuel, option exégétique qui s’attache à la totalité des occurrences du terme existant dans le corpus des chansons – vient lui-même confirmer la signature caractéristique de « l’esprit qui toujours nie » tel que le conçoivent Goethe et à sa suite Boito. La signature acoustique de l’enfer représentés par le « cri distordu » fait ici figure de corollaire du pied fourchu qui résume traditionnellement la difformité physique propre à la figure du diable, celle-ci se révélant par ailleurs un attribut récurrent des protagonistes thiéfainiens pour autant qu’ils manifestent une attirance pour les « métamondes souterrains[15] ». Si c’est tout d’abord en écho au Déshonneur des poètes de Benjamin Péret que le personnage principal de « syndrome albatros » est présenté comme « fier de ton déshonneur de poète estropié[16] », c’est également l’affinité avec la sphère diabolique qui s’exprime au plan sous-jacent dans le double soulignement des indicateurs d’infamie – et qui prédestine comme on le verra la figure à la fréquentation des « cercles vicieux infernaux[17] » tels que les évoque également le texte de « fenêtre sur désert ». De même, le « dos de bossu[18] » que revendique le protagoniste dans « le jeu de la folie » devient le signe visible de l’attraction pour le « sport de l’extrême » qui le pousse à évoluer « le long de la frontière qui jouxte l’inconnu[19] ». La recherche faustienne née du sentiment d’un « vide pathétique[20] » et qui trouve son expression exemplaire dans l’aveu « je rêve de transparence & d’épouvantes mystiques[21] » – élément sur lequel on reviendra dans la suite immédiate de ces lignes – s’allie ici au stigmate de provenance infernale représenté par la déformation corporelle, faisant se rencontrer dans la seule figure du personnage central les deux partenaires du couple Faust-Méphisto tel qu’il est mis en scène tant chez Boito que chez Goethe : le schéma synthétique élaboré par Thiéfaine apparaît comme le reflet direct de la conception jungienne qui voit dans Méphisto l’archétype de l’Ombre attaché à la personne de Faust, interdisant définitivement toute séparation et/ou mise en concurrence des deux figures centrales du drame. Sans aller pour autant jusqu’à les confondre en une seule création, la permuation opérée par Boito préférant attribuer le rôle-titre à Mefistofele plutôt qu’à Faust relève de la même appréhension instinctive de la globalité de la constellation faustienne, dont il ne saurait être question de privilégier une composante plutôt que l’autre. C’est à la même conclusion qu’invite l’oscillation entre la composante méphistophélique et la dimension proprement faustienne telle qu’elle se fait jour chez le protagoniste des chansons, la présence d’un « double » étant attestée de façon explicite dans « was ist das rock’n’roll ? » où le « je » met en lumière l’intrication permanente des deux existences antagonistes : « de nature solitaire je me terre pour me taire / mais mon double pervers joue dans un groupe de rock[22] ». Alors même qu’il s’abstient de proposer une caractérisation précise de son moi « authentique », le protagoniste de « infinitives voiles » souligne l’importance essentielle « des troubles de mon double ivre & blasphémateur[23] » dans lesquels réside en fait sa puissance créatrice : on notera que la part diabolique – porteuse d’intensification de la vie et non de sa négation à la différence du postulat méphistophélique dont l’action de l’opéra de Boito comme du drame de Goethe apporte toutefois un démenti constant – est ici valorisée en accord avec les thèses développées par Aristote dans son XXXe Problème, auquel se rattache une série de textes de Thiéfaine et dont une citation reproduite dans l’original figure dans le livret de Suppléments de mensonge. La même relation d’identification/différenciation avec la figure du double est décelable dans « diogène série 87 » où le protagoniste « salue » de façon appuyée et enthousiaste le « ricanant putois solitaire[24] », ce dernier réunissant en lui mutatis mutandis les caractéristiques diaboliques propres à la figure de Méphisto/Mefistofele. Le fait que le texte de la chanson incorpore en son milieu une tirade issue du Satyros oder Der vergötterte Waldteufel (Satyros ou le diable des forêts devenu un dieu) de Goethe témoigne de façon éclatante de la nature démoniaque de la figure de « diogène », qui exprime son mépris souverain à son entourage en des termes aussi crus que directs que ne désavouerait pas le protagoniste diabolique du drame faustien.

Alors que le protagoniste de « syndrome albatros » est tout naturellement voué à évoluer « dans les eaux troubles et noires des amours-commando[25] » – ou « dans les troublants miroirs des amours-commando[26] » d’après la réécriture intervenue lors des concerts de la tournée 2015-2016 – du seul fait de son appartenance au moins partielle à la sphère diabolique, la même épithète à coloration luciférienne vient paradoxalement s’appliquer dans « tita dong-dong song » au lieu a priori le moins susceptible de se la voir attribuer : de même que l’opposition Faust-Méphisto se voit relayée dans le corpus des chansons par une conception indifférenciée plaçant sur un même pied voire assimilant l’un à l’autre les deux acteurs du pacte diabolique, la formule lapidaire « le paradis est trouble / & l’enfer est malade[27] » brouille délibérément les frontières entre les deux domaines antagonistes, dont l’opposition est au contraire établie sans contestation possible dans le prologue qui ouvre aussi bien l’opéra de Boito que son modèle goethéen. Détectable notamment – bien qu’il soit malheureusement hors de question d’en faire ici la démonstration – jusque dans le détail de l’écriture de « syndrome albatros » dont les étapes reflètent avec une cohérence parfaite les différentes valeurs propres aux éléments de la palette chromatique, la réception thiéfainienne de la Théorie des couleurs de Goethe, qui élève le « trouble » au rang de médium indispensable à l’apparition comme à la perception des couleurs, commande la valorisation inopinée de l’élément « trouble » dont la présence imprègne jusqu’à l’atmosphère d’un « paradis » face auquel « l’enfer » se révèle alors « malade » en ce qu’il a justement perdu la faculté de faire surgir du « trouble » la richesse de coloration qui est aussi celle de la création artistique : c’est ainsi que la « balade » évoquée ensuite par le protagoniste – et que l’audition appréhende d’autant plus aisément en tant que « ballade » que la permutation homophonique ne fait que confirmer l’appartenance manifeste de la chanson au genre musical du même nom – se dévoile comme le produit de « troubles[28] » analogues à ceux que le texte de « infinitives voiles » situe précisément à l’origine du processus d’écriture ou de composition musicale.

Entérinant le diagnostic formulé à propos des vers de « droïde song », le besoin récurrent de « troubler » est de façon générale dans le discours thiéfainien l’apanage des figures au profil satanique, telles que les incarne le protagoniste de « photographie d’un rêveur » se présentant à la figure féminine comme « un esprit tapageur / qui vient troubler tes nuits[29] » et appelant ainsi à un exorcisme symbolique. C’est dans le même esprit que le « je » affirme délibérément dans « exit to chatagoune-goune » son appartenance à un au-delà diabolique dont la nature persiste à travers les modifications de ses avatars, telles qu’elles le font passer de la Lenore de Bürger aux méditations de Jim Morrison : « jadis cavalier du néant / je reviens en vampire tranquille / dans ta nuit, maquiller les blancs / de ton calendrier de petite fille[30] ». Le profil méphistophélique adopté par le personnage se recoupe également avec la dimension séductrice propre à la figure de Faust, dans la mesure où la désignation de la femme en tant que « petite fille » présente une analogie évidente tant avec la Margareta de Boito qu’avec le prototype goethéen incarné par Gretchen, tout en se révélant typique du langage et du comportement de séduction adopté par Méphisto-Mefistofele dans ses rapports avec les personnages féminins. Tout aussi révélatrice à cet égard est l’apostrophe « petite fille un peu paumée[31] » adressée à la figure féminine de « rendez-vous au dernier carrefour » par les deux protagonistes, que l’on peut assimiler mutatis mutandis au couple Faust-Méphisto du seul fait que le « carrefour » où se déroule la scène représente le lieu privilégié de la recontre avec le diable – ainsi qu’on aura l’occasion de le repréciser dans ce qui suit –, tandis que les tribulations de la « petite fille » la ramènent inévitablement « auprès des chiens de l’enfer[32] » : le renvoi à Cerbère ou Anubis se combine ici avec le rappel du titre du recueil de poèmes de Bukowski L’Amour est un chien de l’enfer pour délimiter un espace marqué de façon ineffaçable par l’empreinte diabolique, dans lequel le destin du personnage féminin renouvelle l’opposition symbolique articulée dans le diptyque de William Blake The Little Girl lost – The Little Girf found.

Si c’est à la figure féminine de « ta vamp orchidoclaste » qu’est réservée la dénomination suggestive de « trouble-fête[33] » telle qu’elle se rattache à la dimension maléfique de l’archétype du trickster – telle qu’elle se fait jour dans le désordre et aux tensions régulièrement provoquées par Loki au sein de l’assemblée des dieux –, la familiarité de celle-ci avec le « rythme vaudou[34] » jointe à l’agressivité tant paralysante que destructrice émanant de « ses yeux de sorcière » tour à tour évocateurs de la « gorgone » et de la « furie[35] » la désigne comme un avatar féminin du modèle diabolique incarné chez Boito/Goethe par le prototype de la sorcière, dont le potentiel érotico-blasphématoire se déchaîne au cours de la Nuit de Walpurgis. En l’absence d’un équivalent thiéfainien du sabbat germanique, la réinterprétation celtique du motif opérée dans « la nuit de la samain » sous l’angle d’un démontage parodique des aberrations rencontrées lors de la fête de la « sainte citrouille halloween[36] » – que sa nature de « carnaval souterrain[37] » localise explicitement dans un Orcus où s’assouvissent toutes les dérives imaginables – voit se déployer des « bacchanales[38] » dont le niveau de culmination satanique se révèle d’une intensité égale à celle du modèle faustien : « la douceur convulsive des ventres funéraires / accouche de revenants aux yeux pâles & meurtris / parmi les os broyés des squelettes en poussière / couronnés de lauriers desséches & flétris[39] ». Il est par ailleurs révélateur de la cohérence de la constellation infernale que la constatation aux accents vaudous « ma sorcière a trempé / ses doigts dans le sang chaud[40] » soit précisément émise par le protagoniste de « your terraplane is ready mister bob ! », soit le bluesman Robert Johnson que sa légende conduit directement sur les traces de Faust, ainsi que le rappellent les vers du dernier couplet « je retrouve le carr’four / le diable & son contrat[41] » et leur remémoration en raccourci de la tradition relative au pacte passé par le musicien avec le diable rencontré à un carrefour. Alors que le destin hors normes de Robert Johnson est ici récapitulé sous le signe de l’assimilation à la figure de Faust, le bluesman se voit au contraire doté des propres traits du diable dans « roots & déroutes plus croisement » que son auteur décrit comme « une sorte de pèlerinage sur les lieux où robert johnson aurait croisé le diable et signé ce fameux contrat sur lequel j’aimerais bien mettre ma griffe moi aussi…[42] » : c’est en effet à l’exclamation du protagoniste « & je vois devant moi / le diable en personne[43] » que fait suite le nom de Robert Johnson placé en tête de la « théorie onomastique des saints & martyrs du rock’n’roll[44] » auxquels l’alliance passée avec le diable est censée garantir l’épanouissement de leur talent musical, l’identification pure et simple avec le diable prenant ici le pas sur le parallèle faustien dans une confirmation spectaculaire de la permutabilité de principe des figures de Méphisto et de Faust. Une réévaluation analogue s’opère dans « les ombres du soir » à propos de Paganini auquel la tradition attribue la même aura diabolique : les paroles de la figure féminine « elle dit : c’est pas Saint Augustin / qui joue du violon dans les bois / & Paganini encore moins[45] » font surgir au plan implicite le rappel de la problématique faustienne et/ou méphistophélique à travers l’opposition – articulée autour du violon dont Thiéfaine rappelle à propos de son rôle dans L’Histoire du Soldat la réputation d’instrument du diable[46] – entre l’expert en démonologie et le supposé rejeton d’un incube. Le distique « le chevalier la mort & le diable s’enfuient / des pinceaux de dürer pour absorber la nuit[47] » fait du renvoi à la gravure de Dürer le support d’implications de même nature, dont le potentiel suggestif se voit intensifié du fait que le véhicule de l’expression artistique se révèle impuissant à circonscrire et a fortiori à conjurer les effets de l’association archétypique : au-delà des réminiscences historiques évocatrices du dévoiement du legs culturel allemand par le régime nazi, le rappel artistique établit – notamment à travers la suggestivité immédiate de sa verbalisation poétique – l’omniprésence mortifère de la triade symbolique, dont le rayonnement délétère s’exerce dans toutes les constellations « où le vieux drame humain se joue[48] ».

La volonté explicite d’« offrir à lucifer / mon âme en sacrifice[49] » se manifeste de façon répétée dans le discours thiéfainien qui décline de diverses manières – outre celle détaillée plus haut à propos du cas de Robert Johnson – une réitération directe du pacte conclu par Faust avec Méphisto/Mefistofele. Le protagoniste d’« annihilation » accablé par « les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes[50] » et dont la méditation débouche sur le constat « & j’attends le zippo du diable pour cramer / la toile d’araignée[51] » est saisi dans une attitude analogue à celle de Faust invoquant au début de l’action les puissances infernales, à ceci près que l’invitation finale à l’adresse du diable s’enracine dans une proximité assumée d’emblée avec le séjour diabolique, telle qu’elle ressort de la déclaration précédente « je revisite l’enfer de Dante & de Virgile[52] ». Il est en ce sens tout à fait significatif que l’écho thiéfainien au pari de Mefistofele certain de pouvoir amener Faust à ramper dans la boue s’accompagne dans « bipède à station verticale » d’une modification sensible de la situation présentée dans l’opéra et chez Goethe, puisque c’est le protagoniste qui éprouve de lui-même la tentation de la régression à laquelle il s’avoue susceptible de s’abandonner à tout moment sans aucune intervention extérieure et a fortiori diabolique : « bipède à station verticale / toujours faut se tenir debout / parfois… parfois… / j’ai la nostalgie de la gadoue[53] ». Remarquons à ce propos qu’un rappel du pari proprement dit fait logiquement défaut dans le corpus des chansons du fait de la mise en retrait voire de la dévalorisation sensible du ou des partenaires divins présentés tour à tour sous les traits de « dieux impuissants[54] » – « et les dieux du radar sont tous out et toussent[55] » – ou du « boss cannibale supérieur[56] », et dont le comportement alterne entre une cruauté renouvelant sur le mode homérique le « fou rire inextinguible des dieux » face aux souffrances humaines – « si la vie est une illusion / avec des fous-rires en voix-off[57] », « où les dieux s’encanaillent en nous voyant pleurer[58] » – ou une indifférence de provenance lucrétio-épicurienne – « mais les dieux sont pas très bavards[59] » – envers les affaires terrestres, qui se déroulent « sous la rumeur des immortels[60] » et prennent définitivement fin au moment où « peu à peu t’aperçois le tunnel / où brillent les immortels[61] ». Le renversement de perspective qui s’exprime « dans la prière / des dieux suppliant l’humain[62] » est également symptomatique de cette réévaluation typiquement nietzschéenne de la dimension du divin, dont la principale conséquence en ce qui regarde la problématique faustienne est de ne laisser subsister des trois termes de l’équation originelle – telle que le schéma médiéval repris par Goethe puis Boito l’emprunte au Livre de Job – que le face-à-face entre le diable et son interlocuteur humain qui tend lui-même régulièrement à se confondre avec son partenaire méphistophélique, lequel peut alors être perçu à plus d’un titre comme le principal protagoniste du discours poétique.

Si « le temps des tachyons » opère à la fois une généralisation et une anonymisation du processus de la cession de l’âme à travers l’assimilation de l’existence à un « drame » « où l’on achète le vent, où l’on revend les âmes[63] » – présentation également repérable dans « petit matin 4.10. heure d’été » où la tentation du suicide surgit du bilan d’une vie menée « dans cette foire aux âmes brisées / où le vieux drame humain se joue[64] » –, le profil individuel de la transaction est par contre conservé voire exacerbé dans une série de déclinaisons du motif du pacte qui ont pour dénominateur commun la substitution au partenaire diabolique d’une instance sans lien évident avec le domaine infernal, mais néanmoins rattachée à celui-ci par le jeu spontané des associations thématiques. Le protagoniste de « 113e cigarette sans dormir » s’écriant « demain au burgenbräukeller / je lèguerai mon âme à la science[65] » transfère ainsi à l’abstraction de la « science » la faculté d’acceptation du don de l’âme telle qu’elle revient en principe au seul diable, dont la présence reste toutefois perceptible à la marge du discours à travers la référence directe au décor du putsch avorté de Hitler choisi comme lieu de la transaction : le projet de réédition du geste du dictateur en puissance – présenté sur le mode décrit par Marx du retour de la tragédie sous les traits de la farce – rétablit en effet le diable dans ses droits dans la mesure où il suggère l’identification du « je » avec la figure de Hitler, que sa dimension symbolique d’incarnation du mal qualifie comme authentique alter ego du diable. La même appréciation se dégage de l’indication calendaire « après adolf hitler » qui relaie le traditionnel « après j.c.[66] » dans « dans quel état terre », plaçant l’histoire humaine et terrestre – ou du moins celle du XXe siècle – sous le signe évident du triomphe du mal. Inversement, la constatation symétrique « vu que j’ai déjà vendu mon cadavre à la science[67] » énoncée dans « zoos zumains zébus » en écho à l’intention exprimée dans Les Démons de Dostoïevski par Stavroguine – « Je veux léguer mon squelette à l'Académie des sciences, mais à condition que l'on colle sur mon crâne une étiquette avec cette mention : “Un libre penseur repenti”[68] » – ne prend selon toute apparence en compte que la dimension physique du pacte, l’accentuation méphistophélique et donc l’implication métaphysique inhérente au contrat étant établie au plan implicite par le contexte dostoïevskien où le titre du roman et le démenti – relevant du pur sarcasme – à apporter post mortem aux positions de la libre pensée témoignent de l’imprégnation faustienne et/ou diabolique de la séquence.

Tout en maintenant en apparence le cadre traditionnel du pacte faustien, la formulation « j’ai confié mon âme à un gnome[69] » rencontrée dans « pulque mescal y tequila » attribue pour sa part le rôle habituellement dévolu à Méphisto à un archétype issu du monde souterrain et comme tel parfaitement habilité à assumer la fonction du partenaire diabolique – et ce d’autant plus qu’il se dévoile comme un nouvel avatar des « gnomes[70] » évoqués à deux reprises dans Au-dessous du volcan, dont l’auteur est directement apostrophé dans la deuxième strophe et qui constitue l’un des principaux hypotextes de la chanson[71]. Tout aussi déterminante pour la perception des enjeux métaphysiques de la scène – et donc de son enracinement dans le contexte faustien – apparaît la forte connotation mortifère qui s’attache aux termes mêmes dans lesquels est relatée l’action du protagoniste, ces derniers constituant – ainsi que l’helléniste confirmé qu’est Thiéfaine ne peut manquer d’en avoir une connaissance exacte, et abstraction faite de la permutation déjà signalée qui investit le « gnome » de la fonction habituellement réservée à la figure divine – la retranscription littérale de la formule grecque yuchn Aidi didonai[72] (confier / remettre son âme à Hadès) employée fréquemment par Homère pour évoquer la mort d’un personnage. Tandis que la présentation du protagoniste comme « tombé d’un dc 10 fantôme[73] » fonde au niveau cryptique du discours son statut d’avatar du Hollandais Volant surgi de son vaisseau fantôme – et qui partage de fait le statut de mort-vivant du héros wagnérien –, sa participation au « jour des morts à oaxaca[74] » – telle qu’elle inscrit alors son parcours dans une recréation en raccourci du chronotope du roman de Lowry – renforce d’autant sa proximité avec la sphère de la mort, la densité accrue des marqueurs infernaux signalant du même coup l’imminence évidente de la cristallisation du schéma faustien.

Poursuivant – sous l’effet de la dynamique récurrente de « mutabilité et permutation[75] » qui commande l’organisation du discours thiéfainien – la série des redéfinitions partielles de la constellation première, les « confessions d’un never been » introduisent avec la double variante « j’ai volé mon âme à un clown[76] » une modification encore plus décisive du schéma originel en transformant la vente ou la cession de l’âme en un vol opéré par le protagoniste, et dont la supposée victime relève en tant que « clown[77] » au moins partiellement de la sphère diabolique, ainsi qu’en témoigne la réaccentuation négative qu’il subit fréquemment à travers la variante du evil clown, dont le rayonnement maléfique s’apparente alors à l’aura diabolique émanant du personnage d’Arlequin[78]. Dans la mesure où le discours même des « confessions d’un never been » se révèle assimilable – pour reprendre la définition bakhtinienne du « grotesque romantique » – à « une manière de carnaval que l'individu vit dans la solitude, avec la conscience aiguë de son isolement[79] » – état limite que résume avec une acuité saisissante le distique final « je suis l’évêque étrusque, un lycanthrope errant / qui patrouille dans le gel obscur de mon mental[80] » –, la dynamique de recréation de la constellation faustienne appelle naturellement à l’intégration du clown en tant qu’équivalent méphistophélique, le masque inhérent à la figure de l’intermédiaire diabolique répondant alors à la multiplicité des masques ou des identités d’emprunt tour à tour sollicitées par le « je » sans cesse renvoyé à sa propre inanité[81].

Alors même que l’ambiguïté persistante du discours de « maalox texas blues » confère un caractère éminemment équivoque à la constatation finale « tu titubes au mileu des flammes / de l’enfer d’où renaît le phénix / soldant les débris de ton âme / sous une mustang ford sixty-six[82] », le discours explicite – dont on rappelle qu’il a seul vocation à être pris en considération dans ces lignes[83] – véhicule par le biais de la formulation « soldant les débris de ton âme » un rappel abrégé de l’équation faustienne, dans lequel la disparition du partenaire diabolique laisse subsister intacte l’idée de la transaction réalisée autour de l’âme du contractant dont on peut cependant noter qu’elle est désormais l’objet d’une dépréciation manifeste, tant par sa réduction au statut de « débris » que par la dévalorisation voire la perte financière impliquée par le verbe « solder ».

La variante du pacte déclinée dans « orphée nonante huit » se distingue au contraire par la mention spécifique des termes comme de l’enjeu du contrat telle qu’elle intervient dans la séquence « tu joues ton âme en solitaire / avec un étrange regard vers l’enfer[84] », sans pour autant ramener les diverses offres exégétiques à une conception univoque du processus ainsi évoqué. Si la lecture première qui se dégage de l’association du distique avec le mythe d’Orphée voit à juste titre dans le « regard vers l’enfer » un rappel du faux pas d’Orphée qui ne peut s’empêcher de jeter un regard en arrière pour s’assurer qu’Eurydice le suit dans sa remontée des Enfers, c’est davantage vers les rites décrits dans les préparatifs de la Nekuia au chant X de L’Odyssée – l’épisode lui-même occupant la totalité du chant XI – que pointe l’adjonction de l’adjectif « étrange », qui rappelle la double injonction relative à la direction du regard – tourner vers l’Érèbe les têtes des animaux immolés en sacrifice, puis détourner lui-même son regard – faite à Ulysse par Circé lorsqu’elle lui détaille les modalités du sacrifice préalable à l’invocation des âmes des Enfers. Alors que les éléments issus de la mythologie antique conditionnent une appréhension « neutre » de « l’enfer » en tant que séjour obligé de l’ensemble des défunts, le halo associatif de la séquence s’élargit cependant à des références directement évocatrices de la dimension méphistophélique de la partie entamée dont l’enjeu se révèle être in fine non plus le gain à réaliser mais bien la vie et/ou l’âme du joueur, qu’il s’agisse du Joueur de Dostoïevski ou de la Dame de Pique de Pouchkine – texte qui se superpose alors au passage de l’Aurore de Nietzsche évoquant la condition d’une connaissance en profondeur des lois de la nécessité et du hasard, telle qu’elle est déniée par principe à l’humain : « il faudrait avoir été déjà l’hôte de l’enfer, loin de toute surface, assis à la table de Perséphone et avoir parié et joué aux dés avec l’hôtesse elle-même.[85] » Au-delà de la révélation métaphysique à laquelle le joueur serait ainsi susceptible d’avoir enfin accès, l’introduction de Perséphone – qui préside déjà aux destinées d’Eurydice dans le mythe grec – en tant que partenaire féminine signale en outre la dimension complémentaire – soit érotico-sexuelle – de la confrontation qui se déroule « devant un tapis clandestin[86] » – le « tapis » étant par ailleurs une des désignations cryptiques de la toison pubienne féminine – et dont les modalités sont dévoilées dans la formule jumelle « tu joues ton âme à contre-cœur / avec un flush royal au fond du cœur[87] » : le « contre-cœur » s’appréhende alors également au sens de « le cœur contre (l’autre) cœur », tandis que le « flush royal » désigne aussi bien la combinaison gagnante que l’afflux sanguin révélateur de l’intensité du ressenti affectif – et mettant alors en péril la position du joueur censé conserver jusqu’au bout une expression impassible. L’introduction implicite de Proserpine ou de la Dame de pique rétablit ainsi dans ses fonctions le vis-à-vis diabolique que l’indication « en solitaire » – qui renvoie d’abord au statut d’Orphée privé de la présence d’Eurydice – semble a priori exclure du déroulement de la partie engagée autour de l’âme du protagoniste, tandis que la féminisation indirecte de l’antagoniste infernal rejoint directement les scènes du Second Faust où Méphisto s’intègre au cortège d’Hélène en empruntant les traits féminins – et rebutants par leur laideur – de la représentante des « démones antiques[88] » qu’est Phorkyas.

L’importance dévolue dans le corpus thiéfainien à la peinture du sort réservé à l’âme ressort également des séquences où une situation en tout point analogue à celle d’une « pauvre âme damnée[89] » est décelable malgré l’absence d’un lien de cause à effet entre le devenir de celle-ci et la conclusion du pacte diabolique. Ce sont alors les substituts symboliques de ce dernier – au premier rang desquels on trouve l’attraction de l’Éros ou plus exactement de ses incarnations destructrices, telles qu’elles apparaissent conçues sur le modèle de « lilith[90] » ou de la « reine noire[91] » célébrée dans « retour vers la lune noire » – qui entrent en œuvre pour créer une emprise équivalente à celle du diable sur sa proie, puisqu’elle se manifeste par une prise de contrôle absolue dont celui qui en est victime est à la fois pleinement conscient et en mesure d’identifier la cause avec certitude. Alors que l’« amant sous contrôle » dont on vient d’évoquer les souffrances attribue celles-ci à l’attitude de la femme aimée à laquelle il fait état de sa fascination pour « les pâles ombres de tes cils[92] », le protagoniste de « juste une valse noire » attribue son état de dépendance affective et mentale à l’action des « monstres délicieux / qui traversaient ta porte[93] », et dont la polysémie – renouvelant celle qui est déjà l’apanage du « monstre pathétique[94] » de « je suis partout » – embrasse simultanément la nature monstrueuse qui est entre autres celle du diable et l’attractivité irrésistible des partenaires féminines, telle qu’elle se profile à travers le sens figuré du latin monstrum désignant notamment une femme d’une beauté extraordinaire : « ils patrouillent dans ton crâne / ils contrôlent ton âme / et te servent d’escorte[95] ». Les « enfants » de la nouvelle génération évoquée dans « dans quel état terre » – ceux-là mêmes qui vivent désormais « après adolf hitler[96] » suite à l’introduction du calendrier à l’accentuation diabolique dont il a été précédemment question dans ces lignes – voient s’accroître leur mal-être dans la mesure où ils supportent la double charge que représente « le fardeau de leur âme sur le poids de leur corps[97] », réitérant mutatis mutandis le dilemme faustien quand bien même l’interlocuteur méphistophélique n’est présent tout au plus qu’à la marge du discours, que l’indication liminaire « sous les rayons factices d’un soleil terminal[98] » localise de fait dans un contexte pré-apocalyptique que vient encore renforcer l’imminence de l’« approche finale[99] ».

Le protagoniste de « animal en quarantaine » en proie aux affres de la quarantaine perçue comme annonciatrice du vieillissement et de la mort – situation qui l’apparente directement à Faust tel qu’il se présente au début de l’action –, mais aussi relégué dans une « quarantaine » symbolique qui l’exile du reste de l’humanité – et placée sous le double patronage littéraire de La Peste ou de L’État de siège de Camus ainsi que du Journal de bord de l’aéronaute Gianozzo de Jean-Paul Richter, dont le héros survole la terre dans l’aérostat baptisé « le Quarantenaire » – fait découler le constat aux accents faustiens « exigeant l’immortalité[100] » – qui s’infléchit vers l’injonction « exigeons l’immortalité[101] » sous l’effet du postulat camusien « je me révolte, donc nous sommes[102] » – de l’anticipation de sa situation post mortem, telle qu’elle est décrite – en écho à l’animula vagula blandula[103] de l’épitaphe d’Hadrien – dans les vers « je m’imagine / en ombre vaporeuse / âme anonyme / errante et silencieuse[104] ». C’est le même voyage de l’âme à fort connotation métaphysique – « nous conduisons nos âmes aux frontières du chaos[105] » – qui est au centre du discours de « en remontant le fleuve », dont les figures présentées comme « nautoniers de brumes[106] » semblent emprunter la barque même de Charon et se voient confrontées pour finir à « la somptueuse noirceur de nos âmes en souffrance[107] », dans une ultime révélation de l’indépassabilité de l’affinité qu’elles entretiennent avec la sphère infernale – ainsi que de l’incertitude irréductible en ce qui concerne le terme du parcours, dans la mesure où leur statut « en souffrance » d’une part les assimile à des colis non réclamés voire irrémédiablement perdus, d’autre part les voue selon toute apparence à la douleur réservée aux victimes de l’enfer – et qui fournit le prétexte au déploiement d’une « somptueuse noirceur » renvoyant directement à la conception de la « révolte luciférienne[108] » développée par Camus : « L'être qui doit mourir resplendit au moins avant de disparaître, et cette splendeur fait sa justification.[109] ».

Contrastant avec la culmination finale en manière de quasi-apothéose observée dans « en remontant le fleuve », toute « splendeur » satanique est par contre déniée à la figure centrale de « pogo sur la deadline » dont la fin – et par là même le devenir de l’âme – est cependant commentée en des termes à l’ambivalence cependant tout aussi marquée, dans la mesure où l’exposition de la problématique faustienne y va de pair avec le déplacement de la focalisation sur le substitut méphistophélique devenu dans les vers « requiem à gogo / pour le repos du mal / dans l’âme d’un animal / qui retourne au niveau zéro[110] » l’objet même de l’alternative entre damnation et salut. La désignation explicite du personnage en tant que représentant du mal voisine en effet aussi bien avec les indicateurs d’apaisement voire de pardon – certes traités ici sur le mode d’un grotesque parodique – que sont le « requiem » et la citation abrégée de la formule consacrée requiescat in pace qu’avec la réduction à une dimension d’« animal » – de surcroît ramenée à un « niveau zéro » davantage évocateur d’anéantissement radical que d’une quelconque rédemption. En conformité avec sa nature diabolique, le « pénible bavard[111] » est présenté comme un séducteur au sens littéral du terme, dont les activités résumées par le « tu polémiquais » du protagoniste se déroulent sous les yeux d’une « cour d’admirateurs / qui venaient respirer tes ignobles vapeurs[112] » et qui se révèle doué d’un pouvoir sans limite pour ce qui regarde la propagation des influx néfastes émanant de sa personne : la constatation du protagoniste « tu pouvais embuer la vision la plus saine / de ton haleine de hyène obscène et noire de haine[113] » – séquence dans laquelle l’injonction apotropaïque « n’essaie pas d’embuer ma saine vision de ton haleine mélancolique ![114] » rencontrée dans Tropique du Cancer fait l’objet d’une réécriture qui conserve à l’identique les effets délétères des discours de la figure diabolique tout en aggravant sensiblement la nature même des effluves véhiculés par celle-ci – installe le nouvel avatar de Méphisto/Mefistofele dans une proximité manifeste avec « l’esprit qui toujours nie » ainsi qu’avec les attributs tant olfactifs qu’annonciateurs d’anéantissement traditionnellement associés aux incarnations de ce dernier – et encore renforcés par la mention de la « hyène » dont le texte de la Bible (notamment Is. 33-34) souligne le caractère d’agent du mal et de la mort. La même allégeance symbolique aux puissances infernales se manifeste dans « les mouches bleues » dont l’intitulé établit à lui seul la dimension d’hommage implicite au « seigneur des mouches » – soit Belzébuth d’après la signification littérale de son nom –, avant que le texte lui-même ne décline tout au long de ses strophes – en écho à la tirade de Méphisto invoquant le bestiaire infernal dans le Faust de Goethe et abstraction faite d’une série d’options exégétiques concurrentes qu’on s’abstient de passer en revue ici – les implications cryptiques inhérentes à une telle caractérisation dont les connotations diaboliques se dévoilent encore plus nettement dans la séquence finale à travers l’association de deux représentants symboliques de la sphère infernale : « peu à peu / peu à peu / les mouches bleues / reviennent / et les hyènes / toujours les hyènes / sur la même chaîne[115] ». ». La dynamique de retour au néant s’accomplit en conformité totale avec la volonté de destruction universelle exprimée par Mefistofele dans les vers « voglio il nulla e del creato / la ruina universal[116] » (je veux le néant et du créé / la ruine universelle), qui répondent eux-mêmes à l’axiome énoncé par Méphisto chez Goethe « denn alles, was entsteht, ist wert, dass es zugrunde geht[117] » (car tout ce qui naît mérite d’aller au néant) : l’évidence avec laquelle l’accentuation méphistophélique se déploie dans le discours thiéfainien y compris en l’absence de toute référence à la problématique faustienne souligne sa qualité de paramètre essentiel du corpus des chansons dont la sollicitation apparaît largement indépendante des priorités thématiques explicites, la tonalité satanique étant susceptible de faire irruption en toutes circonstances et à tout endroit de l’énoncé poétique.

Parallèlement à l’omniprésence méphistophélique et à la récurrence de son articulation, il semble aller de soi que la condition réservée aux figures évoluant dans les textes de l’auteur soit assimilable à une damnation qui intervient en fait bien avant leur mort voire dès le moment de leur naissance, ainsi que le rappelle le début de « also sprach winnie l’ourson » évoquant les premiers instants de l’existence du protagoniste : « ta mère vêle & ton rêve amer commence en transe & sans trêve en enfer[118] ». L’enchaînement s’effectue alors tout naturellement avec la constatation sans appel « tu es damné[119] » qui peut certes s’entendre également au sens figuré dans la mesure où elle fait suite à l’annonce « & faut ramer toute la journée[120] », de même que le déroulement de l’existence terrestre « dans le flot des damnés[121] » qu’on a déjà mentionné dans ces lignes revêt également voire en premier lieu une signification historique et/ou sociale, telle que la suggère l’intitulé du recueil autobiographique de Charles Bukowski Avec les damnés – signalons à ce propos que le nom de Bukowski figure précisément parmi les références aussi nombreuses que variées énumérées dans la séquence finale de « also sprach winnie l’ourson » qui récapitule les sources d’un savoir à la fois acquis et remis en question par le protagoniste dont le « tu sais tout tu sais rien c’est pareil c’est en vrac[122] » renoue avec les interrogations de Faust au début de l’action dramatique, alors même que le recours au diable en tant qu’instance susceptible de dissiper les doutes du personnage de Goethe/Boito se révèle ici inutile dans un monde identifié d’emblée comme « enfer ». Si l’intitulé « juste avant l’enfer[123] » ainsi que les déclarations de même teneur qui lui font suite semblent indiquer une dernière possibilité de recul ou de halte avant le basculement décisif, la « première descente aux enfers par la face nord » met en scène une volonté délibérée d’exploration de la sphère infernale, telle qu’elle s’articule dans une univocité apparemment sans appel au plan du discours explicite – et avec une ambiguïté redoutable pour peu qu’on en dévoile le sens implicite – dans le quatrain « je descends aux enfers / par l’entrée des novices / offrir à lucifer / mon âme en sacrifice[124] » dont on a déjà évoqué le vers final en tant qu’expression du pacte diabolique. Le programme « je ris à m’en faire crever[125] » dévoile in extremis dans « 113ecigarette sans dormir » sa dimension de risus diabolicus – et donc l’accentuation méphistophélique qui va de pair avec celui-ci – lors de sa transformation finale où il devient « en enfer / crever / en enfer[126] » sous l’effet de la permutation puis du glissement homophonique, laissant d’autant plus inévitablement le dernier mot au diable que « le crapaud qui gueulait je t’aime / a fini planté sur une croix[127] ».

Alors que la dynamique d’intériorisation qui apparaît à l’œuvre dans les vers « quand tu contemples dans ta glace / une certaine idée de l’enfer[128] » semble attribuer à l’enfer évoqué dans « éloge de la tristesse » un caractère essentiellement métaphorique, la séquence se révèle dotée in fine de résonances directement évocatrices d’une influence méphistophélique dans la mesure où elle fait résonner au plan sous-jacent l’avertissement nietzschéen « Et si tu regardes longuement l’abîme, l’abîme finit par regarder en toi [129] » : le renvoi cryptique à Par-delà le bien et le maldévoile la conséquence ultime du face-à-face avec le double infernal auquel sa localisation « dans ta glace » confère d’abord une apparence purement narcissique, mais qui se présente en fait – a fortiori si la « glace » n’est plus lue comme synonyme du « miroir » mais bien comme indicateur du « froid torride[130] » dont Dante fait une donnée climatique essentielle de l’enfer – une réelle confrontation avec la part diabolique du « je », dans laquelle c’est finalement l’antagoniste destructeur qui prend le dessus et soumet à ses volontés celui qu’il a pris au piège de sa fascination.

Si la thématique infernale est ici déclinée d’après le modèle architectonique qui prévaut dans la Divine Comédie, c’est bien à la même attraction des « cercles vicieux infernaux[131] » que succombe le protagoniste de « fenêtre sur désert », tandis que celui de « syndrome albatros » reproduit jusque dans le détail de l’itinéraire emprunté le périple effectué par Dante sous la conduite de Virgile à travers les cercles de l’enfer, tel qu’il mène au chant V de L’Enfer à la rencontre des deux poètes avec Francesca da Rimini et Paolo Malatesta : « tu cherches dans les cercles où se perdent les âmes / les amants fous, maudits, couchés sur le grésil[132] ». L’accession au domaine infernal est par ailleurs présentée comme une transgression au sens propre et figuré du terme, telle que l’accomplit dans « syndrome albatros » le protagoniste « franchissant la frontière aux fresques nécrophiles[133] », tandis que « le jeu de la folie » entraîne comme on l’a constaté celui qui le pratique « le long de la frontière qui jouxte l’inconnu[134] » sans pour autant assimiler explicitement ce dernier à l’enfer. Le cas typique dans lequel le passage de la frontière appartient déjà au passé est celui d’Eurydice qui se trouve dès le début de la chanson « de l’autre côté du passage obscur[135] », tandis que le protagoniste de « trois poèmes pour Annabel Lee » – inversant le présupposé du poème de même titre d’Edgar Poe qui présente Annabel Lee comme aimée par le « je » bien au-delà d’une mort déjà ancienne – adjure la figure féminine de ne pas s’abandonner à l’attraction des ténèbres que doit conjurer l’action libératrice de la lumière : « ne laisse pas la peur entrouvrir le passage / obscur et vénéneux dans l’argent de tes yeux / mais donne à la lumière tes pensées les plus sages[136] ». L’impact maléfique créé par le soulignement de l’aspect « obscur et vénéneux » confirme la nature diabolique du « passage » à travers lequel sont susceptibles de déferler les énergies que « terrien t’es rien » désigne comme « les forces des ténèbres[137] » – dont la dimension satanique est cependant indirectement contrecarrée par la précision multivoque « envahissent tes enzymes[138] », qui invite tout autant à une exégèse privilégiant la culmination érotico-physiologique. « les fastes de la solitude » placent la montée des ténèbres sous le signe de l’intervention de « mélusine aux longs cheveux défaits[139] » en tant qu’archétype féminin à l’ambivalence expressément soulignée par Jung, qui déploie son potentiel de séduction au sens tant littéral – soit méphistophélique – que figuré – soit érotico-sexuel – du terme, ainsi que le précise le distique « & dessine sur ton membre une cartographie / des ténèbres où t’attendent quelques maillons maudits[140] » : l’accentuation a priori infernale qui s’attache aux « ténèbres » en tant que lieu de l’accomplissement imminent d’une malédiction inéluctable – le protagoniste apparaissant alors comme la victime désignée d’un piège tel que pourrait en tendre le diable – se double d’une lecture sexuelle éminemment « féminine » du motif, dont le prototype est développé par Faulkner dans le passage de Lumière d’août magnifiant pour mieux les réprouver « les ténèbres chaudes, les ténèbres humides de la Femelle originelle[141] ». La conjonction répétée d’une influence féminine assimilable à l’action déjà évoquée de Lilith et d’une intervention diabolique envisagée selon l’acception usuelle du processus s’inscrit dans la logique de la vision « féminisante » de Méphisto dont on a noté plus haut qu’elle est déjà présente dans le Faust de Goethe, et qui autorise aussi bien les permutations de rôle décrites précédemment à propos de Proserpine ou de la Dame de Pique que la réunion des composantes masculines et féminines de la figure diabolique, telle qu’elle est thématisée dans l’essai Méphistophélès et l’androgyne de Mircea Éliade – auteur dont le nom vient s’adjoindre à la liste de ceux des « maîtres » de Thiéfaine qu’on a eu l’occasion d’évoquer ici.

Recréant la constellation du prologue – de l’opéra de Boito comme du drame de Goethe – ou les interventions célestes qui ponctuent la scène de la mort de Margherita/Gretchen, il est également fréquent dans le corpus thiéfainien que le voyage « vers l’autre monde[142] » se déroule sous des auspices plus solennels déclinant les schémas eschatologiques de la théologie judéo-chrétienne – ainsi que les prolongements significatifs qui leur sont apportés dans l’islam – : ainsi interviennent tour à tour « les anges de la dernière scène[143] », « l’ange exterminateur[144] » ou « l’ange inquisiteur[145] », qui entrent en scène au moment supposé de la mort du protagoniste – la réinterprétation de celle-ci sous la forme de la « petite mort » installant alors l’ange dans le rôle de la partenaire sexuelle – et dont la fonction principale consiste à accorder ou inversement à dénier au défunt présumé l’accès au paradis. De même qu’on a remarqué dans ce qui précède que les contours de l’enfer et du paradis en viennent à se confondre au profit de l’instauration d’un état intermédiaire à la nature « trouble », la séparation des appartenances célestes et infernales se voit à l’occasion menacée par la dynamique d’inversion « qui conduit parfois les vieux fauves / & les anges en enfer[146] », ouvrant à nouveau une perspective de dénouement qui reste inexploitée chez Boito/Goethe, où la rédemption tant de Gretchen/Margherita que de Faust est certes acquise de haute lutte, mais prend néanmoins l’aspect d’un verdict définitif auquel Méphisto/Mefistofele est contraint de se plier. Si la dénomination déjà soulignée d’« anges déchus[147] » employée dans « chambre 2023 (et des poussières) » se révèle par contre conforme à l’usage traditionnel lorsqu’il s’agit d’évoquer Lucifer et ses partisans que leur révolte a précipités en enfer – sans préjudice évidemment des possibles redéfinitions de la formule auquelle donne lieu le basculement vers la strate érotico-sexuelle du discours multivoque –, la présentation de la femme comme « ange quantique & démon fatal[148] » lui assigne dans « lubies sentimentales » – texte dont le titre est paradoxalement issu de la réflexion sur l’argent exposée par Marx dans ses Manuscrits de 1844[149], explorant une dimension inattendue de l’aliénation dénoncée par le philosophe – une double qualité de perturbation des distinctions préétablies et supposées intangibles : la coexistence en soi problématique de l’ange et du démon est à la fois soulignée et remise en question par les épithètes attribuées respectivement à chacune des deux natures de la femme, la variabilité et l’incertitude propres au « quantique » semblant relever davantage du « démon » tandis que l’imperturbabilité du « fatal » correspond a priori mieux à la fiabilité sans défaut qui est celle de l’ange. La multiplicité protéiforme qui est l’apanage de Méphisto/Mefistofele et à laquelle il a pour but de faire accéder Faust est ici encore surpassée par le « feu d’artifice étonnant[150] » – l’adjectif entendu dans son sens propre tant dans ces lignes que dans le vers de Thiéfaine – offert par l’incarnation féminine, qui transcende les catégories prédéfinies pour en proposer une recréation à la fois authentique dans sa singularité et indépendante de tout a priori appréciatif. Signalons toutefois que la conception grecque du daimwn en tant que force intérieure propre à chaque individu vient ici interférer avec la lecture « diabolique » du terme, ainsi que cela est aussi le cas dans « bruits de bulles » où le distique « lasers & lézards / démons de mon hasard[151] » offre dans sa seconde moitié une variation comprimée des Urworte. Orphisch (Paroles primitives. Orphique) de Goethe explorant entre autres les manifestations du daimwn et de la tuch[152].

Hors les possibilités sus-mentionnées d’une contamination avec les émanations de nature divine, l’antagoniste de l’ange qu’est le démon est cependant représenté le plus fréquemment dans la plénitude de son pouvoir de nuisance, que ce dernier soit à entendre au sens littéral ou – les deux accentuations coexistant naturellement dans le discours polyésémique – puisse faire l’objet d’une redéfinition implicite témoignant de l’action de l’Éros. Les « démons » règnent dans l’univers post-apocalyptique de « caméra terminus » – dont le discours bascule à nouveau vers la sphère du rapprochement sexuel à travers le rétablissement du sens latin de camera – « où la lune en scorpion / fait danser ses démons[153] », ravivant le souvenir des invocations à la lune célébrée dans sa triple hypostase antique de « Diana, Luna, Hekate » dans le Faust de Goethe où Anaxagore désire « se tourner vers le haut » – « so wend’ ich mich in diesem Fall nach oben[154] » – après avoir célébré les « puissances souterraines » – « konnt’ ich bisher die Unterirdischen loben[155] » – : le renforcement de la connotation méphistophélique s’opère ici par le biais de la sollicitation de la part infernale inhérente à l’astre lunaire, la caractérisation du protagoniste de « paranoïd game » en tant qu’« homo lunaticus[156] » établissant de même son affinité avec l’élément diabolique à travers les réminiscences astrologiques et/ou médicales de provenance antico-médiévale. S’inscrivant dans un rapport de symétrie directe avec le distique cité plus haut « quand tu contemples dans ta glace / une certaine idée de l’enfer[157] », la séquence allitérative et multivoque « ton fax fixe un démon qui passe[158] » – dont on ne détaillera pas les options de lecture complémentaires – instaure l’affirmation préalable de l’omniprésence et de l’insaisissabilité du « démon » en prélude à la rencontre en vis-à-vis révélatrice de l’identité diabolique du « je » lui-même, réunissant dans un même cadre énonciatif les deux modalités opposées d’apparition de l’élément diabolique préfigurées dans le drame faustien.

Les « souvenirs de baisers volés[159] » remémorés dans « fenêtre sur désert » revendiquent explicitement leur orientation diabolique à travers la double notation évocatrice « de cercles vicieux infernaux[160] » puis « de démons à fleur de peau[161] », tandis que la mention « de lèvres au goût d’herbe mouillée[162] » qui s’intercale entre les deux vers cités véhicule pour sa part l’offre de lecture alternative des expériences infernales, dans laquelle les lèvres sont elles-mêmes prises dans la dynamique des « permutations constantes du haut et du bas[163] » décrite par Bakhtine. La domination des « démons » est également sans partage – du moins au plan du discours explicite – chez la figure féminine adolescente rencontrée dans « la ballade d’abdallah géronimo cohen » évoquée « avec ses vieux démons ses vieux tex avery sumériens / qui hantent les hootenannies de ses métamondes souterrains[164] » ou chez le tout aussi juvénile protagoniste de « special ado sms blues » relatant ses débordements initiatiques : « je vois mes démons / & je kiffe / quand je sniffe / mes odeurs d’inferno[165] ». La relation du personnage apostrophé par le « je » et de la figure féminine dans « ta vamp orchidoclaste » est présentée sous les traits d’un sacrifice infernal – « tu n’es pas fatigué d’offrir tes vieux démons / à cette fille des sixties qui traîne avec ton nom[166] » –, conformément au caractère maléfique de la « vamp » dont on a déjà pu apprécier la nature de « sorcière » et l’affinité avec le « vaudou ». L’apothéose diabolique que constitue le Pandæmonium dans la Damnation de Faust de Berlioz ne saurait non plus être absente du corpus thiéfainien dans lequel elle connaît tour à tour une déclinaison passionnée et essentiellement orgiastique dans « sentiments numériques revisités » – où le « je » célèbre la valeur d’illumination de l’expérience vécue « quand mes pensées confuses s’éclairent au magnésium / sur les écrans-secrets de ton pandémonium[167] » – et un net assombrissement – tout au moins au niveau du discours explicite – dans « annihilation » – où le distique « je fais mes inventaires dans mon pandémonium / cerveau sous cellophane, cœur dans l’aluminium[168] » prélude à l’appel final au « zippo du diable[169] » déjà rencontré dans ces lignes et appréhendé comme le dispensateur paradoxal d’une « rédemption[170] » dont le titre du texte établit à l’avance la nature d’anéantissement.

Au-delà du réseau des correspondances décelables entre les constellations déclinées dans le corpus thiéfainien et le drame instrumentalisé par Méphisto/Mefistofele autour de la personne de Faust, nombre d’étapes de l’action ou de moments privilégiés de celle-ci trouvent un reflet exact dans le discours des chansons dont le spectre associatif s’enrichit en retour par l’inclusion de cet arrière-plan symbolique. La coïncidence répétée de l’attraction infernale et du désir d’un « ailleurs[171] », telle qu’elle forme le cœur des péripéties du Faust de Boito/Goethe à partir de l’entrée en scène de Méphisto/Mefistofele et commande notamment les multiples détours de l’itinéraire faustien jusque dans le passé mythique de l’Antiquité grecque, caractérise ainsi les aspirations du protagoniste de « orphée nonante huit », pour qui le mot d’ordre « tu voudrais toujours être ailleurs[172] » apparaît à la fois comme la conséquence et la condition de l’« étrange regard vers l’enfer[173] » auquel se voit sans cesse ramené son parcours. Le protagoniste de « autoroutes jeudi d’automne » est pris lui aussi – et ce malgré ses multiples tentatives de mettre un terme à son périple insensé par le biais d’un « et je me dis stop[174] » – dans un mouvement sans fin qui l’entraîne irrémédiablement « encore plus loin ailleurs[175] », tandis que c’est bien « à toujours vouloir être ailleurs[176] » que les protagonistes de « errer humanum est[177] » semblent finir par incarner le complément implicite d’un « perseverare diabolicum » parfaitement assumé au fil de leurs agissements de « pyromanes de nos têtes brûlées[178] ». Remarquons à ce propos que le désir de parvenir « au bout d’un autre ailleurs[179] » se révèle comme l’apanage exclusif des personnages masculins qui se désignent par là même comme autant de possibles avatars de Faust, alors que la sphère de l’« ailleurs » est le lieu d’origine ainsi que de résidence attitré des figures féminines, qu’il s’agisse de l’héroïne de « portrait de femme en 1923 » qui se présente au protagoniste par un énigmatique mais d’autant plus significatif « et je reviens d’ailleurs[180] » ou de la figure centrale de « fièvre résurrectionnelle » dont la nature supra- ou extraterrestre est soulignée par les apostrophes successives « mais toi tu restes ailleurs », « mais toi tu viens d’ailleurs », « mais toi tu cherches ailleurs », « mais toi tu planes ailleurs », « mais toi tu squattes ailleurs[181] ».

Concernant le dénouement de l’action tel qu’il marque chez Boito/Goethe la victoire du ciel sur l’enfer, il semble au premier abord en ce qui regarde le corpus thiéfainien que le postulat exclusif « je réserve les cieux / pour d’autres aventures[182] » constitue – au-delà du contexte d’énonciation spécifique qui est le sien dans « première descente aux enfers par la face nord » – le complément obligé de l’hommage au diable auquel le « je » se décide sous l’effet du pacte méphistophélique qu’il souscrit de son plein gré voire de sa propre initiative. Mettant un terme aussi exceptionnel qu’inespéré à la domination méphistophélique, il arrive cependant aussi que le dépassement goethéen incarné par l’Éternel-Féminin à la toute fin du Second Faust trouve son accomplissement dans le corpus des chansons où il constitue comme chez Boito/Goethe la possibilité de transcendement de la condition des « 6 milliards de pantins / fantômes / lépreux / paumés / groupies[183] » qui composent l’humanité. En témoigne au premier chef la réécriture – modifiée sous l’influence du Zarathoustra de Nietzsche – réservée à la conclusion du drame faustien dans les vers « & tu me fais danser là-haut sur ta colline / dans ton souffle éthéré de douceurs féminines[184] » de « fièvre résurrectionnelle », où la protagoniste féminine – dont on vient tout juste d’appréhender la nature d’exception telle qu’elle se manifeste à travers son rapport privilégié à l’ « ailleurs » – renouvelle la figure rédemptrice de la mater gloriosa tout en l’infléchissant nettement de l’agaph vers l’erwV – toujours en conformité avec le primat de l’Éros revendiqué par l’affirmation programmatique « Eros über alles[185] » dont on a signalé au début des présentes réflexions la provenance goethéenne. Embrassant la sphère infernale et le domaine céleste, le parcours du protagoniste de « misty dog in love » réunit les deux univers antagonistes dans un élan qui en exacerbe cependant encore la supposée incompatibilité de nature, la résolution du conflit faustien s’effectuant dans le cadre des contributions jungiennes à la réhabilitation de l’alchimie : « je te veux dans le sulfure / de mes galeries inconscientes / je te veux dans l’or-azur / de mes envolées d’atlante[186] ».

On assiste enfin – et c’est par là que nous achèverons les présentes investigations – à une inversion spectaculaire de la conclusion proposée par Boito/Goethe, lors de laquelle le refus persistant et affirmé de toute offre de rédemption est revendiqué dans les termes mêmes de la problématique faustienne, dans la mesure où celle-ci revisite en fait la représentation du conflit entre le ciel et l’enfer élaborée par Dante dans la Divine Comédie : alors que Faust doit en fin de compte son salut à l’intercession de Gretchen/Margherita – tel Dante s’en remettant à la prière de Béatrice –, le protagoniste de « stratégie de l’inespoir », partant de la proclamation d’une allégeance multivoque aux « flammes » évocatrices de l’enfer – « j’ai trop longtemps cherché mes visions dans les flammes[187] » –, rejette sans appel toute tentative du même ordre qui pourrait émaner de la figure féminine : « je veux brûler pour toi petite / mais gâche pas mon enfer / avec ton paradis / je veux brûler pour toi petite / mais lâche pas tes prières / sur mes cris hypocrites[188] ». En se vouant délibérément à l’enfer en dépit des efforts entrepris par la figure féminine, il prend ainsi indirectement le parti de Méphisto/Mefistofele – et ce quel que soit le contenu que recouvre la volonté de « brûler pour toi » dont on renonce à inventorier ici les différentes options herméneutiques[189] – auquel est alors accordée au plan symbolique la victoire qui lui est refusée chez Boito/ Goethe.


[5] Johann Wolfgang von Goethe : Faust, Der Tragödie zweiter Teil, Stuttgart, Cotta, 1832, cité d’aprèe l’édition en ligne du Deutsches Textarchiv, http://www.deutschestextarchiv.de/book/view/goethe_faust02_1832?p=190 , traduction Françoise Salvan-Renucci. La forme choisie par Thiéfaine est celle du détournement a posteriori du « Deutschland über alles » de sinistre mémoire, signalant l’intention délibérée d’une réhabilitation du legs culturel allemand après son dévoiement par le régime nazi.

[6] Arrigo Boito, Mefistofele, Milan, Ricordi, 1875, acte I, scène 2, cité d’après l’édition en ligne http://www.odb-opera.com/joomfinal/index.php/les-livrets/download/66-boito/325-mefistofele

[7] H.F. Thiéfaine, « droïde song », in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.

[8] H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières) », in Alambic / sortie sud, Paris, Sterne, 1984.

[9] Albert Camus, L’Homme révolté [1951], Œuvres complètes III, 1949-1956, Édition publiée sous la direction de Raymond Gay-Crosier, Paris, Gallimard, 2008, « Bibliothèque de La Pléiade », p. 82.

[10] H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières) ». Les implications satanico-blasphématoires du motif de la « sodomisation » des miroirs sont analysées dans Françoise Salvan-Renucci, « “tel un disciple de Jésus / je boirai le sang de ta plaie” : érotisme et blasphème dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », Babel transgressée, études réunies par Béatrice Bonhomme, Ghislaine Del Rey, Filomena Iooss et Jean-Pierre Triffaux, Paris, L’Harmattan, collection « Thyrse », n° 10.

[11] H.F. Thiéfaine, « droïde song ».

[12] H.F. Thiéfaine, « droïde song ».

[13] H.F. Thiéfaine, « alligators 427 », in Autorisation de délirer, Paris, Sterne, 1979.

[14] H.F. Thiéfaine, « le temps des tachyons », in Grand Corps Malade, Il nous restera ça, Paris, Believe, 2015.

[15] H.F. Thiéfaine, « la ballade d’abdallah géronimo cohen », in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.

[16] H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros », in Eros über alles.

[17] H.F. Thiéfaine, « fenêtre sur désert », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony/Columbia, 2014.

[18] H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.

[19] H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie ».

[20] H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie ».

[21] H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie ».

[22] H.F. Thiéfaine, « was ist das rock’n’roll ? », in Eros über alles.

[23] H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony/Columbia, 2011.

[24] H.F. Thiéfaine, « diogène série 87 », in Meteo für nada, Paris, Sterne, 1986.

[25] H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ». Concernant la lecture historique du vers ainsi que de la première strophe en tant que rappel de l’époque nazie vue comme prototype du modèle « diabolique » de l’existence, cf. Françoise Salvan-Renucci, « “en remontant le fleuve vers cette éternité” : présence de Paul Celan dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », LOXIAS 64, http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=9258

[26] H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros », in VIXI Tour XVII, Paris, Sony/Columbia, 2016.

[27] H.F. Thiéfaine, « tita dong-dong song », in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996.

[28] H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles ».

[29] H.F. Thiéfaine, « photographie d’un rêveur », in Amicalement blues, Paris, RCA/Sony, 2007.

[30] H.F. Thiéfaine, « exit to chatagoune-goune », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982. Concernant les avatars successifs du protagoniste, cf.« “quand humpty dumpty jongle avec nos mots sans noms” : prolégomènes à l’analyse du discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8996

[31] H.F. Thiéfaine, « juste avant l’enfer », in Amicalement blues.

[32] H.F. Thiéfaine, « rendez-vous au dernier carrefour ».

[33] H.F. Thiéfaine, « ta vamp orchidoclaste », in Suppléments de mensonge.

[34] H.F. Thiéfaine, « ta vamp orchidoclaste ».

[35] H.F. Thiéfaine, « ta vamp orchidoclaste ».

[36] H.F. Thiéfaine, « la nuit de la samain ».

[37] H.F. Thiéfaine, « la nuit de la samain ».

[38] H.F. Thiéfaine, « une ambulance pour elmo lewis », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

[39] H.F. Thiéfaine, « la nuit de la samain ».

[40] H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready mister bob ! », in Amicalement blues.

[41] H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready mister bob ! ».

[42] H.F. Thiéfaine, « comment j’ai usiné ma treizième défloration », CD-ROM Défloration 13, Paris, Lilith Érotica/ Sony, 2001.

[43] H.F. Thiéfaine, « routes & déroutes plus croisement », in Défloration 13.

[44] H.F. Thiéfaine, « comment j’ai usiné ma treizième défloration ».

[45] H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir », in Suppléments de mensonge.

[47] H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude », in Défloration 13.

[48] H.F. Thiéfaine, « petit matin 4.10. heure d’été », in Suppléments de mensonge.

[49] H.F. Thiéfaine, « première descente aux enfers par la face nord », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978. On précise à cette occasion – et ce bien que le rappel soit valable en fait pour la quasi-totalité des citations de l’auteur rencontrées dans ces lignes – que l’on fait ici délibérément abstraction des offres de réaccentuation érotico-sexuelle présentes dans l’ensemble des évocations thiéfainiennes de l’enfer, et ce dans le but de conserver sa clarté et sa cohérence à l’exposé des correspondances faustiennes et/ou méphistophéliques. On peut se faire une idée de la richesse polysémique des passages en question en se reportant à Françoise Salvan-Renucci, « “tel un disciple de Jésus / je boirai le sang de ta plaie” : érotisme et blasphème dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », Babel transgressée, études réunies par Béatrice Bonhomme, Ghislaine Del Rey, Filomena Iooss et Jean-Pierre Triffaux, Paris, L’Harmattan, collection « Thyrse », n° 10.

[50] H.F. Thiéfaine, « annihilation », in Séquelles [édition collector], Paris, Sony, 2009.

[51] H.F. Thiéfaine, « annihilation ».

[52] H.F. Thiéfaine, « annihilation ».

[53] H.F. Thiéfaine, « bipède à station verticale », in Meteo für nada.

[54] H.F. Thiéfaine, « annihilation ».

[55] H.F. Thiéfaine, « mathématiques souterraines », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

[56] H.F. Thiéfaine, « amants destroy », in Eros über alles.

[57] H.F. Thiéfaine, « parano-safari en ego-trip-transit », in Défloration 13.

[58] H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve », in Stratégie de l’inespoir.

[59] H.F. Thiéfaine, « bipède à station verticale ».

[60] H.F. Thiéfaine, « amants destroy », in Eros über alles.

[61] H.F. Thiéfaine, « méthode de dissection du pigeon à zone-la-ville », in Le bonheur de la tentation.

[62] H.F. Thiéfaine, « misty dog in love », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.

[63] H.F. Thiéfaine, « le temps des tachyons », in Grand Corps Malade, Il nous restera ça, Paris, Believe, 2015.

[64] H.F. Thiéfaine, « petit matin 4.10. heure d’été », in Suppléments de mensonge.

[65] H.F. Thiéfaine, « 113e cigarette sans dormir », in Dernières balises (avant mutation).

[66] H.F. Thiéfaine, « dans quel état terre », in Le bonheur de la tentation.

[67] H.F. Thiéfaine, « zoos zumains zébus », in Chroniques bluesymentales.

[68] Fiodor Dostoïevski, Les Démons [1872], traduit par Boris de Schloezer, introduction de Pierre Pascal, Paris, Gallimard, 1955, coll. « La Pléiade », p. 398.

[69] H.F. Thiéfaine, « pulque mescal y tequila », in Eros über alles.

[70] Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan [1940], traduit de l’anglais par Stephen Spriel avec la collaboration de Clarisse Francillon et de l’auteur, avant-propos de Maurice Nadeau, Paris, Gallimard, 1973, coll. « folio », pp. 134-135.

[71] L’entrelacement intertextuel à la complexité raffinée réalisé dans « pulque mescal y tequila » – surperposant notamment aux références au roman de Lowry les rappels issus de la Machine molle de Willam Burroughs – est décrit dans Françoise Salvan-Renucci, « “la peste a rendez-vous avec le carnaval” : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l’œuvre de Hubert Félix Thiéfaine », Babel aimée ou la choralité d’une performance à l’autre, du théâtre au carnaval, études réunies par Béatrice Bonhomme, Ghislaine Del Rey, Filomena Iooss et Jean-Pierre Triffaux, Paris, L’Harmattan, 2015, collection « Thyrse », n° 7.

[72] Homère, Iliade, V, 654.

[73] H.F. Thiéfaine, « pulque mescal y tequila ».

[74] H.F. Thiéfaine, « pulque mescal y tequila ».

[75] cf. Hubert P. Heinen, Mutability and permutation. I. Minnesongs and Their Coherence, Göppingen, Kümmerle-Verlag, 1990.

[76] H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been », in Scandale mélancolique.

[77] La double provenance intertextuelle du « clown » est précisée dans Françoise Salvan-Renucci, « “adieu gary cooper adieu che guevara” : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l’œuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », LOXIAS 44, Romain Gary,http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7743

[78] cf. Françoise Salvan-Renucci, « “la peste a rendez-vous avec le carnaval” : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l’œuvre de Hubert Félix Thiéfaine ».

[79] Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, traduit du russe par Andrée Robel, Paris, Gallimard, 1970, coll. « Tel », p. 47.

[80] H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been ».

[81] cf. note 65.

[82] H.F. Thiéfaine, « maalox texas blues », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

[83] On se doit cependant d’expliciter au moins la lecture alternative de « soldant » en tant que « soudant » telle que la suggère la forme primitive du verbe, à partir de laquelle s’installe alors une confusion significative avec le verbe « souder » au sens de « rapprocher / réunir », action qui prend son sens spécifique à travers sa localisation « sous une mustang ford sixty-six » – redéfinition lors de laquelle la lecture littérale du « mustang » suggère même une indication précise des positions occupées respectivement par les deux partenaires.

[84] H.F. Thiéfaine, « orphée nonante-huit », in La tentation du bonheur.

[85] Friedrich Nietzsche, Aurore [Morgenröthe, 1881], traduit de l’allemand par Henri Albert [1901], Œuvres I, édition dirigée par Jean Lacoste et Jacques Le Rider, Paris, Robert Laffont, 1989, coll. « Bouquins », p. 1049). On précise que les trois auteurs qu’on vient de mentionner figurent parmi les nombreux « maîtres » que revendique Thiéfaine, qui est un lecteur assidu de Nietzsche tant dans l’original que dans les diverses traductions françaises – le titre Suppléments de mensonge étant emprunté à la traduction du Gai Savoir de Pierre Klossowski – et un connaisseur tout aussi averti de la littérature russe – dont l’enregistrement audio des Carnets du sous-sol a obtenu en 2016 le prix « Coup de cœur » de l’Académie Charles Cros.

[86] H.F. Thiéfaine, « orphée nonante-huit ».

[87] H.F. Thiéfaine, « orphée nonante-huit ».

[88] H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique », in Scandale mélancolique.

[89] H.F. Thiéfaine, « amant sous contrôle », in Amicalement blues.

[90] H.F. Thiéfaine, « cabaret sainte lilith », in Dernières balises (avant mutation) ; « quand la banlieue descendra sur la ville », in Défloration 13.

[91] H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire », in Le bonheur de la tentation.

[92] H.F. Thiéfaine, « amant sous contrôle ».

[93] H.F. Thiéfaine, « juste une valse noire », in Fragments d’hébétude. La polysémie du « monstre » est aussi celle de l’« escorte » qui laisse transparaître le sens dépréciatif du latin scortum appliqué à une prostituée ou à l’équivalent d’une call-girl.

[94] H.F. Thiéfaine, « je suis partout », in Eros über alles. Si le « monstre » apparaît doué d’une beauté incomparable à travers l’activation du sensus etymologicus, son caractère « pathétique » peut alors se lire comme le renvoi à sa faculté d’éveiller le paqoV de la souffrance ou de la maladie chez ceux qui contemplent sa beauté.

[95] H.F. Thiéfaine, « juste une valse noire ».

[96] H.F. Thiéfaine, « dans quel état terre », in Le bonheur de la tentation.

[97] H.F. Thiéfaine, « dans quel état terre ».

[98] H.F. Thiéfaine, « dans quel état terre ».

[99] H.F. Thiéfaine, « dans quel état terre ».

[100] H.F. Thiéfaine, « animal en quarantaine », in Fragments d’hébétude.

[101] H.F. Thiéfaine, « animal en quarantaine ».

[102] Albert Camus, L’Homme révolté, p. 79.

[103] Historia Augusta, Vita Hadriani, XXV, 9.

[104] H.F. Thiéfaine, « animal en quarantaine ».

[105] H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve », in Stratégie de l’inespoir.

[106] H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».

[107] H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».

[108] Albert Camus, L’Homme révolté, p. 101.

[109] Albert Camus, L’Homme révolté, p. 104.

[110] H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline », in Chroniques bluesymentales.

[111] H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline ».

[112] H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline ».

[113] H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline ».

[114] Henry Miller, Tropique du Cancer [1934], préface de Henri Fluchère, traduction de Paul Rivert, Paris, Gallimard, 1972, coll. « folio », p. 67.

[115] H.F. Thiéfaine, « les mouches bleues », in Fragments d’hébétude.

[117] Johann Wolfgang von Goethe, Faust. Eine Tragödie, Stuttgart, Cotta, 1808, cité d’après l’édition en ligne du Deutsches Textarchiv, http://www.deutschestextarchiv.de/book/view/goethe_faust01_1808?p=92, traduction Françoise Salvan-Renucci.

[118] H.F. Thiéfaine, « also sprach winnie l’ourson », in Défloration 13.

[119] H.F. Thiéfaine, « also sprach winnie l’ourson ».

[120] H.F. Thiéfaine, « also sprach winnie l’ourson ».

[121] H.F. Thiéfaine, « dans quel état terre ».

[122] H.F. Thiéfaine, « also sprach winnie l’ourson ».

[123] H.F. Thiéfaine, « juste avant l’enfer », in Amicalement blues.

[124] H.F. Thiéfaine, « première descente aux enfers par la face nord ». Les implications érotico-sexuelles du terme « enfer » ainsi que de la figure de « lucifer » en tant qu’alter ego de Vénus sont détaillées dans Françoise Salvan-Renucci, « “tel un disciple de Jésus / je boirai le sang de ta plaie” : érotisme et blasphème dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».

[125] H.F. Thiéfaine, « 113e cigarette sans dormir ».

[126] H.F. Thiéfaine, « 113e cigarette sans dormir ».

[127] H.F. Thiéfaine, « 113e cigarette sans dormir ».

[128] H.F. Thiéfaine, « éloge de la tristesse », in Défloration 13.

[129] Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal [1886], traduction par Henri Albert, Œuvres II, p. 624.

[130] H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».

[131] H.F. Thiéfaine, « fenêtre sur désert ».

[132] H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».

[133] H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».

[134] H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie ».

[135] H.F. Thiéfaine, « eurydice nonante sept », in Le bonheur de la tentation.

[136] H.F. Thiéfaine, « trois poèmes pour annabel lee », in Suppléments de mensonge.

[137] H.F. Thiéfaine, « terrien, t’es rien », in Fragments d’hébétude.

[138] H.F. Thiéfaine, « terrien, t’es rien ».

[139] H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude », in Défloration 13.

[140] H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».

[141] William Faulkner, Lumière d’août [Light in August, 1932], traduction de M.-E. Coindreau revue par André Bleikasten, texte présenté et annoté par André Bleikasten, Œuvres romanesques complètes II, Paris, Gallimard, 1995, coll. « La Pléiade », p. 86.

[142] H.F. Thiéfaine, « animal en quarantaine ».

[143] H.F. Thiéfaine, « un vendredi 13 à 5 heures », in Alambic / sortie sud.

[144] H.F. Thiéfaine, « série de 7 rêves en crash position », in Fragments d’hébétude.

[145] H.F. Thiéfaine, « libido moriendi », in Scandale mélancolique.

[146] H.F. Thiéfaine, « les jardins sauvages », in Scandale mélancolique.

[147] H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières) ».

[148] H.F. Thiéfaine, « lubies sentimentales », in Stratégie de l’inespoir.

[149] Karl Marx, Manuscrits de 1844, traduction de Jacques-Pierre Gougeon, Paris, Flammarion, 1999, p. 34. Marx évoque une « lubie » économique que le théâtre au service des puissants sait présenter de manière « sentimentale ».

[150] H.F. Thiéfaine, « lubies sentimentales ».

[151] H.F. Thiéfaine, « bruits de bulles », in Fragments d’hébétude.

[152] Johann Wolfgang von Goethe. Urworte. Orphisch [1820] (Paroles primitives. Orphique), cité d’après l’édition en ligne http://www.texts.at/johann-wolfgang-von-goethe/urworte-orphisch

[153] H.F. Thiéfaine, « caméra-terminus », in Chroniques bluesymentales.

[154] Johann Wolfgang von Goethe, Faust. Der Tragödie zweiter Teil, Goethes Werke, section I, volume 5, p. 152.

[155] Johann Wolfgang von Goethe, Faust. Der Tragödie zweiter Teil, Goethes Werke, section I, volume 5, p. 152.

[156] H.F. Thiéfaine, « paranoïd game », in Fragments d’hébétude.

[157] H.F. Thiéfaine, « éloge de la tristesse ».

[158] H.F. Thiéfaine, « éloge de la tristesse ».

[159] H.F. Thiéfaine, « fenêtre sur désert ».

[160] H.F. Thiéfaine, « fenêtre sur désert ».

[161] H.F. Thiéfaine, « fenêtre sur désert ».

[162] H.F. Thiéfaine, « fenêtre sur désert ».

[163] L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, p. 30.

[164] H.F. Thiéfaine, « la ballade d’abdallah géronimo cohen », in Le bonheur de la tentation.

[165] H.F. Thiéfaine, « special ado sms blues », in Amicalement blues.

[166] H.F. Thiéfaine, « ta vamp orchidoclaste », in Suppléments de mensonge.

[167] H.F. Thiéfaine, « sentiments numériques revisités », in La tentation du bonheur.

[168] H.F. Thiéfaine, « annihilation ».

[169] H.F. Thiéfaine, « annihilation ».

[170] H.F. Thiéfaine, « loin des temples en marbre de lune », in Scandale mélancolique.

[171] H.F. Thiéfaine, « orphée nonante huit » ; « scandale mélancolique ».

[172] H.F. Thiéfaine, « orphée nonante huit ».

[173] H.F. Thiéfaine, « orphée nonante huit ».

[174] H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne ».

[175] H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne », in Meteo für nada.

[176] H.F. Thiéfaine, « errer humanum est », in Meteo für nada.

[177] H.F. Thiéfaine, « errer humanum est ».

[178] H.F. Thiéfaine, « errer humanum est ».

[179] H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique ».

[180] H.F. Thiéfaine, « portrait de femme en 1922 », in Chroniques bluesymentales.

[181] H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle », in Suppléments de mensonge.

[182] H.F. Thiéfaine, « première descente aux enfers par la face nord ».

[183] H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle ».

[184] H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle ».

[185] H.F. Thiéfaine, « Eros über alles », in Eros über alles.

[186] H.F. Thiéfaine, « misty dog in love ».

[187] H.F. Thiéfaine, « stratégie de l’inespoir ».

[188] H.F. Thiéfaine, « stratégie de l’inespoir ». Pour ce qui concerne la réécriture de Dante dans « stratégie de l’inespoir », cf. Françoise Salvan-Renucci, « “tel un disciple de Jésus / je boirai le sang de ta plaie” : érotisme et blasphème dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine » ; « “je te salue seigneur” : le modèle de l’entretien dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », actes de la journée d’étude La poésie comme entretien (Université Nice Sophia Antipolis, 6-8 novembre 2017), Paris, L’Harmattan, collection « Thyrse ».

[189] La polysémie de la séquence est détaillée dans Françoise Salvan-Renucci, « “tel un disciple de Jésus / je boirai le sang de ta plaie” : érotisme et blasphème dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine » ; « “je te salue seigneur” : le modèle de l’entretien dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».

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