Dans Exil sur planète-fantôme, Hubert-Félix Thiéfaine évoque à travers le protagoniste de la chanson les « fantômes conscients d'être morts-nés » menant leur existence dans « de sordides tripots » :
et nous avions des gueules à briser les miroirs
à ne montrer nos yeux que dans le contre-jour
mais entre deux délires, entre deux idées noires
nous étions les plus beaux, nous vivions à rebours [1]
Un tel programme d'une vie « à rebours » menée de surcroît par des « mutants » ou des « androgynes » fait d'emblée écho à l'idée d'une « vie à l'envers » ou d'un « monde à l'envers » dans laquelle Mikhaïl Bakhtine voit la caractéristique essentielle de l'« existence de carnaval [2] », établissant ainsi la pertinence du paradigme carnavalesque dans son application à l'herméneutique du discours thiéfainien. Les termes mêmes de la strophe citée sont par ailleurs révélateurs de l'infléchissement caractéristique imprimé par Thiéfaine au traitement de la thématique du monde à l'envers, l'accentuation spécifique qu'elle reçoit dans le corpus des chansons résidant dans le renforcement voire la radicalisation délibérée de la composante destructrice ou « détronisante » telle que la décrit Bakhtine : la conformité de principe avec la vision carnavalesque de l'existence dont on aura l'occasion de détailler les principaux constituants – toujours en référence à la définition bakhtinienne dont les textes de Thiéfaine donnent une illustration particulièrement appropriée et nourrie d'une connaissance approfondie du discours littéraire comme exégétique – va de pair avec le soulignement des éléments « noirs » dont la dominance récurrente est un des principaux traits distinctifs de l'écriture de l'auteur (qui trouve par exemple une traduction significative dans la substitution des « noirs paradis [3] » aux « verts paradis [4] » de la formulation d'origine dans l'impressionnante version live de Redescente climatisée). Cette hypothèse d'une réaccentuation du matériau carnavalesque en fonction des priorités inhérentes à la démarche de Thiéfaine recevra sa validation à travers l'examen des chansons évoquant explicitement le thème du carnaval, qui pourra s'élargir à d'autres exemples de la création de l'auteur appréhendée dans le cadre d'une double dynamique d'inversion et de dérision témoignant de la prégnance de l'empreinte carnavalesque. L'aboutissement de l'analyse sera ainsi constitué par le renvoi au processus de « carnavalisation » englobant l'ensemble des modalités de l'expression poétique – tel qu'il a été diagnostiqué par Bakhtine à propos des romans de Dostoïevski –, le discours masqué complexe et multivoque dont on aura précisé les diverses possibilités de déclinaison devenant le vecteur privilégié du traitement de la composante carnavalesque et donc de son intégration parmi les paramètres essentiels de la signature artistique de Thiéfaine.
Parmi les chansons faisant directement référence au carnaval, La nostalgie de dieu se distingue par la mise en exergue appuyée du motif dans la formule de datation parodique « en ce quinzième dimanche après carnaval [5] » qui ouvre les réflexions du protagoniste, sanctionnant d'entrée l'inversion des priorités calendaires traditionnelles et à travers elle le basculement des catégories du discours, tel que l'illustre de façon exemplaire le démontage de l'idée de l'homme comme imago dei dont la discussion ou plutôt le détournement paradoxal conditionne tout le déroulement de la chanson. Les termes mêmes dans lesquels est exposé le postulat de départ :
le démiurge au chômage
fit l'homme à son image [6]
renforcent la confusion carnavalesque par la contamination des références qui résulte de l'introduction du concept platonicien ou gnostique du « démiurge », créant ainsi une des « mésalliances [7] » typiques du « monde à l'envers » qui vient relativiser voire infirmer d'avance l'autorité du récit biblique. La stratégie de brouillage des repères se poursuit par ailleurs au niveau des plans temporels où Thiéfaine installe pour mieux la démentir la fiction d'une coïncidence parfaite entre la sphère du mythe et celle de l'histoire : la tentative décalée – mais d'autant plus conséquente dans son principe de reductio ad absurdum – de datation de l'acte du « démiurge » à partir des découvertes de la paléontologie – avec renvoi à « Lucy » et à « l'Abel du Tchad » – superpose à l'évocation de l'instant créateur initial l'affirmation d'un temps historique dont il est théoriquement possible de fixer avec précision les étapes successives, tandis que l'introduction d'une norme de périodisation basée sur la référence à une figure de substitution radicalement inacceptable au regard du discours religieux vient prolonger la dynamique d'inversion blasphématoire instaurée par la formule inaugurale – et ce d'autant plus que la simulation d'une nouvelle césure calendaire découle de la restitution du sens premier du terme « idole » d'ordinaire masqué par l'acception contemporaine usuelle renvoyant au monde du spectacle :
cette histoire s'est passée très loin des oxydes de carbone
environ trois millions d'années avant Michael Jackson [8]
C'est cependant au niveau du rapport d'équivalence ou de parenté entre l'humain et le divin que l'énoncé de la strophe de Thiéfaine tire toutes les conséquences du renversement des repères induit par la primeur de l'accentuation carnavalesque. La relecture du postulat créationniste à la lumière des enseignements de l'évolution débouche sur l'affirmation de l'animalité de dieu qui implique elle-même la redéfinition de l'humain en tant que création supposée du « démiurge », puisque c'est uniquement en tant qu'animal que l'homme peut être qualifié d'image de dieu :
on peut donc affirmer sans offenser son archevêque
que dieu a la gueule et l'aspect d'un australopithèque [9]
Par l'application radicale de la logique d'inversion des repères qui vise ici directement la sphère du divin dans son rôle d'instance suprême de l'univers, le texte met en oeuvre de façon spectaculaire le processus d'« abaissement » ou de « détronisation [10] » qui caractérise aussi bien la « sensation carnavalesque du monde » que son reflet dans la « littérature carnavalisée » – pour reprendre les principaux concepts de l'analyse bakhtinienne –. C'est sous le même angle carnavalesque de la dérision-inversion qu'intervient la présentation de l'acte de création comme « histoire d'amour toujours », dans laquelle le basculement de la sphère de la caritas vers celle de l'Eros – qui apparaît d'autant plus évident qu'il reste inexprimé au niveau du discours explicite – autorise la réinterprétation du miracle des noces de Cana dans les termes de la parodia sacra caractéristique des rites du carnaval :
dieu est amour
dieu est amour
et Jésus change le beurre en vaseline
dieu est in ! [11]
Le substrat énonciatif évocateur du « scandale de la vaseline [12] » relaté dans Le Festin nu de William Burroughs :
il a repris une laiterie en Hollande, coupé le beurre avec de la graisse à boulons et raflé le marché de la vaseline en Afrique du Nord [13],
ainsi que de la scène d'inspiration analogue du Dernier tango à Paris, fait l'objet d'une recréation selon les modalités de détournement propres à l'écriture de Thiéfaine – et plus spécifiquement à la dimension carnavalesque de celle-ci – : la substitution de nature réaliste décrite dans le roman ou le film revêt l'aspect pour le moins inattendu d'une transformation prodigieuse, soulignant a contrario la volonté d'immanence qui sous-tend la démarche du texte et l'ancre ainsi dans l'opposition à la revendication de transcendance véhiculée par le discours religieux. L'ambiguité calculée de la constatation « dieu est in ! » est ensuite levée au profit d'une immédiateté provocatrice de l'expression dans le climax de la séquence finale du texte « god gode ! », qui établit définitivement l'atmosphère d'« orgie » ou de « bacchanale » empreinte de « relativité joyeuse [14] » constitutive de l'univers carnavalesque tel que le décrit Bakhtine.
Le même pseudo-miracle est décrit dans une des strophes de 113e cigarette sans dormir :
les dieux changent le beurre en vaseline
et les prophètes jouent Dracula
s'il vous reste un fond de margarine
j'en aurai b'soin pour ma coda [15]
La séquence de profanation est ici dotée d'une prolongation qui joue sur le double sens musical et sexuel de la « coda » tout en portant à un nouveau degré le processus de dévalorisation, puisque le beurre est lui-même relayé par un ersatz dont de surcroît seule une petite quantité est disponible.
La peinture de la catastrophe nucléaire – ou plutôt de son anticipation ambivalente – réalisée dans Alligators 427 s'inscrit tout au long du texte dans le cadre même du discours carnavalesque, dont la validité en tant que catégorie descriptive est d'ailleurs affirmée explicitement dès la seconde strophe de la chanson habitée par le sentiment d'étrangeté propre à l'expérience de l'absurde [16] :
dans cet étrange carnaval
on a vendu l'homo sapiens
pour racheter du néanderthal [17]
La qualification du processus de destruction comme « carnaval » va ici de pair avec un nouvel exemple de la dynamique d'inversion–détronisation statuant le caractère irrévocable du retour en arrière – ou vers les profondeurs de l'animalité – de l'évolution du genre humain. L'infléchissement vers la catastrophe est directement imputé à l'action des mystérieux « alligators » à « la beauté destructive » apostrophés par le protagoniste au début de chacune des six strophes, et que l'auteur présente lui–même comme « un clin d'oeil [ ... ] à Claude François !!! (Rires) [18] » : l'insistance sur la démarche de travestissement renforce la dimension carnavalesque du portrait énigmatique dans lequel seule la référence à l'animalité est immédiatement perceptible (elle est d'ailleurs mise en lumière par les projections en arrière–plan de la scène lors de l'exécution de la chanson à Bercy en octobre 2011 dans le cadre du Homo Plebis Ultimae Tour). Dans son commentaire de nature doublement carnavalesque – puisqu'il signale une possibilité secondaire de lecture pour mieux détourner l'attention de l'option herméneutique la plus riche de signification sur le plan connotatif –, Thiéfaine choisit de laisser dans l'ombre l'apport du sensus etymologicus permettant d'identifier les alligatores comme les anges néfastes retenant l'humanité dans leurs chaînes, et dont l'action aliénante est dépeinte par Augustin dans un passage particulièrement éclairant de la Cité de Dieu :
sequitur eos, ut dicant deos istos, quos a nobis uolunt quasi parentes et conditores nostros coli, nihil esse aliud quam fabros compedum carcerumue nostrorum ; nec institutores, sed inclusores alligatoresque nostros ergastulis aerumnosis et grauissimis uinculis. [19]
Le fait que le plurilinguisme et les lectures multiples qu'il fait coexister au sein d'un même énoncé soit un trait récurrent des textes de Thiéfaine – d'où découle pour une large part la polysémie propre à son expression poétique – renforce encore la dimension carnavalesque de son discours qu'on aura l'occasion de décrire de façon plus détaillée dans la dernière partie de cette contribution, mais dont le traitement de la langue dans Alligators 427 permet déjà de dessiner les contours, notamment en ce qui concerne le caractère dynamique – et comme tel générateur de mutations en série – de la composante étymologique. La prise en compte de la strate sémantique issue de la lecture latine du terme confère ici un caractère d'évidence – encore plus tangible si on lui associe la référence augustinienne – à l'assimilation des « alligators » aux « anges nucléaires » de la quatrième strophe, le salut qui est adressé à ces derniers par les « vampires » relayant celui du protagoniste aux figures éponymes de la chanson. La reconstitution du substrat latin et la reconnaissance du parallèle augustinien ne visent cependant pas à substituer aux « alligators-animaux » des « alligators-anges » qui seraient le dernier mot de l'entreprise de décryptage, rétablissant ainsi la fiction de l'univocité du discours que le recours à l'approfondissement sémantique avait justement pour but d'éliminer. C'est au contraire autour de la double nature des « alligators » – ainsi bien sûr que de la double lecture qui permet d'en établir l'existence – que s'articule la dynamique du discours multivoque du texte de Thiéfaine, dans lequel les « anges nucléaires » se révèlent en outre porteurs d'une nouvelle oscillation sémantique induite là aussi par l'activation du sensus etymologicus : le renvoi au sens premier du terme grec ἂγγελος suivi de son remplacement par son équivalent latin débouche sur la lecture alternative « missiles nucléaires » qui fixe définitivement le contexte de l'évocation sans pour autant le dévoiler de façon explicite. Le déchiffrage de la signature symbolique du texte reste en effet subordonné à la perception du jeu de bascule à plusieurs niveaux qui se met en place autour de l'idée des « alligators » comme de celle des « anges nucléaires », la formulation énigmatique de l'énoncé, les offres d'élucidation suscitées par le renvoi aux langues anciennes et l'impact suggestif propre à l'image d'origine se retrouvant pris dans un entrelacement que l'approche herméneutique vise pour sa part moins à défaire qu'à consolider par la constatation de son indissolubilité de principe.
Le renvoi aux caractéristiques physiques des « alligators » qui occupe le début de chaque strophe et débouche sur la série « ailes »–« queue »–« regards »–« crocs »–« griffes »–« cerveau » s'effectue sous la forme d'une « énumération des parties du corps disloqué » typique de l'« anatomie carnavalesque [20] ». On rencontre un autre exemple de celle-ci dans la première strophe de Bruits de bulles consacrée à l'évocation du décor d'une catastrophe aérienne :
soleil écorché
vestiges éventrés
corps décapités
squelettes éclatés [21],
l'attention se focalisant ensuite sur un corps féminin détaillé selon la même technique d'une « autopsie » carnavalesque :
le rouge de ses lèvres
et le bleu de ses yeux
sur le blanc crayeux
de son visage laiteux [22]
Une manière de compensation de la tendance à l'éclatement descriptif et sémantique qui se manifeste dans le portrait des « alligators » est incarnée par la séquence allitérative « j'ai troqué mon coeur contre une trique [23] » qui crée un effet de resserrement acoustique et va ainsi dans le sens d'un renforcement de la cohérence du discours – ou du moins des modalités de son articulation. En tant qu'élément essentiel de la langue poétique de Thiéfaine dont les exemples abondent au détour des chansons – « vers les flèches où les fleurs flashent avec la folie [24] », « reflets de flammes en fleurs dans les yeux du cheval [25] », « déjà je m'avance en bavant / dans les vapeurs d'un vague espoir [26] » –, l'allitération constitue le corollaire inversé – et doté comme tel de la fonction créatrice ou simulatrice de cohésion discursive que l'on vient de décrire – du procédé tout aussi déterminant de fragmentation acoustique, qui traduit pour sa part la dynamique de dispersion d'inspiration carnavalesque dont on a pu noter les effets au niveau énonciatif dans la présentation des « alligators ».
Le cadre de l'évocation des « anges nucléaires » apparaît bien ici comme celui d'une scène de carnaval dans laquelle l'atmosphère de kermesse villageoise est restituée à travers le prisme déformant de la guerre ou de la catastrophe atomique. La séquence
l'idiot du village fait la queue
et tend sa carte d'adhérent
pour prendre place dans le grand feu [27]
est particulièrement révélatrice de la relecture apocalyptique opérée par Thiéfaine, le motif traditionnel du « feu destructeur et rénovateur à la fois [28] » se voyant ramené à sa seule dimension exterminatrice tout en conservant son lien d'origine avec la sphère de la célébration carnavalesque privilégiant elle aussi l'angle de la dérision. La même redéfinition au profit exclusif de la composante annihilatrice caractérise les vers
je sais que les mouches s'apprêtent
autour des tables du festin
j'espère que vos macchabs seront bien faisandés [29]
qui témoignent de la permanence de l'accentuation festive jusque dans la prépondérance thématique de la mort et de la déliquescence corporelle. L'évocation parallèle de « l'agonie » ou de la « morphine » – outre les connotations sexuelles qu'elle véhicule à travers le renvoi aux « manufactures » et qu'il faut malheureusement laisser de côté ici – vient également souligner l'aspect catastrophique voire épidémique du processus sur lequel on s'étendra plus longuement dans la suite de ces réflexions, le conditionnement réciproque de l'allégresse – fût-elle de façade et destinée à masquer un état émotionnel de nature toute différente – et de la déréliction apparaissant comme un paramètre essentiel du discours du protagoniste. L'orientation carnavalesque culmine alors dans l'appel final « il est temps de sonner la fête » qui travestit l'attente eschatologique en promesse d'un accomplissement joyeux à caractère spectaculaire voire artistique – ainsi que le souligne le « moi je vous dis bravo » qui ponctue chaque strophe –, tout en parachevant la déclinaison des modalités descriptives par la mise en relief explicite de la dimension acoustique inhérente à toute manifestation de ce type.
Sous l'effet de la dynamique de transformation-déformation qui détermine aussi bien la présentation des « alligators » que l'évocation des préparatifs de la « fête », le discours de la chanson souscrit par ailleurs de bout en bout à la vision carnavalesque du corps « inachevé [30] » ou en mutation constante, de la formule d'entrée
sur cette autoroute hystérique
qui nous conduit chez les mutants
à la proclamation de l'anéantissement final et de ses dernières conséquences
à l'ombre de vos centrales je crache mon cancer
je cherche un nouveau nom pour ma métamorphose
je sais que mes enfants s'appelleront vers de terre [31]
Le choix des termes de « mutants » ou de « métamorphose » – deux concepts récurrents de la langue poétique de Thiéfaine dont il importe également de rappeler la dimension poétologique – est révélateur de l'ancrage profond du texte dans l'imagerie grotesque dont Bakhtine souligne l'affinité essentielle avec le mode d'expression carnavalesque (qui lui emprunte le caractère dynamique d'un balancement ou d'un renversement perpétuel faisant alterner les deux extrêmes de l'évocation) :
L'image grotesque caractérise le phénomène en état de changement, de métamorphose encore inachevée, au stade de la mort et de la naissance, de la croissance et du devenir. [32]
La réduction des « enfants » au statut de « vers de terre » – qui est précédée de celle du corps du protagoniste à son seul « squelette » – procède de la conception grotesque et/ou carnavalesque de la coexistence de la mort et de la naissance au sein d'une même image, telle qu'elle ressort de la description de Bakhtine :
Une des tendances principales de l'image grotesque du corps consiste à montrer deux corps dans un seul: le premier qui donne la vie et qui disparaît, le second qui a été conçu, porté, qui est mis au monde. [33]
La version thiéfainienne du motif carnavalesque de la simultanéité des états antagonistes – juxtaposés ou entremêlés dans un corps représenté comme à la fois « mourant-naissant-à naître [34] » – opère cependant la même réorientation dans le sens d'un primat définitif de la sphère de la mort que celle constatée précédemment à propos du traitement de la thématique de la « fête », la dégradation corporelle amenée par la maladie puis la mort et la substitution des « vers de terre » aux « enfants » qu'elle entraîne excluant d'avance toute possibilité d'un nouveau renversement de la dynamique de destruction.
La victoire sans appel de la mort sur la vie est symbolisée par l'inversion du motif de la résurrection et de la dimension pneumatique du processus de révélation dans les vers
j'entends siffler le vent au-dessus des calvaires
et je vois les vampires sortir de leurs cercueils
auxquels fait écho le résumé final venant compléter le bestiaire de la mort inauguré par les « mouches » de la troisième strophe :
je sais que désormais vivre est un calembour
la mort est devenue un état permanent
le monde est aux fantômes, aux hyènes et aux vautours [35]
La prééminence absolue du pôle destructeur est par ailleurs statuée par la formule « vive la mort » qui conclut chacune des six strophes, et qui apporte par sa qualité d'oxymore une nouvelle confirmation de la concordance entre la vision carnavalesque du monde et celle qui se dégage de Alligators 427 et plus généralement de l'ensemble du corpus thiéfainien. Alors que Bakhtine souligne fréquemment l'aptitude de l'« oxymoron [36] » – qu'il soit de nature situationnelle ou verbale – à exprimer l'ambivalence foncière de l'attitude carnavalesque, Thiéfaine désigne expressément l'oxymore comme le véhicule privilégié de son expression poétique, appréciation dont un examen détaillé des séquences relevant de la même technique de formulation permettrait de révéler toute la pertinence :
[...] je suis passionné par le clair-obscur, l'oxymore me fascine. L'oxymore provoque, il permet de frotter les mots et les sens. [37]
Par sa glorification provocatrice de la mort, le refrain de la chanson affirme sa parenté d'inspiration avec la tradition artistique qui s'est développée autour de l'idée du Triomphe de la mort, et dont une illustration constituant un témoignage éloquent de l'esthétique grotesque est donnée par le tableau du même nom de Brueghel l'Ancien : celui-ci peut d'ailleurs être lu comme une manière de commentaire iconographique en parfaite adéquation avec l'esprit du texte de Thiéfaine, à moins qu'on ne préfère voir dans celui-ci la réalisation poétique des aspects les plus marquants de l'évocation visuelle détaillée par le peintre. Le fait que Bakhtine considère « Brueghel le Vieux et Jérôme Bosch » comme les représentants les plus significatifs de la sensation grotesque du monde et de « son image originale du corps [38] » va dans le même sens d'une affirmation de l'identité carnavalesque que le rapport d'affinité qui unit Thiéfaine à ce courant de l'art pictural, la référence combinée à Jérôme Bosch – pour la dimension monstrueuse des « alligators » – et à Brueghel – pour l'atmosphère de kermesse et l'image des « charniers » de la troisième strophe – qui nourrit le texte de Alligators 427 trouvant un prolongement dans l'hommage direct rendu dans Solexine et ganja au second des deux artistes. [39]
Le Trionfo della morte de D'Annunzio ou le mot d'ordre franquiste Viva la muerte sont également au nombre des associations véhiculées par la formule de Thiéfaine, le halo connotatif empreint d'ambiguité venant renforcer l'impact destructeur du « vive la mort » et couronner la lecture apocalyptique du motif du carnaval proposée par le texte de Alligators 427. L'accentuation historique déjà déductible du renvoi à « l'autre guerre » se surimpose à la composante écologique pour enfermer l'ensemble du discours dans une aporie délibérément soulignée par l'oxymore, le « rire ambivalent [40] » conforme à la description bakhtinienne qui ponctue à deux reprises – surtout dans les 113 concerts du Homo Plebis Ultimae Tour – la déclamation de l'auteur-compositeur-interprète – après la mention de l'« alibi » dans la cinquième strophe et après la dernière reprise du « vive la mort » à la fin de la chanson – venant apposer sur ce carnaval « revisité [41] » une ultime signature acoustique. Le même rire « destructeur » typique de la version « noire » du carnaval véhiculée par les chansons de Thiéfaine résonne dans le refrain de 113e cigarette sans dormir « je ris à m'en faire crever ! » qui s'inverse pour finir en « en enfer - crever ! / en enfer ! [42] », le basculement vers la dimension diabolique.
542 lunes et jours environ développe une vision du carnaval davantage axée sur la sphère alimentaire et sexuelle, cette dernière étant au centre du vers « dans le bleu carnaval des printemps cutanés [43] » qui introduit la mention explicite de l'élément carnavalesque en tant que sphère de référence du discours. Une première marque de l'appartenance au « monde à l'envers » est constituée par la datation à partir du calendrier lunaire fixée par le titre comme alternative à la norme traditionnelle, la composante lunaire voire lunatique – avec l'inflexion qu'elle suggère vers « le jeu de la folie » revendiqué en tant que « sport de l'extrême [44] » – étant d'ailleurs depuis Le chant du fou [45] du premier album une constante des chansons de Thiéfaine et particulièrement de la caractérisation de leur protagoniste, qu'il s'agisse du « rasta lunaire baisant la main d'oméga queen [46] » des Confessions d'un never been ou de l'« homo lunaticus [47] » de Paranoïd game – sans oublier la réflexion de l'auteur « tous les Cancériens sont des lunaires [48] », qui établit la dominance du modèle lunaire et nocturne et par là même son rôle récurrent de prototype des acteurs des textes. La référence à l'élément lunaire est également déterminante dans la peinture de l'atmosphère dominée tour à tour par « la Lune en scorpion » qui « fait danser ses démons [49] » dans le décor post-apocalyptique de Caméra terminus ou par « la lune noire [50] » qui offre son éclairage satanique à Chambre 2023 (et des poussières), avant d'être célébrée en tant que divinité tutélaire dans Retour vers la lune noire, dont la bacchanale effrénée se déploie sous le signe carnavalesque de l'« ivresse des tambours fous [51] ». Le déroulement de la journée est lui aussi rythmé par des repères nocturnes venus supplanter la périodicité diurne et solaire, comme dans la formule « à 13 heures c'est 1 heure après minuit d'l'après-midi [52] » au début de la deuxième strophe de 24 heures dans la nuit d'un faune, dont le titre signale la priorité de la dimension nocturne et orgiastico-bachique – et donc de la lecture thiéfainienne du carnaval interrogeant de façon directe le rapport entre « morts » et « vivants » à la fin de chaque strophe – dans la réinterprétation de l'intitulé de la nouvelle de Stefan Zweig Vingt-quatre heures dans la vie d'une femme.
L'itinéraire biographique retracé dans 542 lunes et 7 jours environ est placé dès l'abord sous le signe du travestissement dont l'auteur choisit de privilégier la dimension de dérision, qui se communique à la totalité des figures de la chanson sans épargner le protagoniste, reflétant en cela l'idée carnavalesque du « rire " général " » et « universel [53] ». A la naissance dans un univers peuplé de « clowns en treillis » fait écho la réitération de la version « détronisante » du motif du déguisement lors de l'évocation funéraire de la dernière strophe :
et je me vois déjà guignol au p'tit matin
traînant mon vieux flight-case dans le cimetière des chiens [54]
Le « clown » est de façon générale une incarnation privilégiée du personnage principal des chansons surtout lorsque celui-ci se définit comme le représentant de l'existence artistique, de Syndrome albatros apostrophant le poète comme « clown masqué décryptant les arcanes de la nuit [55] » aux Confessions d'un never been dont le refrain « j'ai volé mon âme à un clown [56] » est un des vers de Thiéfaine les plus complexes et les plus riches de résonances, celles-ci ne pouvant cependant faire ici l'objet ne fût-ce que d'un repérage approximatif. Tout aussi symptomatique de l'accentuation carnavalesque est le recours au « guignol » présenté dans sa double qualité de figure dérisoire – comme justement le protagoniste de 542 lunes et 7 jours environ ou « le guignol au tambourin [57] » derrière lequel se profile Bob Dylan dans Rock autopsie –, mais aussi de manipulateur tirant les ficelles à l'arrière-plan du « Grand-Guignol » aux débordements sanglants objet de l'admiration d'André Breton [58] – l'exemple le plus significatif en étant le refrain « Guignol connaît pas de sots métiers [59] » de 113e cigarette sans dormir ou la constatation désabusée au début de Annihilation
on n'en finit jamais de rejouer Guignol
chez les Torquemada chez les Savonarole [60],
tandis que le distique de Vendôme gardenal snack
dans la rue des travelots t'as rencontré Guignol
qui s'était déguisé en poète illusoire [61]
scelle l'alliance ambiguë entre les deux symboles de l'existence décalée ou en marge. On peut ajouter à la liste des incarnations carnavalesques le « pantin déglingué [62] » de Femme de Loth qui associe au rappel de l'existence de carnaval le marqueur linguistique de la dévalorisation que constitue le préfixe « dé- » systématiquement introduit par Thiéfaine dans les évocations de la dynamique « détronisante » (ce qui fait qu'il se retrouve dans la quasi-totalité de ses textes, comme l'établirait sans contestation possible un inventaire de sa métalangue poétique).
La parodie funéraire localisée dans « le cimetière des chiens [63] » enrichit la « panoplie [64] » carnavalesque de 542 lunes et 7 jours environ en y incorporant la dimension de l'animalité qui apporte également son accentuation caractéristique à l'évocation de la sexualité sur laquelle on reviendra dans la suite immédiate de ces lignes. La formulation faisant écho au titre Comme un chien dans un cimetière (le 14 juillet) [65] renvoie par ailleurs à l'enseignement de la philosophie cynique qui constitue un des principaux repères de la pensée de Thiéfaine, le fondateur de l'école – autour duquel s'est justement développée la légende du « cimetière des chiens » – devenant même la figure principale de la chanson Diogène série 87 [66] : l'inflexion cynique peut ici se faire entendre dans toutes ses implications sans pour autant faire obstacle à l'élément carnavalesque puisqu'il s'agit là de références complémentaires, comme le montre l'importance accordée par Bakhtine à Diogène en tant qu'incarnation du « sage ménippéen [67] ».
Si la scène du « cimetière des chiens » relève par définition de l'orientation vers le « bas topographique » carnavalesque de la « tombe » ou des « enfers [68] », elle maintient cependant le caractère « ambivalent » diagnostiqué par Bakhtine à propos de la dynamique d'inversion vie-mort, le « triomphe de la mort » s'accompagnant de l'amorce d'une renaissance symbolique :
On précipite non seulement vers le bas, dans le néant, dans la destruction absolue, mais aussi dans le bas productif, celui-là même où s'effectuent la conception et la nouvelle naissance, d'où tout croît à profusion. [...] le bas, c'est la terre qui donne la vie et le sein corporel, le bas est toujours le commencement. [69]
L'idée du retour à la vie ou plus exactement de l'aspiration sinon du passage à une nouvelle dimension de celle-ci est suggérée dans la strophe de Thiéfaine par la localisation temporelle de l'expérience de mort « au p'tit matin » et l'exclamation « o meine kleine Mutter, mehr Licht ! » qui paraphrase les dernières paroles de Goethe appelant à faire « plus de lumière », en même temps qu'elle renouvelle l'évocation de « la lumière vagabonde [70] » aperçue par le personnage à son entrée dans l'existence. La mort est présentée sous l'aspect symbolique d'un envol « vers les premières lueurs [71] » analogue à celui espéré par le protagoniste de Infinitives voiles, et dont l'indication « traînant mon vieux flight-case [72] » renforce indirectement l'impression d'imminence, tout en renforçant la dimension carnavalesque voire surréaliste de la scène par l'incongruité de l'introduction du vocabulaire moderne et anglophone des voyages aériens dans le décor a priori sinistre et sordide du « cimetière des chiens » – qui fait lui-même l'objet d'une réaccentuation grotesque par l'irruption inopinée du « guignol ». L'accessoire du « flight-case » apparaît par ailleurs particulièrement conforme aux exigences de la situation puisqu'il propose en même temps une possibilité appropriée de travestissement du motif du cercueil, dont un autre détournement significatif est représenté par le « box-office [73] » de Une ambulance pour Elmo Lewis (le sens premier du terme renvoyant pour sa part au contexte énonciatif centré sur la mort de Brian Jones). L'impression d'un renouvellement du paradigme carnavalesque et de sa conception cyclique du temps qui se dégage de la séquence finale de 542 lunes et 7 jours environ se nuance en même temps de l'inflexion modificative – inspirée par l'esprit des Lumières et orientée vers l'exigence de dépassement et d'arrachement à l'attraction du « bas » – véhiculée par la dimension allégorique de l'injonction « mehr Licht ! », qui prime sur le sens propre de la demande – dans la lecture de Thiéfaine comme dans la tradition exégétique née autour de la phrase – quelle qu'ait pu être l'intention véritable de Goethe prononçant ces paroles. Par l'adjonction de l'apostrophe adressée à la « petite mère », l'exitus revêt la signification supplémentaire – et recoupant ici totalement la vision carnavalesque – d'un retour vers le « sein maternel [74] » qui fait écho à la réminiscence de la « pré-vie [75] » rencontrée dans la séquence finale de Buenas noches, Jo assimilant l'expérience sexuelle au souhait de « rentrer dans ta matrice [76] ».
L'empreinte carnavalesque qui caractérise le texte de 542 lunes et 7 jours environ prend de fait une valeur d'évidence dès la strophe d'ouverture qui transfère au raccourci de la représentation imagée de la planète la constatation de l'omniprésence de la sphère alimentaire offrant en même temps la possibilité du travestissement de sa réalité sanglante. La représentation de l'espèce humaine s'inscrit dans le même cadre d'une prépondérance de l'animalité destructrice – et du corollaire également déshumanisant qu'en constitue l'évolution vers la mécanisation – sur le double plan de la poursuite de la description du processus d'absorption de la nourriture et du renvoi complémentaire au domaine de l'activité sexuelle, la généralisation à intention dévalorisatrice qui préside à l'identification de l'espèce humaine étant relayée par la focalisation tout aussi « détronisante » sur le cas individuel du rapport d'où est issu le protagoniste :
la terre est un macdo recouvert de ketchup
où l'homo cannibale fait des gloupses et des beurks
j'y suis né d'une vidange de carter séminal
dans le garage intime d'une fleur sentimentale [77]
Le passage à l'évocation de la sexualité du protagoniste – qui est aussi comme on l'a vu le lieu de la référence explicite au carnaval – met tout aussi logiquement en relief la sphère du « bas corporel » et sa domiciliation privilégiée dans les « latrines », tandis que l'attention se concentre sur la « bouche bée [78] » typique du corps grotesque et de sa proximité avec le domaine de l'animalité :
j'en ai connu des chaudes à la bouche animale
à g'nou dans les toilettes ou dans la sciure des stalles [79]
Le rapprochement avec Pulque mescal et tequila s'impose ici avec d'autant plus de force que les deux chansons sont réunies par la communauté de leur inspiration carnavalesque : la célébration spectaculaire du 2 novembre qui marque le point culminant du parcours du protagoniste – avant de le voir basculer vers un effondrement tout aussi radical – constitue en effet l'équivalent mexicain du carnaval marqué par les mêmes « mésalliances » et la même prééminence de la dynamique de « détronisation » que la version du « monde à l'envers » décrite par Bakhtine et dont on a examiné jusqu'ici la recréation dans les textes de Thiéfaine. C'est bien l'accentuation carnavalesque du « jour des morts » mexicain que reflètent avec prédilection les strophes de Pulque mescal y tequila installant d'entrée l'atmosphère de profanation et de travestissement – y compris sur le plan linguistique et sémantique – dans l'évocation des « cantinas »
où la musique se fait bandante
pour la pietà dolorosa [80]
L'interpénétration des connotations religieuses, sexuelles et musicales trouve son origine dans le jeu implicite autour du vocable « band » oscillant entre la lecture anglophone du terminus technicus renvoyant au domaine de l'exécution instrumentale – confiée à un groupe de mariachi dans la version live de la chanson – et la version française du verbe axée sur la dimension sexuelle dont l'application à la figure religieuse ou perçue comme telle constitue un nouvel exemple de la parodia sacra carnavalesque. L'ensemble du texte se présente sous la forme d'une « acrobatie verbale [81] » de grand format où le seul entrelacement virtuose des références intertextuelles exigerait que lui soit consacré un article entier pour pouvoir être retracé dans toute sa complexité [82]. Le récit des différentes étapes du périple mexicain fait ainsi se répondre les éléments issus de Au-dessous du volcan ou du Caustique lunaire de Malcolm Lowry aux rappels du Festin nu ou de la Machine molle de William Burroughs permutant tout au long des strophes selon une logique de distribution précise – les autres constituants du halo associatif ne pouvant être mentionnés ici faute de place –. Le travestissement permanent du discours – qui facilite paradoxalement plus qu'il ne l'entrave l'appréhension dans toute sa spécifité de la signature esthétique de l'auteur – peut être identifié comme l'équivalent exact du processus carnavalesque de déguisement et d'inversion relaté au niveau du contenu explicite, sa traduction sur le plan de la dynamique d'énonciation allant dans le sens d'une omniprésence de la dimension carnavalesque dépassant même le cadre de son activation thématique effective. Le plurilinguisme propre à nombre de textes de l'auteur rejoint en outre la tradition du mélange des langues comptée par Bahktine au nombre des manifestations les plus anciennes de la démarche carnavalesque [83], Pulque mescal y tequila et son cadre référentiel essentiellement – mais non totalement – hispanophone se voyant pour sa part intégré dans l'album Eros über alles dont le titre suffit comme pour son parallèle Météo für nada à établir la coloration germanique.
L'association de l'accentuation carnavalesque à la sphère des « latrines » vue comme le lieu privilégié de l'évocation sexuelle se combine avec le rappel de la connotation religieuse et alimentaire – la « calavera » comme équivalent du « crâne en sucre candi [84] » de Burroughs – dictée par le contexte festif mexicain :
jour des morts à Oaxaca
près de la tombe numéro 7
je promène ma calavera
en procession jusqu'aux toilettes
et dans la douceur des latrines
loin des clameurs de la calle
je respire l'odeur alcaline
des relents d'amour périmé [85]
La fin du texte coïncide avec le paroxysme du « rabaissement » carnavalesque célébré sur un triple plan, entérinant le triomphe définitif du « monde à l'envers » et – à la différence de la séquence finale de 542 lunes et 7 jours environ – l'exclusion de tout élément compensateur pouvant laisser escompter le rétablissement de la composante ascendante. L'engloutissement dans la faille temporelle qui s'ouvre au « point d'intersection dans l'espace-temps [86] » entre « Tenochtitlan » et « Mexico-City » – le « parc de Chapultepec [87] » signant le renvoi à l'univers de Burroughs – introduit le basculement vers l'animalité préludant lui-même à l'écroulement final :
de retour à Tenochtitlan
au parc de Chapultepec
les singes me balancent des bananes
sur des slogans de fièvre aztèque
et dans ma tristesse animale
d'Indien qu'on soûle et qu'on oublie
j'm'écroule devant le terminal
des bus à Mexico-City [88]
Le renversement de la position dominante au profit des « singes » se prolonge par l'assimilation au statut doublement dévalorisé de l'« Indien » incarnant une nouvelle modalité de travestissement voire carrément de permutation d'identité dans l'esprit de la confusion carnavalesque. Indépendamment du rôle central qui lui échoit dans le substrat intertextuel décrit plus haut et qui dicte à l'avance son intégration dans le discours de Pulque mescal y tequila, la problématique de l'altérité évoquée à travers la situation des « indigènes [89] » ou de « l'autochtone humilié [90] » et s'élargissant au diagnostic
des névroses des nécroses overdoses cirrhoses des autochtones
piégés par la psychose des visages roses moroses [91]
est l'occasion d'une inversion de la perspective permettant aussi bien l'identification avec l'héritage de la « mémoire indienne [92] » que la prise de distance face aux diverses impasses simplificatrices, comme celle qui conditionne l'attitude de « farce plus tranquille » des « poètes aujourd'hui » mettant en scène dans Affaire Rimbaud leur pseudo-engagement « au profit des derniers Danakils [93] ». L'instabilité de principe des positions respectives – à commencer par celle du protagoniste des chansons saisi essentiellement dans l'omniprésence ambivalente tant d'un Je suis partout que d'un « Eros über alles [94] » dont l'auteur souligne l'intention de détournement historique – trouve au contraire son expression adéquate dans la dynamique d'une quête vouée par définition à rester inaboutie jusque dans l'essai de fixation des identités successivement revêtues par le personnage « mutant [95] » aboutissant pour finir
dans la peau du rocker poubelle
qui joue son je universel [96]
Ce sont donc bien là aussi les deux catégories de l'« inachevé [97] » et de la « détronisation » telles que les définit Bakhtine en référence à l'univers carnavalesque qui sont les plus aptes à rendre compte de la déclinaison de la problématique de l'identité dans la création de Thiéfaine. La pertinence du parallèle est ici directement confirmée par la séquence de Un automne à Tanger qui définit le projet existentiel ambivalent – et par la même occasion les principes régissant la démarche poétique de l'auteur – à partir des mêmes repères soumis de surcroît à la dynamique de permutation propre à la technique du cut-up – la composante « détronisante » étant présente sous la forme du marqueur linguistique dont on a signalé précédemment le caractère récurrent, tandis que le concept de l'« inachevé » fait l'objet d'une mention explicite – :
lui qui poursuit
son puzzle déglingué
lui qui détruit
son ombre inachevée [98]
La scène des « toilettes » de 542 lunes et 7 jours environ et sa mise en relief de la sphère buccale fait par ailleurs apparaître une autre constante de la démarche de Thiéfaine qui la rattache de façon tout aussi impérative au domaine de l'expression grotesque ou carnavalesque et à sa dynamique de renversement orientée vers le « bas corporel ». L'inversion du baiser en fellation et plus fréquemment encore en cunnilingus est pratiquement une composante obligée des séquences érotiques des chansons, qui peut être éventuellement masquée – et ce d'autant plus que la plurivocité de l'expression est comme on l'a vu un élément essentiel de l'arsenal poétique de l'auteur – par le discours énigmatique suggérant en premier lieu la plausibilité d'une lecture axée sur la seule dimension abstraite ou psychologique, comme dans Le Touquet juillet 1925 où sont d'abord évoquées les « scissures » et les « strates » de la figure féminine :
et ce désir qui vous habite
lorsque ma bouche touche aux limites
de votre split [99]
La priorité revenant au cunnilingus est par contre statuée de manière quasi-explicite – bien que recourant toujours au détour de la formulation imagée qui maintient le double jeu des strates énonciatives – dans Bouton de rose dont la diction reflète l'influence des poètes érotiques latins :
comme une guêpe sur une fleur à peine éclose
mes lèvres sur sa déchirure explosent
son bouton de rose [100]
Le motif figure à deux reprises dans Les jardins sauvages, dont la dernière strophe contient par ailleurs un rappel de la parodie de L'Idole d'Albert Mérat écrite par Verlaine et Rimbaud sous le titre Sonnet du trou du cul [101]. Le traitement métaphorique place au premier plan l'évocation de la sphère végétale tout en créant de façon sous-jacente la possibilité d'une transposition sur le plan du contact sexuel :
sentir la chair d'une figue verte
qui s'offre lentement
sur le rose d'une corolle ouverte
à mon souffle tremblant [102]
L'évocation de la rencontre avec les « fleurs perdues » se rattache aux manifestations de l'esthétique grotesque – que Thiéfaine incarne plus spécifiquement dans sa version « romantique » et « solitaire [103] » – illustrant de façon exemplaire la perméabilité des frontières entre les différents domaines du vivant :
ce corps ouvert [...] n'est pas franchement délimité du monde : il est mêlé au monde, mêlé aux animaux, mêlé aux choses. Il est cosmique, il représente l'ensemble du monde matériel et corporel dans tous ses éléments. [104]
L'élimination des éléments rappelant l'univers des « jardins » au profit de la réduction à la dimension du cunnilingus serait en ce sens synonyme d'un appauvrissement du pouvoir de suggestion du discours poétique, tel qu'il naît de l'orchestration sous-jacente et continue du balancement sémantique. Tout aussi dommageable serait le remplacement de la conception du « corps cosmique » par l'insistance exclusive sur les modalités du rapprochement physique dans la seconde version de l'épisode buccolingual – qui joue d'ailleurs elle-même sur l'ambiguité du motif des « lèvres » – :
le velours de leurs lèvres humides
à l'ombre de leurs voiles
m'entraîne et m'attire vers le vide
où murmurent les étoiles [105]
Le rapport d'équivalence entre l'attraction sexuelle et les phénomènes cosmiques – l'idée pythagoricienne de l'harmonie des sphères étant ici déclinée sous sa forme inversée – est aussi évoqué dans la strophe de Misty dog in love
je te veux dans l'opéra
silencieux de mes planètes
je te veux dans le magma
où se déchire ma comète [106]
La persistance de la conception cosmique du corps dont l'énergie sexuelle se confond avec les forces à l'oeuvre au sein de l'univers – le recours aux catégories de leur présentation s'effectuant sous la forme de l'assimilation directe et non du seul rapprochement comparatif – se retrouve dans la présentation de la figure féminine de Zone chaude môme dont l'apparition est imputée à l'action d'une « comète inconnue » ou d'une « planète androgyne [107] ». Les « violations des frontières naturelles [108] » caractéristiques de la sensation carnavalesque du monde sont élevées dans les textes de Thiéfaine – et particulièrement dans les séquences à caractère érotique de ceux-ci – au rang d'un principe descriptif alliant la composante grotesque à la référence néo-situationniste [109], que l'on ne peut évoquer ici qu'en passant mais dont il faut cependant noter qu'elle est déjà présente dans la conception du « calembour [110] » qui imprime sa marque symbolique à la conclusion de Alligators 427.
La double lecture du motif des « lèvres » et sa localisation dans un contexte végétal analogue à celui rencontré dans Les jardins sauvages est également au coeur de Trois poèmes pour Annabel Lee :
les groseilles boréales et les airelles fauves
au velours de tes lèvres humides et licencieuses
me laissent dans la bouche un goût de folie mauve
un arômes estival aux couleurs silencieuses [111]
La permutation des syllabes à l'intérieur des adjectifs « licencieuses » et « silencieuses » crée sur le plan acoustique un effet de symétrie inversée qui vient s'ajouter à la synesthésie pour accentuer la dynamique de renversement qui embrasse l'ensemble des catégories du discours, la démarche d'écriture révélant là aussi son ancrage dans le domaine de l'expression masquée d'inspiration carnavalesque et le démenti – ou le détournement – permanent qu'elle oppose à tous les indicateurs énonciatifs renvoyant ne fût-ce qu'en apparence à l'illusion d'une possible univocité sémantique.
La dominance spectaculaire de la composante carnavalesque qui se révèle dans Est-ce ta première fin de millénaire ? donne une nouvelle illustration du déplacement vers la dimension apocalyptique constaté à propose du texte de Alligators 427, l'hommage ambivalent aux « anges nucléaires » étant ici remplacé par l'apostrophe véhémente à l'adresse du « maléficieux bipède aux yeux brûlant de haine » identifié à la fois comme l'artisan et la victime de la catastrophe inéluctable. L'orientation traditionnelle vers le « bas topographique » caractéristique des scènes de carnaval est fixée d'entrée par la topographie privilégiant la dimension « souterraine » du décor, dont la connotation macabre ou infernale est de surcroît nettement perceptible :
déjà les chauves-souris s'échappent en ricanant
des parkings souterrains et des bouches de métro
des Lunaparks en ruine, chaotiques flamboyants
aux disneyeuses gargouilles d'un Mickey toxico [112]
Les « chauves-souris » sont ici le vecteur principal de l'ambiance gothique du texte, dont la prééminence se marque de façon quasi-explicite par le travestissement du concept esthétique du gothique flamboyant réinterprété en « chaotiques flamboyants » : la formulation alternative, qui relève selon toute évidence de l'exercice carnavalesque du « graffiti vocal [113] » dont on a pu voir qu'il est lui-même un des principaux constituants de l'écriture de Thiéfaine, définit avec précision les modalités de transformation des éléments du décor dont n'est retenue que la réduction à l'état de « ruine », occasionnant en même temps un télescopage temporel qui procède également de la dynamique carnavalesque d'inversion du temps. Les « ruines » et « gargouilles » sont associées – conformément à la logique d'appareillement paradoxal qui préside à la création des « mésalliances » ou des « oxymores » d'inspiration aussi bien carnavalesque que thiéfainienne – à des termes représentatifs de l'univers contemporain du divertissement représenté par les parcs d'attraction – les « Lunaparks » incarnant le rappel déformé et dévalué de la composante lunaire et le « Mickey toxico » désignant par métonymie Disneyland, dont le rayonnement négatif est renforcé par l'adjectif dépréciatif « disneyeuses ».
La critique de l'univers du divertissement-spectacle joue également un rôle capital dans le démontage en règle du « carnaval souterrain [114] » et mortifère qui se déploie dans La nuit de la samain autour de la « sainte citrouille Halloween » et de son éclairage de « lampions dans les latrines ». La dominance sans contrepartie de la sphère du « bas topographique » qui se marque dans la délimitation du cadre de la fête trouve sa traduction idéale dans l'apostrophe « gueule de pine Halloween » qui prend au pied de la lettre la conception grotesque du corps pour la porter à un degré d'exacerbation dérisoire, tandis que le thème carnavalesque du « corps en état de grossesse et d'accouchement [115] » est repris dans le distique d'ouverture
la douceur convulsive des ventres funéraires
accouche de revenants aux yeux pâles et meurtris [116]
sous une forme aboutissant à la négation directe de sa conséquence principale résumée par Bakhtine en ces termes : « un autre corps neuf sort toujours, sous une forme ou une autre, du premier [117] ». Le texte souligne en outre la dimension voyeuriste de la manifestation de substitution à caractère pseudo-festif :
vision chorégraphique d'un trip au bord du vide
où le danseur en croix sodomise un lépreux
devant les caméras saturnales et fétides
de la pensée commune aux troubles nauséeux [118]
Profanation et travestissement poussés à la limite extrême de leur inanité provocatrice complètent la liste des manifestations révélatrices du dévoiement de la conception antique des « saturnales » ou de son corollaire celtique auquel renvoie la formulation du titre, le basculement vers les symptômes cliniques de la maladie établissant définitivement le verdict de déliquescence qui fait d'Halloween le produit d'une « société / fondamentalement épuisée [119] » ne laissant entrevoir aucune perspective de régénération.
Le thème de la dégénérescence disneyenne exposé dans la première strophe de Est-ce ta première fin de millénaire ? domine également le récit de la soirée au restaurant « chez loiseau du malheur » dans 24 heures dans la nuit d'un faune
le chef qui avait tenu le catering autrefois chez Disney
nous fit cuire un crapaud avec des raclures de Mickey
et on s'est régalé comme dans un film avec Blanche-Neige
quand les deux méchantes soeurs se font sauter sur le manège [120]
ou les visions du protagoniste de Maalox Texas blues confronté à l'effritement de son propre physique comme de son univers made in USA devant la menace diffuse venue « de l'autre côté du désert » :
et coincé dans ton pick-up truck
en patrouille sur la septième rue
t'hallucines, tu vois Donald Duck
en train de besogner un pendu [121]
La sensation de malaise où se combinent « de chili en bloody mary » les conséquences – annoncées par le titre – de l'ingestion de nourriture tex-mex et surtout d'alcool, le pressentiment de l'affrontement des civilisations et l'angoisse métaphysique sous-jacente plonge le personnage dans une version de l'enfer qui intègre en même temps de façon explicite le programme carnavalesque du « pathos de la déchéance et du remplacement, de la mort et de la renaissance [122] » :
tu titubes au milieu des flammes
de l'enfer d'où renaît le phénix [123]
Une telle perspective de renaissance symbolique – qui fait écho au vers de Syndrome albatros « tu jouis comme un phénix ivre mort sous les flammes [124] » – apparaît par contre exclue d'avance dans le texte de Est-ce ta première fin de millénaire ? qui incarne dans l'album Fragments d'hébétude la radicalisation de la dynamique annihilatrice et se révèle en ce sens l'antithèse de Maalox Texas blues. L'atmosphère de fin du monde qui domine le début du texte dépasse le cadre nocturne et « souterrain » pour se communiquer à l'univers diurne soumis à l'emprise implacable d'une dynamique de « détronisation » qui renvoie à la destruction de l'environnement et plus spécifiquement de la couche d'ozone à travers l'usage immodéré des énergies fossiles (il faut souligner ici à quel point la tentative de retraduction en langage courant dénature irrémédiablement le discours poétique, alors même qu'elle est loin de rendre compte de l'ensemble des implications de l'énoncé de la strophe et peut donc tout au plus avoir valeur d'amorce exégétique) :
le bleu du ciel plombé complètement destroyé
par les gaz hilarants de tes vapeurs intimes
ne filtre plus l'écho de mémoire fossoyée
sous le feu des rayons meurtriers des abîmes [125]
L'idée du feu destructeur – privé comme dans Alligators 427 de sa dimension régénératrice – passe ici des « guérillas urbaines » qui « s'allument » dans la première strophe du texte à un phénomène d'ampleur cosmique qui laisse présager l'extinction définitive de la vie sur terre, dans l'esprit de l'« approche finale » préparée dans Quel état Terre à la « carlingue fatiguée [126] » de la planète. La promesse effective d'anéantissement bascule cependant dans la dernière strophe vers l'annonce de la submersion par « les hordes affamées » qui « piétinent ton épitaphe et tringlent sur tes pelouses [127] », la revanche spectaculaire de « l'autochtone humilié [128] » apportant la réalisation de l'« avenir [129] » entrevu par le protagoniste de Maalox Texas blues. Le parallèle esquissé ici confirme que l'étude du réseau de correspondances qui régit les rapports entre les différentes chansons tant au niveau de la structure interne d'un même album qu'en ce qui concerne la façon dont chacun d'entre eux peut être considéré (ainsi que ses différents constituants) comme une « balise [130] » du parcours de l'auteur – donnant chaque fois une coloration spécifique aux composants récurrents de sa démarche – constitue un des aspects les plus révélateurs de l'herméneutique thiéfainienne : une telle analyse permet notamment de mettre en lumière la cohérence impressionnante du corpus des chansons dont on espère pouvoir un jour définir de façon satisfaisante – à travers la mise au point d'une « cartographie des ténèbres » prolongeant celle dessinée par « Mélusine aux longs cheveux défaits [131] » dans Les fastes de la solitude – les modalités d'appréhension phénoménologique (sinon le processus de son élaboration qui échappe par définition à la compétence de l'interprète).
Le déchaînement orgiastique au caractère à la fois insurrectionnel et sexuel par lequel se conclut Est-ce ta première fin de millénaire ? connaît un prélude particulièrement suggestif dans la séquence
la peste a rendez-vous avec le carnaval
les cytomégalos dansent avec Arlequin
comedia del arte, cagoules anti-virales
masques à gaz, oxygène et costumes florentins [132]
La strophe de Thiéfaine apparaît comme la recréation poétique et comprimée – mais précise jusque dans l'exactitude du détail symbolique – de la description de l'épidémie de choléra de 1832 à Paris donnée par Heine dans son article écrit pour La Gazette d'Augsbourg (l'ensemble de ses contributions figurant dans le quatrième volume de ses oeuvres paru sous le titre De la France) :
et comme c'était le jour de la mi-carême, qu'il faisait beau soleil et un temps charmant, les Parisiens se trémoussèrent avec d'autant plus de jovialité sur les boulevarts [sic], où l'on aperçut même des masques qui, parodiant la couleur maladive et la figure défaite, raillaient la crainte du choléra et la maladie elle-même. Le soir du même jour, les bals publics furent plus fréquentés que jamais ; les rires présomptueux couvraient presque la musique éclatante ; on s'échauffait beaucoup au chahut, danse peu équivoque ; on engloutissait à cette occasion toutes sortes de glaces et de boissons froides ; quand tout à coup le plus sémillant des arlequins sentit trop de fraîcheur dans ses jambes, ôta son masque, et découvrit à l'étonnement de tout le monde un visage d'un bleu violet. On s'aperçut tout d'abord que ce n'était pas une plaisanterie, et les rires se turent, et l'on conduisit bientôt plusieurs voitures de masques du bal immédiatement à l'Hôtel-Dieu, hôpital central où, en arrivant sous leurs burlesques déguisements, le plus grand nombre moururent. Comme dans le premier moment d'épouvante, on croyait à la contagion, et que les anciens hôtes de l'hôpital avaient élevé d'affreux cris d'effroi, on prétend que ces morts furent enterrés si vite qu'on ne prit pas le temps de les dépouiller des livrées bariolées de la folie, et qu'ils reposent dans la tombe gaîment comme ils ont vécu. [133]
La substitution de la « peste » au « choléra » – dictée dans son principe par le recours à la technique de permutation typique de l'écriture de Thiéfaine – renvoie ici à la formule traditionnelle exprimant l'aporie du choix entre la peste et le choléra, mais souligne également le parallèle avec Antonin Artaud dont le texte Le théâtre et la peste [134] explore justement la dimension de la contagion épidémique mise en relief dans la chanson.
La recréation point par point du texte de Heine vise à intensifier l'impact immédiat de la danse macabre – dont les figures allégoriques réunies dans un déferlement d'oxymores provocateurs deviennent elles-mêmes les protagonistes –, tout en en laissant inexprimées les dernières conséquences dont la concentration radicale de l'expression suffit à suggérer l'ampleur. A côté de la personnification des abstractions comme « la peste » ou « le carnaval », le remplacement du « plus sémillant des Arlequins » par la seule figure générique d'« Arlequin » permet de faire ressortir aussi bien la dimension mythologique que l'aura ambivalente du « psychopompe [135] » maléfique apparenté au Erlkönig de Goethe et dont C.G. Jung souligne la qualité de « vieux dieu chtonien », tout en insistant sur son caractère inquiétant à travers la remarque « Arlequin ne me rassure pas [136] » formulée à propos des tableaux de Picasso. La rapidité du rythme auquel se succèdent les couples de danseurs au niveau de l'évocation verbale est par ailleurs relayée sur le plan musical – dans la dimension vocale comme instrumentale de celui-ci – par le tempo soutenu et l'intensité du niveau sonore, qui atteint son paroxysme dans le martèlement de la question rhétorique « est-ce ta première fin de millénaire ? » qui sert de refrain à la chanson, la répétition la plus débordante d'agressivité étant réservée à la coda finale (qui se charge d'un impact supplémentaire en concert où l'interrogation est reprise par l'ensemble du public, comme le montre l'enregistrement live de 1995 [137]). Le remplacement de la « mi-carême » par le « carnaval » place directement au premier plan le règne du « monde à l'envers » – que la mi-carême ne réinstaure que provisoirement en tant que rupture ponctuelle dans un cadre temporel qui a déjà aboli la référence carnavalesque –, tout en maintenant la dimension symbolique de dernière fête avant le renversement final inhérente à l'idée de carnaval telle que l'a fixée le calendrier festif médiéval. L'ambiance souriante et ensoleillée du récit de Heine laisse la place à la constatation du délabrement atmosphérique irrémédiable dans le vers « ton soleil a sombré dans un ghetto de pluie [138] » qui prélude au développement du motif du « feu meurtrier » de la deuxième strophe, le « ghetto » permettant de son côté la transition vers l'atmosphère des « guérillas urbaines » qui est aussi celle du climax insurrectionnel de la séquence finale.
Le masque en tant qu'élément essentiel de l'attirail carnavalesque – que ce soit dans le texte même de Heine ou dans les manifestations traditionnelles du phénomène festif où il traduit « la joyeuse négation de l'identité et du sens unique, la négation de la coïncidence stupide avec soi-même [139] » – est présent à travers deux métamorphoses décisives qui témoignent à elles seules de la réaccentuation délibérée subie par le matériau carnavalesque dans la strophe de Thiéfaine, le processus de transmutation verbale qui commande la réécriture du récit historique permettant là aussi d'embrasser par anticipation la totalité du déroulement linéaire des événements dans le resserrement de la formulation poétique. Le remplacement par les « masques à gaz » prolonge l'allusion à la menace écologique – l'éventualité d'une guerre ou d'une catastrophe nucléaire pouvant cependant aussi bien justifier leur utilisation – , tandis que la transformation en « cagoules anti-virales » révèle la dégénérescence épidémique du « contact libre et familier » typique du carnaval et le caractère morbide des « alliances carnavalesques [140] » auxquelles il a donné naissance. Le travestissement se voit ainsi réduit dans les deux cas à une fonction prophylactique diamétralement opposée à sa signification festive d'origine, dont la présence – et à travers elle la nature d'« oxymore situationnel » de la séquence – est cependant garantie par le rôle central dévolu au motif de la danse et de la formation des « couples carnavalesques [141] ».
Outre sa présence dans les chansons de Thiéfaine évoquant l'univers du carnaval, le masque est dans l'ensemble des textes de l'auteur un accessoire récurrent de l'existence poétique saisie dans sa dimension problématique, qui l'apparente aussi bien à la folie qu'à des formes de transgression à caractère meurtrier ou criminel. On peut rappeler ici la définition précédemment citée du poète comme « clown masqué décryptant les arcanes de la nuit [142] » qui constitue l'incipit de Syndrome albatros, le protagoniste de Québec November Hotel dans lequel on reconnaît une autre incarnation de l'existence artistique se présentant lui aussi « les yeux masqués sous mes Ray-Ban [143] ». L'association entre le recours au masque et la tentation du basculement irrémédiable est articulée de façon exemplaire dans Les dingues et les paumés hantés par leurs visions morbides dont l'allitération reflète le caractère tautologique, soulignant ainsi l'enfermement dans la folie :
et dans leurs yeux mescal masquant leur nostalgie
ils voient se dérouler la fin d'une inconnue [144]
Le maquillage comme équivalent du masque avec lequel il partage la fonction première de création ou de simulation d'une identité provisoire a naturellement sa place dans l'existence de Narcisse 81 que le discours de la chanson représente
te maquillant le bout des yeux
d'un nouveau regard anonyme [145]
On retrouve le maquillage dans sa double finalité de dissimulation et de substitut identitaire venant recouvrir un « vide épouvantable [146] » dans l'atmosphère à l'attraction délétère qui règne dans le Cabaret sainte Lilith, dont le seul nom offre un exemple achevé d'« oxymoron » carnavalesque dérivé du modèle de « l'hétaïre vertueuse [147] ». L'énumération des figures peuplant cet univers nocturne de la séduction et de la déchéance mentionne par deux fois le motif, dans l'évocation d'existences « transitoires [148] » prises dans un jeu de cache-cache sans fin – y compris sur le plan verbal – :
et des gosses exilés qui maquillent ton nom
sur les fiches transit d'hôtel hallucinos
puis dans la séquence de profanation provocatrice associant à l'image du corps grotesque le renvoi à la dynamique de « détronisation » soulignée par son marqueur linguistique :
et des cigares bandant sur les lèvres flippées
de dieux défigurés maquillés par tes nuits [149]
L'existence politique est dépeinte comme un jeu de masques inspiré du guignol et plus précisément de sa version sanglante – telle qu'on l'a rencontrée dans Annihilation ou 113e cigarette sans dormir – dans L'homme politique, le roll-mops et la cuve à mazout où l'identification du personnage de l'homme politique à la figure de carnaval qu'est le « bouffon » se combine avec la réminiscence mythologique et tragique qui renvoie au substrat archétypal de la réalité contemporaine :
te voilà chez les suburbains
bouffon d'une reine sanguinaire
avec le masque de Caïn
et les doigts sur un revolver
et tu ressors ta panoplie
d'équarrisseur intérimaire
t'immoles pour nous Iphigénie
au rayon des soupes populaires [150]
Le masque est réduit à sa plus simple expression – qui renforce paradoxalement son caractère de mascarade macabre – dans Mojo – dépanneur TV (1948 – 2023) et sa critique à l'encontre des médias « impudiques et salaces » :
elles cachent leurs crânes sous leurs sourires
tous les soirs à 20 heures pour nous séduire [151]
L'acte symbolique de l'arrachage du masque ou de son équivalent prend a contrario la valeur d'un refus du mensonge et des compromissions dans l'annonce de la révolte de la « machine humanoïde » de Droïde song
le jour où les terriens prendront figure humaine
j'arracherai ma cagoule pour entrer dans l'arène [152]
Le même geste revêt dans Infinitives voiles – où il fait suite au pressentiment de l'envol libérateur évoqué plus haut – la signification d'une rupture ou d'une prise de distance avec le modèle de l'existence artistique ou du moins avec la dimension de dissimulation voire d'auto-destruction qu'il comporte :
j'arracherai mon masque et ma stupide armure
mes scarifications de guerrier de l'absurde [153]
On peut remarquer ici que le carnaval sanglant de Demain les kids recourt à la même dénomination de « guerriers de l'absurde » pour désigner les auteurs des massacres d'enfants, confirmant ainsi l'idée de la proximité symbolique entre le poète et les différentes incarnations du type du tueur ou du « vampire [154] » :
les guerriers de l'absurde et de l'enfer affrontent
les délices de la mort sous le fer de la honte [155]
C'est également autour du motif du masque que se cristallise le rappel du carnaval dans les deux autres textes de Thiéfaine renvoyant directement au thème, Sentiments numériques revisités et Camélia : huile sur toile. La conception essentiellement « romantique » du masque qui « dissimule, cèle, trompe, etc. [156] » – réaccentuation dont on a constaté la prééminence dans les nombreuses séquences où l'accessoire de travestissement constitue l'attribut prédestiné de l'existence artistique – s'inscrit naturellement dans l'atmosphère nocturne des deux chansons que réunit en outre leur priorité thématique axée sur l'évocation de l'Eros, même si la célébration du sentiment amoureux dont l'intensité confère leur plénitude jubilatoire aux strophes de Sentiments numériques revisités diffère sensiblement de la tonalité désillusionnée voire tragique qui prévaut dans Camélia : huile sur toile.
Le lyrisme de la déclaration d'amour encadrée par l'évocation symbolique des « ombres du soir [157] » se déploie dans une atmosphère nocturne d'« orgies » peuplées de « voix blafardes », dans laquelle domine d'entrée la référence infernale à la lune noire dont on a décrit plus haut le pouvoir séduction maléfique :
quand les elfes titubent sous l'alcool de sorgho
dans les cercles succubes de la lune en faisceaux
L'ambivalence de l'aura évocatrice transparaît dans la « mésalliance » des couples d'oiseaux réunissant les incarnations antagonistes de la nuit et préparant à ce titre l'introduction de la référence carnavalesque dans son acception « gothique », que souligne le parallèle avec le décor de Est-ce ta première fin de millénaire ? dont on retrouve ici deux des constituants essentiels [158] – la mention du crâne qui leur fait suite permettant également le renforcement de l'accentuation macabre :
quand les chauves-souris flirtent avec les rossignols
dans les ruines d'un royaume où mon crâne est mongol
La même coloration sombre se communique pour finir à la peinture de l'univers diurne, l'oxymore qui marque l'occultation du soleil au profit de la figure féminine – et ce dans sa double dimension de source de lumière comme de chaleur – signant le renversement de la hiérarchie cosmique qui préfigure de son côté le recours explicite aux catégories carnavalesques :
quand le soleil se brûle au contour de tes reins
parmi les masques obscurs d'un carnaval romain [159]
La qualification d'« obscurs » réservée aux masques dans la formulation de Thiéfaine prend tout son sens par le renvoi au récit autobiographique de Goethe ainsi qu'à la lecture qu'en fait Bakhtine, la coexistence d'Eros et de Thanatos sous le signe du carnaval apparaissant ainsi jusqu'au bout comme le dénominateur commun aux séquences successives de la chanson :
Dans sa célèbre description du carnaval romain (dans le Voyage en Italie), Goethe, qui essaie de découvrir derrière les images carnavalesques leur sens profond, rapporte une scène tout à fait symbolique : pendant les moccoli, un garçon souffle la bougie de son père avec le cri joyeux : Sia ammazato il Signore Padre ! [160]
La vision « romantique » du carnaval et à travers elle la réaccentuation « lugubre [161] » du motif du masque est particulièrement mise en exergue dans Camélia : huile sur toile dont la première comme la dernière strophe se terminent par les vers
lèvres glacées masque animal
au carnaval des coeurs déchus [162]
La nature particulière du texte inspiré par un tableau du peintre Charles Belle – auquel la chanson est d'ailleurs dédiée – est à l'origine de la mise au point par Thiéfaine d'une technique d'écriture spécifique destinée à rendre compte aussi bien des implications connotatives véhiculées par l'oeuvre picturale que des modalités de sa réalisation :
charles belle peint essentiellement des fleurs…
mais tous ceux qui connaissent la peinture de charles belle savent très bien que derrière ces fleurs se cache un monde sensuel, souvent sexuel, parfois inquiétant et noir…
j'aime la peinture de charles belle…
c'est une peinture où je me retrouve...
avec camélia / huile sur toile, j'ai essayé d'appliquer à la chanson ce que je crois être la technique de charles belle... [163]
Le choix du carnaval comme cadre de référence de la transposition poétique va de pair avec la priorité accordée à la dynamique de dépréciation dont le renvoi aux « coeurs déchus » constitue la signature linguistique. L'association sexuelle déjà présente dans le tableau du peintre – et à laquelle renvoient explicitement les séquences de bruitage enveloppant la chanson – fait l'objet de la même dévalorisation dont le terme de « camélia » apparaît lui-même le vecteur : son association avec l'idée de la déchéance sexuelle et plus spécialement de la prostitution découle – au-delà donc des implications déductibles de la toile de Charles Belle – de la référence aux romans de Dostoïevski où « camélia » est le synonyme de « prostituée », conformément à l'usage linguistique russe de l'époque inspiré lui-même par La Dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils [164]. Le coloris nordique marqué de Camélia : huile sur toile, dont la « fin d'histoire d'amants déchirés » déroule son « errance au milieu de la nuit » dans les « brumes hivernales » et « vers ce vieux nord toujours frileux [165] », apparaît également comme une réminiscence particulièrement pertinente – puisque révélant elle aussi la persistance de la référence carnavalesque – de l'atmosphère des oeuvres de Dostoïevski évoquant Saint-Pétersbourg, dont Bakhtine souligne à propos de Crime et châtiment le rôle de décor d'un carnaval nocturne et fantomatique favorisant toutes les transgressions :
Il est à noter que le lieu même de l'action – Saint-Pétersbourg ( et son rôle dans le roman est considérable ) – est à la frontière de l'existence et de la non-existence, de la réalité et de la fantasmagorie, qui peut d'un moment à l'autre s'évanouir, se dissiper comme un brouillard. Même Saint-Pétersbourg est en quelque sorte privé de base intérieure pour une stabilisation justifiée : il est lui aussi sur le seuil. [166]
La coloration « lugubre » typique du masque romantique est déplacée vers les « lèvres glacées » qui accentuent l'ambiance gothique de l'évocation nocturne en suggérant le basculement vers la mort, tandis que le « masque animal » apparaît moins comme le travestissement des « visages figés » ou des « visages fermés » qu'il est censé dissimuler que comme l'expression de leur véritable nature, le dévoilement initial de l'animalité et sa réitération finale prenant la même valeur de verdict existentiel indépassable que celle véhiculée par la conclusion de Pulque mescal y tequila. La dissolution carnavalesque des contours de l'évocation qui se produit sous l'effet du « brouillard vertigineux » finit par abolir également la frontière entre l'être et le paraître ou plus exactement par en révéler l'inanité de principe, les deux domaines se voyant pareillement englobés dans le processus de déchéance symbolique – « détronisation » là aussi définitive que ne vient contrebalancer aucune promesse de ré-intronisation réparatrice.
Au terme de ce parcours dont on espère qu'il n'aura pas mené « au bout de l'ennui [167] » – pour reprendre le détournement du titre de Céline réalisé également dans Camélia : huile sur toile par le biais du cut-up faisant se répondre les deux vers « errance au milieu de la nuit » et « sur un port au bout de l'ennui » [168] –, le protagoniste travesti et masqué s'exprimant à travers les différentes variantes du discours masqué à caractère énigmatique que l'on a eu l'occasion de détailler tout au long de ces réflexions apparaît à tous égards comme l'incarnation privilégiée de la démarche thiéfainienne, qui transcende le cadre carnavalesque proprement dit pour réaliser sur tous les plans de l'expression poétique la « carnavalisation » du discours annoncée dans l'introduction à cette tentative d'orientation dans les « dédales obscurs [169] » du corpus des chansons – ceux-là même dans lesquels se déroule justement l'existence « à rebours » dont la description a ouvert ces réflexions. [170]
Ajoutons pour finir – en manière de post-scriptum proposant un prolongement suggestif à l'approche tentée ici – que les concerts de Thiéfaine constituent eux-mêmes et ce indépendamment de la thématique des chansons interprétées un exemple frappant de liesse carnavalesque « universelle » telle que la décrit Bakhtine :
Les spectateurs n'assistent pas au carnaval, ils le vivent tous, parce que, de par son idée même, il est fait pour l'ensemble du peuple. Pendant toute la durée du carnaval, personne ne connaît d'autre vie que celle du carnaval. [...] Tel est le carnaval dans son idée, dans son essence même, et tous ceux qui participent aux réjouissances le ressentent de la manière la plus vive. [171]
La même abolition de la notion de « spectateurs » voués à la réception passive du phénomène artistique est soulignée par les comptes-rendus de la presse constatant d'entrée :
Il n'est visiblement pas approprié d'assister à un concert d'Hubert-Félix Thiéfaine confortablement assis dans un fauteuil [172]
De l'aveu même de l'auteur, la participation active du public chantant en même temps que lui est une caractéristique marquante du déroulement des concerts :
Et puis, il y a le public qui travaille. Il apprend les chansons, il les connaît mieux que moi, souvent même il commence à chanter avant que j'arrive sur scène [173]
– appréciation confirmée par un article décrivant la reprise du texte de Annihilation par l'ensemble des participants :
Alors, lorsque Thiéfaine finit par entrer sur scène, il était impossible de faire taire les 2000 grondements de bête, les hurlements furieux de la nuit dans les têtes !? [174]
L'attention des chroniqueurs se porte ainsi de façon répétée sur la dimension de transe quasi-orgiastique qui caractérise l'ambiance dans la salle, établissant indirectement la légitimation du rapprochement carnavalesque :
Du rock envoûtant, endiablant, trépidant. Le public d'Hubert-Félix Thiéfaine (HFT) ne s'y trompe pas. Et ne s'y est jamais trompé. De passage à l'Espace Argence [Troyes] pour sa tournée Homo Plebis Ultimae Tour, ce trublion du rock indépendant a envoûté et transcendé son public. Les quelques 2000 personnes présentes, dont une grande partie a envahi la fosse, ont hurlé leur passion, crié leur amour et verbalisé leur attachement à l'artiste. Les têtes dodelinent, les corps ondulent, les bras se lèvent. [...]
Au rythme des basses et de la batterie, dans un esprit toujours fraternel, c'est l'échange permanent, la communion quasi-religieuse. [175]
Notes
[1] Hubert-Félix Thiéfaine, Exil sur planète-fantôme, in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981
[2] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, Paris, Editions du Seuil, 1970, coll. « Points. Essais », p. 180
[3] Hubert-Félix Thiéfaine, Redescente climatisée, in Au Bataclan, Paris, Sony, 2002
[4] Hubert-Félix Thiéfaine, Redescente climatisée, in Dernières balises (avant mutation)
[5] Hubert-Félix Thiéfaine, La nostalgie de dieu, in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996
[6] Hubert-Félix Thiéfaine, La nostalgie de dieu, in La tentation du bonheur
[7] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 181
[8] Hubert-Félix Thiéfaine, La nostalgie de dieu, in La tentation du bonheur
[9] Hubert-Félix Thiéfaine, La nostalgie de dieu, in La tentation du bonheur
[10] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, pp. 182-184
[11] Hubert-Félix Thiéfaine, La nostalgie de dieu, in La tentation du bonheur. Concernant les implications associatives de l'expression « amour toujours », cf. Françoise Salvan-Renucci, « "adieu Gary Cooper adieu Che Guevara" : Quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l'oeuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », LOXIAS 44, Romain Gary – La littérature au pluriel, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7743
[12] William Burroughs, Le festin nu, traduit de l'américain par Eric Kahane, préface de Gérard-Georges Lemaire, Paris [1964], Gallimard, 2002, coll. « Folio SF », p. 214
[13] William Burroughs, Le festin nu, p. 229
[14] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 182
[15] Hubert-Félix Thiéfaine, 113e cigarette sans dormir, in Dernières balises (avant mutation)
[16] concernant le rapport de Thiéfaine à la conception de l'absurde – et de l'étrangeté comme marque de celui-ci – développée par Camus, on peut se reporter à Françoise Salvan-Renucci, « j'imaginerai Sisyphe gonflé aux anabos » : la référence à Albert Camus dans l'oeuvre de Hubert-Félix Thiéfaine, à paraître dans LOXIAS Conférences, revel.unic.fr/loxias
[17] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer, Paris, Sterne, 1979
[18] Longueurs d'ondes, novembre 1998
[19] Aurelius Augustinus, De civitate Dei Libri XXIV, XII, 26 (nous soulignons)
[20] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 230
[21] Hubert-Félix Thiéfaine, Bruits de bulles, in Fragments d'hébétude, Paris, Sony, 1993
[22] Hubert-Félix Thiéfaine, Bruits de bulles, in Fragments d'hébétude
[23] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer
[24] Hubert-Félix Thiéfaine, 713705 cherche futur, in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982. La version chiffrée du mot « soleil » qui distingue le titre de la chanson de celui de l'album repose elle-même sur le principe de lecture inversée.
[25] Hubert-Félix Thiéfaine, Confessions d'un never been, in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005
[26] Hubert-Félix Thiéfaine, Petit matin 4.10. heure d'été, in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011. Dans plusieurs des concerts du Homo Plebis Ultimae Tour de 2011-2013 (par exemple à Gap, Le Quattro, 24/03/2012), le dernier vers de la séquence est remplacé par « vers les vapeurs d'un vague espoir », le renforcement de l'allitération étant révélateur de l'importance attachée par l'auteur à cette technique de soulignement acoustique. Il faut d'ailleurs lui ajouter l'anaphore et plus généralement la répétition intensive d'un élément central de l'énoncé – comme les occurrences multiples des formes du verbe « chercher » autour desquelles s'articule le discours de Fièvre résurrectionnelle [in Suppléments de mensonge], avec là aussi des variantes live (dans aux moins sept cas sur le Homo Plebis Ultimae Tour et notamment dans le même concert de Gap) portant à six – au lieu de cinq dans le texte original – le nombre des apparitions du terme.
[27] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer
[28] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 185
[29] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer
[30] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 236
[31] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer
[32] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Paris, Editions Gallimard, 1970, coll « Tel », p. 33
[33] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 35
[34] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 36
[35] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer
[36] cf. Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, pp. 199-204
[37] Le populaire, 21/01/2013
[38] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 36
[39] Hubert-Félix Thiéfaine, Solexine et ganja, in Soleil cherche futur
[40] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 20
[41] Hubert-Félix Thiéfaine, Sentiments numériques revisités, in Défloration 13, Paris, Sony, 2001 ; « Gauguin sans toile et sans pinceau / revisité en Bardamu », Errer humanum est, in Météo für nada, Paris, Sterne, 1986 ; « je revisite l'enfer de Dante et de Virgile », Annihilation, in Séquelles Edition collector, Paris, Sony, 2009
[42] Hubert-Félix Thiéfaine, 113e cigarette sans dormir, in Dernières balises (avant mutation)
[43] Hubert-Félix Thiéfaine, 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990
[44] Hubert-Félix Thiéfaine, Le jeu de la folie, in Scandale mélancolique
[45] Hubert-Félix Thiéfaine, Le chant du fou, in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir, Paris, Sterne, 1978
[46] Hubert-Félix Thiéfaine, Confessions d'un never been, in Scandale mélancolique
[47] Hubert-Félix Thiéfaine, Paranoïd game, in Fragments d'hébétude
[48] Hubert-Félix Thiéfaine, Comment j'ai usiné ma treizième défloration, in Défloration 13 (CD-ROM), Editions Lilith Erotica, Paris, Sony, 2001
[49] Hubert-Félix Thiéfaine, Caméra terminus, in Chroniques bluesymentales
[50] Hubert-Félix Thiéfaine, Chambre 2023 (et des poussières), in Alambic / sortie sud, Paris, Sterne, 1984
[51] Hubert-Félix Thiéfaine, Retour vers la lune noire, in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998
[52] Hubert-Félix Thiéfaine, 24 heures dans la nuit d'un faune, in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996s
[53] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 20
[54] Hubert-Félix Thiéfaine, 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales
[55] Hubert-Félix Thiéfaine, Syndrome albatros, in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988
[56] Hubert-Félix Thiéfaine, Confessions d'un never been, in Scandale mélancolique. Une description provisoire du halo associatif du refrain a été réalisée dans : Françoise Salvan-Renucci, « "Adieu Gary Cooper adieu Che Guervaras" : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l'oeuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », LOXIAS 44
[57] Hubert-Félix Thiéfaine, Rock autopsie, in Autorisation de délirer
[58] André Breton, Nadja, Paris, NRF, 1928, p. 35. L'importance du surréalisme pour le projet artistique de Thiéfaine ressort de la définition que l'auteur donne de sa démarche : « je suis nourri de surréalisme, de Beat Generation », in Le populaire, 11/01/2013
[59] Hubert-Félix Thiéfaine, 113e cigarette sans dormir, in Dernières balises (avant mutation)
[60] Hubert-Félix Thiéfaine, Annihilation, in Séquelles Edition collector
[61] Hubert-Félix Thiéfaine, Vendôme gardenal snack, in De l'amour, de l'art ou du cochon ?, Paris, Sterne, 1980
[62] Hubert-Félix Thiéfaine, Femme de Loth, in Alambic / sortie sud
[63] Hubert-Félix Thiéfaine, 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales
[64] Hubert-Félix Thiéfaine, Femme de Loth, in Alambic / sortie sud
[65] Hubert-Félix Thiéfaine, Comme un chien dans un cimetière (le 14 juillet), in De l'amour, de l'art ou du cochon ?
[66] Hubert-Félix Thiéfaine, Diogène série 87, in Météo für nada
[67] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 216
[68] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 37
[69] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 30
[70] Hubert-Félix Thiéfaine, 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales
[71] Hubert-Félix Thiéfaine, Infinitives voiles, in Suppléments de mensonge
[72] Hubert-Félix Thiéfaine, 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales
[73] Hubert-Félix Thiéfaine, Une ambulance pour Elmo Lewis, in Défloration 13. L'intérêt manifesté par Thiéfaine à la thématique funéraire trouve sa traduction la plus spectaculaire dans le texte canularesque de La maison Borniol mettant en scène le personnage d'un entrepreneur de pompes funèbres au cynisme décalé [in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir].
[74] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 30
[75] Sur la même longueur d'ondes n° 16, novembre 1985 (« le dernier couplet, c'est ce qu'il y a avant »)
[76] Hubert-Félix Thiéfaine, Buenas noches, Jo, in Alambic / sortie sud
[77] Hubert-Félix Thiéfaine, 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales
[78] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, pp. 34-35
[79] Hubert-Félix Thiéfaine, 542 lunes et 7 jours environ, in Chroniques bluesymentales
[80] Hubert-Félix Thiéfaine, Pulque mescal y tequila, in Eros über alles
[81] Hubert-Félix Thiéfaine, Was ist das rock'n'roll ?, in Eros über alles
[82] L'article de Jean-Christophe Loison, « L'intertextualité chez Hubert Félix Thiéfaine », Chanson et intertextualité, Etudes réunies par Céline Cechetto, Eidôlon n° 94, Presses Universitaires de Bordeaux 2011, pp. 97-106, se révèle très insuffisant tant dans l'appréciation problématique de l'intertextualité et de son rôle dans l'écriture de Thiéfaine que dans le simple repérage des éléments intertextuels dans les chansons. C'est notamment le cas pour Pulque mescal y tequila où seule est identifiée la référence à Malcolm Lowry, alors qu'elle se combine avec celle à William Burroughs, Richard Wagner et Romain Gary (entre autres) pour générer une dynamique complexe du discours totalement ignorée par l'auteur de l'article.
[83] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 163
[84] William Burroughs, Le festin nu, p. 51
[85] Hubert-Félix Thiéfaine, Pulque mescal y tequila, in Eros über alles
[86] William Burroughs, Le festin nu, p. 313 ; cf. la machine molle, Paris [1968], Christian Bourgois, 1994, p. 196 (« C'était une rue arrière quelconque dans le temps, poches silencieuses de Mexico City »)
[87] William Burroughs, Le festin nu, p. 145
[88] Hubert-Félix Thiéfaine, Pulque mescal y tequila, in Eros über alles
[89] Hubert-Félix Thiéfaine, Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable, in Le bonheur de la tentation ; Parano-safari en ego-trip-transit, in Défloration 13
[90] Hubert-Félix Thiéfaine, Sentiments numériques revisités, in La tentation du bonheur
[91] Hubert-Félix Thiéfaine, Also sprach Winnie l'ourson, in Défloration 13
[92] Hubert-Félix Thiéfaine, Annihilation, in Séquelles Edition collector
[93] Hubert-Félix Thiéfaine, Affaire Rimbaud, in Météo für nada
[94] Hubert-Félix Thiéfaine, Je suis partout, in Eros über alles. Outre le titre de l'album, la formule « Eros über alles » est également le refrain de la chanson citée « composée au moment du procès de Klaus Barbie », et que l'auteur commente en ces termes : « Non seulement ça sonnait bien, mais, en outre, ça détournait quelque chose », Paroles et musique n° 6, avril 1988. La même intention de détournement est à l'origine du choix du titre de la chanson citant celui de l'hebdomadaire collaborationniste pour évoquer tour à tour « le médaillé qui fait son beurre », « la fille tondue qu'on trimballe / à poil devant les cannibales », « les corps des amants juifs » et « ces millions d'enfants gazés / qu'on voudrait me faire oublier ».
[95] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer ; Exil sur planète-fantôme, in Dernières balises (avant mutation) ; Exit to chatagoune-goune, in Soleil cherche futur ; Terrien, t'es rien, in Fragments d'hébétude
[96] Hubert-Félix Thiéfaine, Je suis partout, in Eros über alles
[97] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, pp. 18, 20, 33, 42
[98] Hubert-Félix Thiéfaine, Un automne à Tanger, in Chroniques bluesymentales
[99] Hubert-Félix Thiéfaine, Le Touquet juillet 1925, in Défloration 13
[100] Hubert-Félix Thiéfaine, Bouton de rose, in Le bonheur de la tentation
[101] cf. Album Zutique : présentation, transcription typographique et commentaires, Genève, Editions Slatkine, 1981
[102] Hubert-Félix Thiéfaine, Les jardins sauvages, in Scandale mélancolique
[103] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 46
[104] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 36
[105] Hubert-Félix Thiéfaine, Les jardins sauvages, in Scandale mélancolique
[106] Hubert-Félix Thiéfaine, Misty dog in love, in Chroniques bluesymentales. Le parallèle particulièrement révélateur avec la présentation du motif de la musique des sphères opérée dans L'idiot de Dostoïevski par le personnage d'Hippolyte citant – sans pouvoir sur le moment en retrouver l'auteur – les vers du Prologue dans le ciel du Faust de Goethe « le soleil a retenti dans les cieux » ne peut malheureusement pas être exploré ici [Fédor Dostoïevski, L'idiot, Préface d'Alain Besançon, Traduction d'Albert Mousset, Paris, Gallimard, 1967, coll. « Folio », vol. II, p. 87]
[107] Hubert-Félix Thiéfaine, Zone chaude môme, in Météo für nada
[108] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 49
[109] cf. la caractérisation de l'écriture de Thiéfaine donnée sur le site http://www.music-story.com/hubert-felix-thiefaine : « Véritable poète néo-situationniste, il s'inscrit dans une tradition de l'écriture libre et de la licence poétique qui se revendique aussi bien de Lautréamont que de Burroughs. »
[110] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer
[111] Hubert-Félix Thiéfaine, Trois poèmes pour Annabel Lee, in Suppléments de mensonge
[112] Hubert-Félix Thiéfaine, Est-ce ta première fin de millénaire ?, in Fragments d'hébétude
[113] Hubert-Félix Thiéfaine, Was ist das rock'n'roll ?, in Eros über alles
[114] Hubert-Félix Thiéfaine, La nuit de la samain, in Scandale mélancolique
[115] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 35
[116] Hubert-Félix Thiéfaine, La nuit de la samain, in Scandale mélancolique
[117] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 35
[118] Hubert-Félix Thiéfaine, La nuit de la samain, in Scandale mélancolique
[119] Hubert-Félix Thiéfaine, La fin du saint empire romain-germanique, in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir
[120] Hubert-Félix Thiéfaine, 24 heures dans la nuit d'un faune, in La tentation du bonheur
[121] Hubert-Félix Thiéfaine, Maalox Texas blues, in Fragments d'hébétude
[122] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 182
[123] Hubert-Félix Thiéfaine, Maalox Texas blues, in Fragments d'hébétude
[124] Hubert-Félix Thiéfaine, Syndrome albatros, in Eros über alles
[125] Hubert-Félix Thiéfaine, Est-ce ta première fin de millénaire ?, in Fragments d'hébétude
[126] Hubert-Félix Thiéfaine, Dans quel état Terre, in Le bonheur de la tentation
[127] Hubert-Félix Thiéfaine, Est-ce ta première fin de millénaire ?, in Fragments d'hébétude
[128] Hubert-Félix Thiéfaine, Sentiments numériques revisités, in La tentation du bonheur
[129] Hubert-Félix Thiéfaine, Maalox Texas blues, in Fragments d'hébétude
[130] « pour moi chaque album et chaque chanson sont une balise dans ma vie »,
Entretien avec Hubert-Félix Thiéfaine – Un mécène, deux thèmes et des dinky toys, http://jecriraipourvous.canalblog.com/archives/2012/07/25/24773659.html (25/07/2012) ; cf. également le titre de l'album Dernières balises (avant mutation)
[131] Hubert-Félix Thiéfaine, Les fastes de la solitude, in Défloration 13
[132] Hubert-Félix Thiéfaine, Est-ce ta première fin de millénaire ?, in Fragments d'hébétude
[133] Oeuvres de Henri Heine, Volume IV, De la France, Paris, Eugène Renduel, 1834, pp. 152-153. Concernant le rapport de Thiéfaine à Heine et à la culture allemande en général, on peut se reporter au Petit lexique thiéfainien à l'usage des non-comprenants (section Romantisme) à la fin de la biographie de l'auteur : Jean Théfaine, HF Thiéfaine - Jours d'orage, Paris, Fayard, édition revue et augmentée 2011, p. 380, ainsi qu'à l'interview parue dans L'Alsace / Le pays, 21/05/2001. Rappelons que Lorelei sebasto cha [in Soleil cherche futur] est une variation sur la Lorelei de Heine (combinée au détournement du début du poème de Benjamin Péret Emigrant des mille milles du recueil Le passager du transatlantique, in Oeuvres de Benjamin Péret, tome 1, Paris, Eric Losfeld, 1969, p. 28) et que le texte allemand de la ballade de Heine était projeté en arrière-plan de la scène pendant l'exécution de la chanson à Bercy (22/10/2011) dans le cadre du Homo Plebis Ultimae Tour.
[134] Antonin Artaud, Le théâtre et la peste, in Le théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1938, coll. « Métamorphoses ». Le rapport de Thiéfaine à Artaud ne peut bien sûr pas être étudié ici de la façon approfondie qui esr nécessaire pour l'appréhender dans sa pleine dimension. On peut cependant signaler que Quand la banlieue descendra la ville [in Défloration 13] débute par un extrait de l'enregistrement radiophonique [1948, première diffusion sur France-Culture en 1973] de Pour en finir avec le jugement de dieu – le titre de l'oeuvre d'Artaud étant par ailleurs repris dans un vers de Sentiments numériques revisités [in La tentation du bonheur] sous la forme « pour en finir avec le jugement des salauds » –, tandis que Septembre rose [in Eros über alles] présente un renvoi direct – quoique adoptant la présentation inversée d'un cut-up – à l'intitulé Le théâtre de la cruauté à travers le distique « passées les cruautés / du théâtre organique ». Rappelons ici que la citation explicite a chez Thiéfaine une valeur signalétique visant à mettre en lumière un élément essentiel de la dynamique du discours des chansons au-delà des seules circonstances de sa réappropriation ponctuelle.
[135] Le psychopompe est une figure récurrente des textes de Thiéfaine, de la déclinaison du mythe d'Orphée dans Chambre 2023 (et des poussières) [in Alambic / sortie sud] ou Orphée nonante huit [in La tentation du bonheur] au « chien funèbre » de Une ambulance pour Elmo Lewis [in Défloration 13]. Il donne son titre à Psychopompes, métempsychose et sportswear où le détournement parodique né du jeu sur le sens multiple de « pompes » permet d'opposer au défilé des incarnations des diverses offres de sens (parmi lesquelles figure d'ailleurs C.G. Jung) la série « Nike »–« Reebok »–« Adidas » qui les renvoie implicitement à leur « imposture » de principe.
[136] C. G. Jung, « Picasso » [1932], Problèmes de l'âme moderne, Paris, Buchet/Chastel, 1960, pp. 441-449 ; concernant le rapport de Thiéfaine à C.G. Jung, on peut se reporter à l'interview du 18/06/2013 réalisée par French Radio London : https://soundcloud.com/frenchradiolondon/interview-hubert-f-lix-thi
[137] Hubert-Félix Thiéfaine, Est-ce ta première fin de millénaire ?, in Paris-Zénith (1995), Paris, Sony, 1995
[138] Hubert-Félix Thiéfaine, Est-ce ta première fin de millénaire ?, in Fragments d'hébétude
[139] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 49
[140] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 181
[141] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 186
[142] Hubert-Félix Thiéfaine, Syndrome albatros, in Eros über alles
[143] Hubert-Félix Thiéfaine, Québec November Hotel, in Suppléments de mensonge
[144] Hubert-Félix Thiéfaine, Les dingues et les paumés, in Soleil cherche futur
[145] Hubert-Félix Thiéfaine, Narcisse 81, in Dernières balises (avant mutation)
[146] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 49
[147] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 174
[148] Hubert-Félix Thiéfaine, Retour vers la lune noire, in Le bonheur de la tentation
[149] Hubert-Félix Thiéfaine, Cabaret sainte Lilith, in Dernières balises (avant mutation)
[150] Hubert-Félix Thiéfaine, L'homme politique, le roll-mops et la cuve à mazout, in Autorisation de délirer
[151] Hubert-Félix Thiéfaine, Mojo – dépanneur TV (1948 – 2023), in La tentation du bonheur
[152] Hubert-Félix Thiéfaine, Droïde song, in Eros über alles
[153] Hubert-Félix Thiéfaine, Infinitives voiles, in Suppléments de mensonge
[154] Hubert-Félix Thiéfaine, Alligators 427, in Autorisation de délirer ; Exit to chatagoune-goune, in Soleil cherche futur ; Les fastes de la solitude, in Défloration 13 ; Garbo XW machine, in Suppléments de mensonge
[155] Hubert-Félix Thiéfaine, Demain les kids, in Chroniques bluesymentales
[156] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 49
[157] La formule « quand les ombres du soir » constitue l'incipit de la première comme de la septième et dernière strophe, le motif lui-même devenant le thème central de la chanson Les ombres du soir [in Suppléments de mensonge] qui rejoint Sentiments numériques revisités ou Les fastes de la solitude par l'intensité expressive du langage musical et poétique, tout en privilégiant de façon exclusive l'évocation de l'univers nocturne et du pouvoir destructeur de l'Eros.
[158] Hubert-Félix Thiéfaine, Est-ce ta première fin de millénaire ?, in Fragments d'hébétude
[159] Hubert-Félix Thiéfaine, Sentiments numériques revisités, in La tentation du bonheur
[160] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 185
[161] Mikhaïl Bakhtine, L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, p. 49
[162] Hubert-Félix Thiéfaine, Camélia : huile sur toile, in Défloration 13
[163] Hubert-Félix Thiéfaine, Comment j'ai usiné ma treizième défloration, in Défloration 13 (CD-ROM)
[164] La traduction française du rêve de Svidrigaïlov dans Crime et châtiment [Préface de Georges Nivat, Traduction de D. Ergaz et Vladimir Pozner, Paris, Gallimard, 1950/1975, p. 537] remplace le terme « camélia » de l'original par celui de « femmme vénale ». Il est cependant rétabli dans la préface avec l'allusion à « la petite camélia de Svidrigaïlov », p. XXXI.
Thiéfaine souligne l'importance qu'a pour lui Dostoïevski dans Galaxie Thiéfaine : supplément d'âme. Un film de Michel Buzon et Dominique Debaralle. Une coproduction France 3 Franche-Comté / Séquence SDP / Couleurs du Monde Production (2012). La référence multiple aux romans de Dostoïevski est particulièrement nette dans Les filles du sud [in Suppléments de mensonge] où la strophe
dans mes notes d'un souterrain
je repense à Svidrigaïlov
les amants et les assassins
ont souvent manqué d'un my love
est suivie des vers
et puis se perdent en amoureuses
devant l'idiot qui les fait rire
évoquant les changements de comportement des figures féminines à travers une réminiscence directe des scènes de L'idiot mettant aux prises le prince Mychkine avec les trois filles du général Epantchine ( L'idiot, vol. I, pp. 102-107), l'évolution vers l'attitude amoureuse renvoyant aux relations du personnage avec la seule Aglaïa.
Il faut enfin souligner qu'au-delà de son évocation explicite dans Les filles du sud, le personnage de Svidrigaïlov peut être considéré comme un double masqué du protagoniste de nombre de textes de Thiéfaine, appréciation dont la démonstration doit être réservée à un examen détaillé du corpus des chansons.
[165] Hubert-Félix Thiéfaine, Camélia : huile sur toile, in Défloration 13
[166] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 237
[167] Hubert-Félix Thiéfaine, Camélia : huile sur toile, in Défloration 13
[168] Le rapport d'affinité qui unit Thiéfaine à Céline se marque également dans les vers de Errer humanum est [in Météo für nada] dont les protagonistes sont présentés comme
Gauguin sans toile et sans pinceau
revisité en Bardamu
ou bien en Cortès ou Corto
aventuriers des graals perdus
L'auteur souligne par ailleurs à propos de Lobotomie sporting club [in Suppléments de mensonge]: « je me rends compte aujourd'hui de l'influence effectivement " célinienne " de ce texte très " haché " », laMarseillaise.fr, 01/03/2011
[169] Hubert-Félix Thiéfaine, Exil sur planète-fantôme, in Dernières balises (avant mutation)
[170] La permutation inspirée du cut-up, les oxymores, le plurilinguisme et la polysémie qui en résulte, l'allitération, l'anaphore, la répétition, la synesthésie, la fragmentation acoustique ou l'effet d'écho participent tous à des titres divers à l'élaboration du discours masqué. Il faut également mentionner le rôle de la déclamation expressive instaurant un décalage de principe par rapport aux normes de la prosodie française, auxquelles se substituent alternativement ou conjointement le primat de la scansion musicale nourrie par la pulsion binaire de la mélodie rock et la référence aux langues anglo-saxonnes basées sur la coïncidence des accents toniques et sémantiques, principe dont l'application entraîne souvent la mise en relief de l'accent étymologique tel qu'il se présente dans la langue dont est issu tel ou tel élément de la séquence poético-musicale (une tentative de caractérisation de la diction de Thiéfaine – sans que soient identifiées les diverses implications étiologiques de celle-ci ni plus généralement la signification poétologique qui lui échoit dans le cadre d'ensemble du projet de l'auteur – est esquissée dans : Jean-Pierre Zubiate, « " Ma langue natale est morte dans ses charentaises... ". Hubert Félix Thiéfaine, l'hermétisme critique et le rock littéraire », La chanson politique en Europe, Etudes réunies par Céline Cechetto et Michel Prat, Eidölon n° 82, Presses Universitaires de Bordeaux 2008, pp. 399-408).
La perception et la prise en compte par Thiéfaine des problèmes spécifiques posés par la langue française ressortent des réflexions développées en réponse à une question sur sa technique d'écriture [ in Sortie de secours, 22/11/2011] :
Si jamais je récite, correctement, un passage de Shakespeare, de Walt Whitman, de Blake… Rien que de prononcer les mots, ils sont déjà en musique. Les chanteurs américains et anglais ont quand même de la chance de pouvoir faire couler les phrases comme ça, sans faire d'effort. Ce sont des poètes réputés que je cite, mais malgré tout, même quand on entend des télévangélistes américains prêcher, ça swingue, il y a un truc. Il n'y a plus qu'à mettre la musique… En France, en français, on est quand même obligé de tordre les mots, d'utiliser des petites méthodes de trafic pour arriver à trouver un son qui puisse être chanté.
[171] Mikhaïl Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, p. 187
[172] L'Echo républicain, 10/11/2012
[173] Galaxie Thiéfaine : supplément d'âme
[174] Julien Trapinaud, « Le poète Thiéfaine a enchanté Chanteix vendredi soir », laMontagne.fr, 11/08/2012. L'article cite indirectement les deux vers de Annihilation [in Séquelles Edition collector] :
qui donc pourra faire taire les grondements de bête
les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes
[175] « Hubert-Félix Thiéfaine entre en communion avec son public », L'Est éclair, 31/10/2012